PROBLÉMATIQUE DE L’ENTRETIEN ET DE LA MAINTENANCE DES INFRASTRUCTURES PUBLIQUES
Le Sénégal, plus particulièrement le régime libéral et néolibéral, est adepte des investissements lourds dans des constructions neuves, bien lustrées voire luxueuses au départ, qui une fois réalisées et utilisées sont laissées à elles-mêmes
Il est étonnant, regrettable et désolant de constater les difficultés, voire l’inefficacité de l’État à faire face aux besoins d’entretien et de maintenance des infrastructures publiques. C’est un constat général qui touche les infrastructures publiques dans tous les secteurs.
On se focalise sur les infrastructures sportives comme les stades. Ce sont celles-là qui sont sans doute les plus visibles comme la pointe de l’iceberg. Mais le mal est étendu, à presque tous les secteurs, touristique et hôtelier, de la santé, social, etc. Le Sénégal, plus particulièrement le régime libéral et néo libéral, est adepte des investissements lourds dans des constructions neuves, bien lustrées voire luxueuses au départ, qui une fois réalisées et utilisées sont laissées à elles-mêmes, mal entretenues, les équipements et matériels surutilisés, laissés à eux-mêmes non réparés. Or, la durée de vie d’une infrastructure dépend de la mise en œuvre d’une politique de maintenance et d’entretien effective et efficace. Elle permet de satisfaire cet objectif de durée de vie et même de la prolonger. Dans le management d’une organisation disposant d’infrastructures et d’équipements couteux et importantes du point vue social, la fonction entretien et maintenance est essentielle voire fondamentale. Ainsi quand on évalue le fonctionnement d’une organisation de ce type, il est important de voir la place réservée à cette fonction managériale. Prenons quelques exemples de départements ministériels.
1. CAS DU MINISTERE CHARGE DES SPORTS
Ce département ministériel gère quelques dizaines de stades et d’autres types d’infrastructures sportives. Actuellement aucune infrastructure sportive construite à coup de centaines de millions n’est fonctionnelle : le stade Demba Diop, le stade Iba Mar Diop, le stadium Marius Ndiaye, le Stade Léopold Sédar Senghor. Les compétitions sportives nationales actuelles sont autorisées dans quelques stades qui sont loin d’être aux normes, aux risques et périls de potentiels accidents dont il ne faudra pas s’étonner. Dans le décret n°2020 du 11 novembre 2020 portant attributions du Ministre des Sports, il est simplement indiqué que le Ministre «veille à la réalisation d’infrastructures sportives harmonieusement reparties sur le territoire national».
Aucune trace de la prise en charge de la fonction entretien et maintenance. La question qui se pose ici est la suivante : Le Gouvernement a l’ambition d’équiper chaque département (46) d’un stade multifonctionnel moderne, répondant aux normes internationales, en plus des infrastructures sportives de dernière génération prévues à Diamniadio. Avec cette politique ambitieuse, comment se fait-il que la fonction Maintenance et Entretien soit «oubliée» dans les missions ou attributions de ce département ministériel ? On peut relever dans le dernier décret portant répartition des services de l’État entre la Présidence, la Primature et les ministères (n° 2020-2100 de novembre 2020, l’existence d’une Direction des Infrastructures sportives qui semble être une création nouvelle. Ce qui est interdit depuis quelques années dans le décret portant répartition des services de l’État. Ce qui me conforte dans cette analyse est que dans le décret n°2003-293 du 08 mai 2003 portant organisation du Ministère des Sports, il n’y a aucune structure chargée de cette fonction. Et il n’existe pas actuellement un arrêté organisant cette direction des Infrastructures qui pourrait indiquer une prise en charge au niveau central de l’Administration de cette fonction. Aussi est-il urgent pour le Ministère des Sports de mettre à jour son décret organique, c’est-à-dire le décret portant organisation du département ministériel. Ce serait l’occasion d’intégrer toutes les structures créées depuis 2003, à l’occasion de remaniements ministériels dans le décret portant répartition des services de l’État et donner à la fonction Maintenance et Entretien la place qu’elle mérite. Nous notons cependant qu’il a été créé par arrêté ministériel n°8765/MS/DAGE du 23 octobre 2012 portant création et organisation des Comités de Gestion des Stades nationaux une structure chargée, entre autres de l’entretien et de la maintenance dans chaque stade un comité de gestion du stade.
A mon avis cette structure très, voire trop légère, a une diversité de missions dont certaines prennent le pas sur la fonction entretien et maintenance qui est ainsi reléguée au second, pour ne pas dire dernier plan. La situation générale décriée montre largement que le comité de gestion du stade n’est pas la structure adéquate pour prendre en charge les besoins d’entretien et de maintenance. Le Ministère devrait faire un tour pour voir comment des stades comme le Parc des Princes, le Stade de France, les stades des grands clubs comme Marseille, Nantes la Beaujoire qui ont été construits depuis très longtemps, sont entretenus et maintenus. Dans ces clubs la Maintenance et l’Entretien sont généralement confiées par contrat à des structures privées spécialisées ayant les compétences techniques et humaines. Ces structures spécialisées installent dans les stades des équipes de techniciens qui interviennent en permanence sur toutes infrastructures et équipements du stade (gazons, main courante, gradins, réseau électrique, etc.). Ce n’est pas un travail de tâcherons !
Sans doute la situation est différente du fait que les infrastructures sportives en France et en Europe sont généralement privées et ont des obligations de rentabilité économique et financière. Il est difficile de concevoir que chaque stade ou infrastructure sportive adopte la même stratégie de concession par contractualisation avec une structure privée. Cependant, il est possible de confier la fonction de Maintenance et d’entretien des infrastructures sportives publiques à une structure publique centrale dotée d’une autonome financière qui développerait et mettrait en œuvre des politiques et stratégie d’entretien et de maintenance sur toutes les infrastructures sportives publiques. Les sommes investies dans ce secteur, avec les nouvelles infrastructures en cours de construction, de dernier cri sont si importantes que cela «vaut le coup». On ne peut continuer à mener une «politique de fuite en avant» consistant à construire, exploiter voire «user» pendant quelques années de manière intensive, laisser les équipements et matériels de détériorer, fermer les sites pour attendre de nouvelles infrastructures à construire pour des centaines de milliards ! C’est regrettable de le dire : nous avions des infrastructures sportives de qualité enviées dans toute l’Afrique que nous avons laissé dépérir au point qu’elles n’ont pas atteint leur durée de vie normale, faute de politiques d’entretien et de maintenance adéquates ! C’est le lieu d’attirer l’attention des autorités sur des tendances notées au niveau d’infrastructures toutes nouvelles comme le Centre des Conférences Internationales Abdou Diouf, l’Aréna : vestiaires et toilettes très mal entretenues, utilisées par le personnel en place et des visiteurs. Ces infrastructures ont à peine cinq à six ans d’existence. Mais l’état actuel de certains équipements laisse à désirer, faute d’un entretien conséquent et bien suivi.
2. CAS DU MINISTERE DE LA SANTE ET DE L’ACTION SOCIALE
Là aussi, on constate l’absence de référence à la fonction Entretien et maintenance des infrastructures sanitaires dans le décret n°2020-2200 relatif aux attributions du Ministre de la Santé et de l’Action sociale. Cette absence de référence n’est-elle pas un indicateur du niveau d’importance accordée à la fonction Entretien et Maintenance ? Notre opinion se confirme quand on examine l’organisation actuelle du ministère de la Santé et de l’Action sociale. La fonction Maintenance et Entretien est ravalée au niveau d’une Division : Division de la Maintenance Hospitalière dans la Direction des Établissements Publics de Santé. Je trouve le niveau de prise en charge de la fonction insuffisante, vu le nombre d’infrastructures sanitaires dans le pays et l’importance des investissements réalisés. Les formations hospitalières bénéficient sans doute d’une autonomie de gestion qui les responsabilise dans la prise en charge de cette fonction. Mais, dans la réalité elles n’arrivent pas à s’assumer correctement. Preuve, les nombreux incidents et pannes dus à un manque d’entretien des équipements comme les pannes successives en 2018 des scanners des hôpitaux de Le Dantec et de Dalal Diam la panne du scanner de l’Hôpital Le Dantec, acquisitions relativement neuves que les entreprises locales chargées par contrat de l’entretien n’ont pu dépanner elles-mêmes. L’une des explications avancées à l’époque pour un des scanners était que les ampoules du scanner avaient atteint leur durée de vie ! Quel manque de capacité managerielle, notamment dans la prévision et la planification. ! Les autorités sanitaires avaient également avancé des inscriptions budgétaires de 3 600 000 FCFA dans le budget de l’État pour deux nouvelles acquisitions de scanners et la création d’un Centre national d’oncologie. Soit : «patientez, de nouveaux équipements vont arriver» , tout comme le Ministre des Sports nous fait rêver en attendant la finition du chantier du Stade Olympique de Diamniadio. Nous avons ainsi les mêmes attitudes et comportements manageriels chez nos dirigeants.
C’est du MISMANAGEMENT ! Le Ministère de la Santé devrait nous donner les coûts des évacuations sanitaires à l’étranger effectuées durant cette longue période d’attente. Et plus récemment l’incendie des crèches à l’Hôpital de Linguère qui a couté la vie à quatre nouveaux nés. Les explications officielles mettent le focus sur les défaillances humaines, mais il est fort possible que les équipements aient connu des défaillances techniques. Mon avis est que la fonction maintenance et entretien des infrastructures et équipements sanitaires ne doit pas être laissée sous la responsabilité des formations hospitalières. Celles-ci n’ont pas les moyens ni financiers ni humains. Il devrait revenir à l’État, au niveau central de créer une structure nationale, genre agence spécialisée, qui serait dotée des moyens financiers, matériels et humains pour gérer cette fonction dans toutes formations hospitalières et sanitaires en général. Dans les accidents de la route qui sont de plus en plus nombreux et mortels ces temps-ci au Sénégal, on ne relève pas souvent les défaillances dues au mauvais entretien des routes, comme la qualité de la chaussée, le mauvais éclairage, l’absence de signalisation, etc. On met souvent tout sur le compte de l’Homme et de la fatalité. Les usagers de la route ont droit à un service correct, à des routes bien entretenues. Ces routes sont financées par l’impôt qu’ils payent. Ces deux exemples suffisent largement. Pas besoin de faire le tour des départements ministériels ! Ils révèlent le peu d’importance accordée à la fonction Entretien et Maintenance dans les infrastructures publiques. A cause de contraintes budgétaires, elle est trop souvent délaissée au profit d’investissements dans de nouveaux équipements. Les infrastructures publiques d’un pays constituent un patrimoine national. Ce patrimoine a une valeur importante souvent méconnue et négligée. Il convient donc de prendre en considération le coût des infrastructures, leur amortissement en fonction de leur durée d’exploitation et leur entretien pour en préserver à la fois la valeur patrimoniale et leur capacité à rendre le service attendu. L’absence d’entretien et de maintenance des infrastructures peut conduire à leur dépréciation ou pire à leur inadéquation progressive avec les services que l’on attend d’elles. Ce qui entraine une perturbation de l’économie locale ou nationale et des risques pour les usagers.