LE CODE 92 DANS TOUS SES ETATS
Code 92 ou Code Kéba Mbaye. Cette loi est souvent évoquée comme étant la référence en matière électorale.
Les différents régimes se sont appuyés sur le Code électoral de 1992 qui, malgré ses insuffisances, a permis au Sénégal d’avoir des élections plus transparentes et moins contestées. C’est pourtant cette loi de référence en la matière qui a consacré, dans les mêmes termes, des articles sur l’inéligibilité déclinés en L3 et L4, et aujourd’hui L31 et L32 ou encore L29 et L30. Le Quotidien retourne à «92», et même «91» avec la Commission pilotée par Kéba Mbaye.
Code 92 ou Code Kéba Mbaye. Cette loi est souvent évoquée comme étant la référence en matière électorale. «C’est l’Adn du code électoral», a dit Abdoulaye Makhtar Diop, lundi, lors du vote du projet de loi portant code électoral issu du dialogue politique. Alors que la tension était vive et le maintien des articles L31 et L32 suggérait une volonté du pouvoir d’écarter des candidats, Khalifa Sall et Karim Wade, des autres élections après la Présidentielle de 2019, la majorité a puisé dans le code de 1992 un argument massue qui a quelque peu refroidi l’opposition. «Les articles dont parle l’opposition étaient déjà dans le code de 1992», rappelle Abdoulaye Makhtar Diop. «Depuis 1992, ces dispositions de L31 et L32 n’ont jamais bougé», ajoute le ministre de l’Intérieur. «Si l’on remonte à la loi 92-16 du 27 février 1992, les articles L3 et L4 disent la même chose que ces articles L29 et 30 qui ont remplacé L31 et L32», enchaîne Alioune Souaré. C’est effectivement et exactement la même formulation que les articles L31 et L32 et les nouveaux L29 et L30. A la faveur de la loi 97-15 du 8 septembre 1997, les articles L3 et L4 sont devenus L5 et L6, sans changement dans la rédaction. C’est dire que le code consensuel de 1992 a fait un long chemin.
Le code 92 consensuel en débat
C’est d’ailleurs parce que les acteurs politiques se sont rendu compte qu’il n’était ni la bible ni le coran qu’il subit régulièrement des modifications. Pourtant Abdou Latif Coulibaly l’avait dit en mai 2019 lors du Jury du dimanche de I-radio. «Le code électoral obtenu avec le juge Kéba Mbaye n’a été consensuel qu’en 2000, après la victoire de Me Abdoulaye Wade. C’est avec ce code que les gens sont allés aux élections de 1993, contestées par l’opposition de l’époque. En 1996, les élections municipales ont été reprises dans certaines communes de Dakar. Cette même opposition avait aussi contesté les Législatives de 1998 et dernièrement, en 2007, toute l’opposition avait boycotté les législatives», avait-il expliqué, soulignant que «ce code électoral de 92 est consensuel seulement quand l’opposition gagne les élections». Cette sortie avait ému certains, mais le journaliste devenu ministre ne disait pas autre chose que l’exposé des motifs de la loi 97-15 du 8 septembre 1997 qui a consacré la création de l’Observatoire national des élections (Onel). «Le code électoral de 1992, objet d’un consensus de tous les partis politiques, a constitué une avancée démocratique importante. En effet, il a profondément transformé le processus électoral, notamment en associant les partis politiques à la mise en œuvre de ses diverses étapes. Les élections présidentielle et législatives de 1993, régionales, municipales et rurales de 1996 ont été le banc d’essai du nouveau code électoral», se réjouissait-on. «La pratique électorale observée ces dernières années commande cependant d’apporter à ce code de consensus des améliorations qui permettront non seulement de clarifier certaines dispositions, mais encore d’en renforcer d’autres pour prévenir d’éventuels défaillances ou manquements», justifiait le texte. Pour ce faire, le Président Diouf avait institué, par décret n° 97-146 du 13 février 1997, une concertation entre les partis politiques, sous la conduite d’une commission cellulaire. Et c’est avec cette loi de 1997 que l’Onel a été créé pour préparer les Législatives de 1998.
Macky et un code pour l’honneur
Depuis la publication du projet de code électoral sanctionné par le dialogue politique, la Majorité affirme que c’est un code consensuel, alors que pour l’opposition, il n’en est pas un. Tout de même le texte de «92» a été si révolutionnaire qu’il est resté une référence. Et c’est aussi bien à l’honneur du juge Kéba Mbaye que du Président Diouf. Macky Sall n’en serait pas moins fier de voir «son» code aussi progressiste, lui qui avait affirmé «sa disposition à mettre en œuvre les consensus issus de cet exercice important dans la poursuite de la modernisation de notre modèle démocratique». Et c’est vrai que ce sont les points d’accord qui ont été envoyés à l’Assemblée pour être insérés dans le code. Mais le salut de ces concertations politiques se trouverait dans l’arbitrage du Président sans arbitraire. C’està-dire quitte à faire preuve d’ingratitude vis-à-vis de son camp pour satisfaire certaines recommandations de l’opposition. Tout dépendra de la mouture finale et complète du rapport de la Commission politique du dialogue national qui lui sera remis incessamment par l’équipe de Pr Babacar Kanté.
COMMISSION DIRIGEE PAR KEBA MBAYE : LES ACTEURS ET LEURS ACTIONS
Le «Code consensuel» est davantage une référence qu’il inspire les acteurs politiques. A l’image de la Commission politique du dialogue national que dirigeait feu le Général Mamadou Niang et aujourd’hui Pr Babacar Kanté, en 1992, c’était une «Commission nationale de réforme du code électoral» composée de juristes connus (Youssou Ndiaye, les professeurs Tafsir Malick Ndiaye et Abdel Kader Boye, Me Alioune Badara Sène) et les délégués de 14 partis politiques, sous la présidence du juge Kéba Mbaye. C’est un récit de Pr Assane Seck dans son ouvrage intitulé «Sénégal, émergence d’une démocratie moderne (1945-2005) : un itinéraire politique», publié en 2005 aux Editions Karthala. «Le 20 mai 1991, à l’issue de la deuxième séance, des points d’accord, au nombre de 30, couvrant les aspects plus ou moins litigieux des consultations électorales du Sénégal, étaient retenus et publiés dans un communiqué par le président de la Commission, en présence des représentants de quatorze partis (Aj-Pads, Ld-Mpt, Pai, Pai-M, Pds, Pds-R, Pit, Plp, Ps, Lct, Mrs, Rnd, Udt, Uds-R) sur dix-sept, trois partis ayant refusé l’invitation (Msu- Mouvement pour le socialisme et l’unité, Ost- Organisation socialiste des travailleurs, Pps- Parti populaire sénégalais)», raconte-t-il. Pour la Cpdn d’aujourd’hui aussi quelques formations l’avaient boycottée dont le Pds. A l’époque, la «Commission cellulaire», comme celle qui existe aujourd’hui, avait retenu 36 points de convergence. «Après trois mois de travail, en juillet 1991, la Commission remit au président de la République un texte consensuel, à la grande satisfaction des Sénégalais», souligne Pr Seck. Il ajoute que «sans y changer quoi que ce soit», le Président Diouf remit le texte défendu par Madieng Khary Dieng, ministre de l’Intérieur, à l’Assemblée nationale présidée par Abdou Aziz Ndaw, qui l’adopta à son tour le 20 septembre 1991. Voilà qui deviendra loi 92-16 du 27 février 1992.
L3 ET L4 DE 1992 : QUAND LE DEPUTE KHALIFA SALL «VOTAIT» SON INELIGIBILITE
Il ne l’a peut-être jamais imaginé, la loi étant impersonnelle. Mais Khalifa Sall a voté lui-même ces articles qui l’ont disqualifié de la Présidentielle de 2019 et qui l’empêchent encore d’être candidat à des élections. En effet, le leader de Taxawu Senegaal, élu député du Parti socialiste depuis 1983, a voté la loi 92-16 du 27 février 1992 qui a consacré les articles L3 et L4 qui traitent de l’inéligibilité. Ce n’est qu’en 1993 qu’il va faire son entrée dans le gouvernement. Mais il ne quittera pas les députés puisque ses charges de ministre délégué chargé des Relations avec les Assemblées l’envoient régulièrement à l’Hémicycle
LOI 92 – 16 DU 27 FEVRIER 1992 PORTANT CODE ELECTORAL MODIFIE
ARTICLE L3
Ne doivent pas être inscrits sur la liste électorale : 1) les individus condamnés pour crime ; 2) ceux condamnés à une peine d’emprisonnement sans sursis ou à une peine d’emprisonnement avec sursis d’une durée supérieure à un mois, assortie ou non d’une amende, pour l’un des délits suivants : vol, escroquerie, abus de confiance, trafic de stupéfiants, détournement et soustraction commis par les agents publics, corruption et trafic d’influence, contre façon et en général pour l’un des délits passibles d’une peine supérieure à cinq ans d’emprisonnement ; 3) ceux condamnés à plus de trois mois d’emprisonnement sans sursis, ou à une peine d’emprisonnement d’une durée supérieure à six mois avec sursis, pour un délit autre que ceux énumérés au deuxièmement cidessus sous réserve des dispositions de l’article L5 ; 4) ceux qui sont en état de contumace ; 5) les faillis non réhabilités dont la faillite a été déclarée soit par les tribunaux sénégalais, soit par un jugement rendu à l’étranger et exécutoire au Sénégal ; 6) ceux contre qui l’interdiction du droit de voter a été prononcée par une juridiction pénale de droit commun ; 7) les incapables majeurs.
ARTICLE L4
Ne doivent pas être inscrits sur la liste électorale pendant un délai de cinq ans à compter de la date à laquelle la condamnation est devenue définitive, les condamnés soit pour un délit visé à l’article L3, 3° à une peine d’emprisonnement sans sursis égale ou supérieure à un mois et inférieure ou égale à trois mois, ou à une peine d’emprisonnement avec sursis égale ou supérieure à trois mois et inférieure ou égale à six mois, soit pour un délit quelconque à une amende sans sursis supérieure à 200 000 F Cfa, sous réserve des dispositions de l’article L5. Toutefois, les tribunaux, en prononçant les condamnations visées au précédent alinéa, peuvent relever les condamnés de cette privation temporaire du droit de vote et d’élection. Sans préjudice des dispositions de l’article L3 et du premier alinéa du présent article, ne doivent pas être inscrits sur la liste électorale pendant un délai fixé par le jugement, ceux auxquels les tribunaux ont interdit le droit de vote et d’élection par application des lois qui autorisent cette interdiction.