LA LUNE ROSE
EXCLUSIF SENEPLUS #SilenceDuTemps – Tous les jours je regarde depuis une extrémité de la terrasse, le nouveau building administratif. Je me dis qu’il n’est plus nécessaire de climatiser, il a dû être si bien réhabilité façon bioclimatique
Jour 15
#SilenceDuTemps - Ah ma belle cocotte, moi qui je pensais qu’elle contrôlerait les entrées et pour dire bonjour bien sûr. Je me suis plantée apparemment.
Ce matin, Odile venant faire son service hebdomadaire. À peine a-t-elle enlevé ses chaussures que je l’entends « moo, ki lu muy déf’fi ?» (qu’est-ce qu’elle fait là celle-là). Lol En fait, je craignais Djélika pour la casse. Odile elle, a pensé aux risques qu’elle prend en faisant son ménage … Je l’ai couchée en lui demandant d’en faire autant ! Bon je sens qu’un malheur va vite arriver.
« Pièce unique » débarque « sans crier gare » mais comme par hasard au moment du déjeuner ; ah le malin ! Et de dire « oh mais ce n’est pas prêt encore ? » Le périmètre de sauvegarde, le cadet de ses soucis. Mais comme je veille, alors il fait semblant de s’y conformer.
Discussions aujourd’hui avec les enfants de Paris à propos des limites des gestes barrière à Dakar. Je ne me sens pas du tout stressée ni angoissée par cette situation qui nous tombe dessus mais juste quelques précautions à prendre et c’est vrai, difficile d’en savoir les limites. Je garde quand même le périmètre, pour les chaussures et je vais peut-être lâcher du lest pour les sacs à provisions ?
Notre appartement est sur le passage des ambulances, car à deux pas de deux hôpitaux, des buildings administratifs … et apparemment de tous les véhicules qui usent, abusent de sirènes ! Eh bien depuis 15 jours, j’ai la paix. Presque preuve que les soi-disant véhicules prioritaires …foutaise ! Plutôt des gens qui profitent de privilèges, qui sont sûrement responsables de cette douloureuse mobilité et ne veulent pas en être victimes. Même la nuit, nous avons droit aux sirènes du cortège allant et venant de notre président. Fini, plus de (nombreux) voyages, plus de cortèges sous mes fenêtres.
En fait, mes voisins d’en face sont bien là. J’ai entendu ce matin et sans les voir, les enfants jouer sur la terrasse de leur triplex et ce soir. Je les vois derrière les grandes baies vitrées sans rideaux de leur appartement. Cela donne de la vie à cet immeuble bien peu habité.
La lune d’hier que j’ai été voir si vous saviez en fait, j’ai reçu un coup de téléphone de quelqu’un qui m’a dit : « va à ta porte (preuve qu’il ne sait pas où j’habite !) et regarde la lune, il y est dessiné la vierge Marie ».
En sortant sur la terrasse, je voulais vérifier ce qui amène certaines personnes à délirer de la sorte ; je suis heureusement assez cartésienne pour ne pas entendre pareille sornette.
Ah cette lune, je la regarde cela dit, très souvent. Je la découvre derrière l’immeuble à côté de la terrasse et ensuite elle est bien visible au-dessus de ma tête quand je suis sur la terrasse.
Je la guette même, et ne vais me couper les cheveux que lorsqu’elle est bien montante ou pleine. Il paraît que ça fait pousser les cheveux plus rapidement ! ahahah et pourtant je vais pratiquement chez le coiffeur tous les deux mois, va savoir. Encore une idée que Mamina m’a collée dans la tête.
Je vais donc pour finir la soirée rejoindre mon « canapé anti-Covid » qui est à l’endroit idéal pour regarder ma série policière préférée !
Jour 16
Hé bien hier je ne l’ai pas regardé la « super lune, » la plus grosse, la plus proche, la plus belle lune !
Elle était semble-t-il couleur rosée. D’ailleurs on l’appelle la lune rose, référence aux arbres en fleurs, cerisiers comme au Japon, enfin tous ceux qui fleurissent à l’approche du printemps. Cette « super lune » dégage les meilleures vibrations et par les temps qui courent, il ne faut cracher sur rien !
Mais ne me demandez pas à quoi cela correspond dans mon environnement. Je ne saurai dire mais sûr, demain je cherche le bon paysan qui pourra y répondre.
Tous les jours je regarde depuis une extrémité de la terrasse, le nouveau building administratif. Le jour les fenêtres (à l’italienne) sont presque toutes ouvertes en tout cas à partir du 5ème étage, les niveaux inférieurs étant cachés derrière les arbres de la présidence.
Je me dis alors, qu’il n’est plus nécessaire de climatiser, il a dû être si bien réhabilité façon bioclimatique et je me souviens avoir lu le ministre de la Culture de l’époque d’avant le démarrage des travaux qui n’en pouvait plus de nous convaincre que nous aurons un immeuble « intelligent » d’où les coûts prohibitifs annoncés au départ et largement dépassés à l’arrivée !
Et la nuit, en tout cas jusqu’à ce que je me couche et en ce moment pas avant minuit, les mêmes niveaux visibles de chez moi sont éclairés comme un sapin de Noël. Alors là c’est super de super intelligent qui doit s’éclairer avec le rayonnement de la lune, et surtout nous fait penser que l’on travaille jour et nuit !
D’ailleurs qui sont les nouveaux occupants de ce « building » et qui peut me dire aussi de quel nom il a été (dé)baptisé ?
Les ministères ne sont-ils pas censés aller peupler Diamniadio ?
Ah j’oubliais, quelqu’un proche du pouvoir m’aurait dit que finalement ce building serait occupé par les ministères de souveraineté ! Hum, quand on sait que le ministère de l’Intérieur, celui des Finances ont des locaux ailleurs, que la primature est supprimée … bon je vous perds et moi aussi, alors j’arrête mais j’irai quand même chercher la bonne info’…
Et quand je regarde l’hôtel Téranga Pullman de l’autre bout de la terrasse, dans le noir intégral, en ce moment … j’ai mal.
Ceux qui me connaissent bien savent que je suis du genre couche-tôt, que j’ai du mal à finir mes soirées entre amis ou en famille sans aller faire un petit somme à la fin du repas. Mieux, il m’est même arrivé de disparaître en douce lors d’une invitation … chez moi ! Eh oui, laissant le papi se débrouiller …
Et en temps normal, comme une horloge, je démarre tous les soirs ma nuit avec un : « ah, il est 22.00, c’est mon heure ! »
Et bien c’est fini, l’effet Covid me donne des ailes et je franchis le cap de minuit sans l’inquiétude de ne pouvoir m’endormir.
Ce matin je m’installe à table pour préparer des cours. Comme j’ai mis la maison dans un énorme courant d’air et que je ne veux pas attraper la crève, je change de place et me trouve certes dans un environnement connu mais comme dans le désordre. Il va falloir que je m’y pose plusieurs jours pour rectifier peut-être quelques aménagements.
Ah si quand même. À cet endroit une chose magnifique. J’ai une vue directe sur l’immeuble où Djelika habite, si cela dure on se fera des coucous de loin !
Annie Jouga est architecte, élue à l’île de Gorée et à la ville de Dakar, administrateur et enseignante au collège universitaire d’architecture de Dakar. Annie Jouga a créé en 2008 avec deux collègues architectes, le collège universitaire d’Architecture de Dakar dont elle est administratrice.
Épisode 1 : AINSI COMMENÇAIENT LES PREMIERS JOURS CORONÉS
Épisode 2 : AVEC LA BÉNÉDICTION DE FRANÇOIS, LE PAPE LE PLUS AVANT-GARDISTE
Épisode 3 : SOCIALISER EN TEMPS DE COVID
Épisode 4 : PREMIÈRE SORTIE EN PLEIN COVID