VIDEOSURPLOMBER LE COVID-19 AU NOM D’UN COMBAT PERMANENT
EXCLUSIF SENEPLUS #SilenceDuTemps - C’est pour tenir ferme à l’idéal que j’ai basculé dans un autre registre du langage : la longue chanson dédiée à mon continent dont le destin ne se noue pas forcément aux évolutions d’une crise sanitaire
#SilenceDuTemps - J’avais, lorsque le nouveau Coronavirus avait dévasté nos cœurs en nous arrachant des êtres chers, signé quelques papiers, dont un hommage à Papa Diouf, dirigeant sportif de renommée mondiale. L’horizon incertain dans la grisaille des jours, j’écrivais pour faire face à mes peurs. J’écrivais pour inspecter un certain universel : le temps du monde était subitement dissous dans l’instant identique de son arrêt. Partout, le nouveau Coronavirus avait effacé les frontières et fait voler en éclats les nations pour nous exposer à nos fragilités communes, nos solitudes, nos angoisses. Affaissés, nos repères traditionnels : riches et pauvres, nord et sud, développés et sous-développés. La mort qui rôde rendait vains ces parallélismes. On le sait : rien ne peut être tiré d’un tel universel plutôt mortifère. Dès lors que le même sinistre s’installe sous le sceau d’une pathologie, j’ai pensé que les discours pessimistes ou optimistes n’avaient plus de sens. En revanche, il fallait juste faire face au nom de l’idée de justice qui, elle, depuis des millénaires, est increvable. J’ai préféré alors vivre à l’abri de l’idéal inscrit dans la figure de l’éternité d’un combat, plutôt que dans la croyance d’un après qui bouleverserait tout, surtout pour le continent africain. Pour ma part, une crise sanitaire imposerait plutôt quelques réformes dont on sait qu’elles n’ont pas la vocation de changer le monde. C’est donc pour tenir ferme à l’idéal, au principe affirmatif d’un pari, que j’ai basculé dans un autre registre du langage : la longue chanson dédiée à mon continent dont le destin ne se noue pas forcément aux évolutions d’une crise sanitaire. Il s’agissait, ainsi, de réaffirmer la permanence d’un combat et d’être ferme contre la tristesse des jours de terreur. J’ai plongé alors dans les moments de l’Afrique qui se dresse au-delà de la crise sanitaire. J’ai creusé pour retrouver de grandes voix dont le compagnonnage, lorsque l’incertitude et l’angoisse sont la règle, nous rappelle à notre devoir de vigilance, de lucidité et de courage. C’est donc au cœur de la crise sanitaire que j’ai écrit et publié ce texte mis en scène dans une vidéo réalisée par mon ami Pape Faye et ses équipes.
Afrique
À David Diop Mandessi qui nous montré les chemins de la poésie
La nuit traverse Dakar
flots de vagues nuageuses
échouées au loin des corniches
dans les sombres eaux de l’occident empli de vieux soleils
Doucement éclot le soleil de Gorée
l’aube enveloppe les clameurs océanes
halo de transparence
éclat de vie humide rayonnant
Surgit des abysses bleues
des ombres parties loin
dont les ombres sont toujours là
la pointe de l’Afrique qui hume de ses nasales millénaires
les spectres lointains
les souffles du monde
Surgit des échos de quatre cents ans de viol
mon matin de Cap Vert
bordé de silence
mon matin paré de mots neufs
de mots lueurs dans les allées sombres du temps
mon matin habité
ensorcelé
subjugué
matin debout de l’Afrique rebelle
Je suis cette voix qui rugit au soleil naissant des décisions cruciales
je suis l’Afrique mandésienne
au bout du rêve ample
de nos héritages pluriels
Nos générosités ont été bien défaites
je sais mais nous tenons au songe qui surprend
sentinelles de nos mémoires imparfaites
Je suis cette voix des gésines émancipatrices,
juché sur le toit du temps
je suis l’aube des terres colonisées
des lueurs florales du genre humain
je suis le cri primordial
la promesse initiale
je suis sapiens
je suis birrimien, éthiopien
je suis égyptien, saharien
je suis sahélien, nubien
je suis antique si ancien aux fond des brouillons précambriens
Je suis l’Afrique
au dos rebondi dressé
et au geste de baiser salé debout
humant les écumes des marées éperdues
de son nez épaté
debout
depuis les débris antiques
les éruptions volcaniques
les épreuves pyramidales
debout…
Je suis la clameur aurorale
des saisons de migrations sauvages
je suis l’anté
je suis le pré
je suis l’archéo
le paléo
je suis le commencement
le surgissement
le vagissement
comme les désirs aveugles les nuits de noces
Je suis le survivant des crimes contre l’humanité
debout dans le cœur des traites négrières
dans le cœur des annexions barbares
des apartheids ignares
des néocolonialismes périmés
je suis l’étrange des mondialisations capitalistes
le paria des démocraties inertes
dans le chœur mortuaire de représentations piégées
je suis le rire vivant
sauvage
banania
le sourire incandescent
puissant
qui illumine les poussées populaires
les révoltes atrabilaires
les colères salutaires
Je suis la terre
je suis le nouveau prolétaire
à l’assaut des sanctuaires mortifères
je suis la gueule sinistrée des midis échoués
dans l’abîme de l’Atlantique ensanglanté
dispersés par les vents de sables qui aveuglent les espoirs
anéantis dans les enclaves mortelles de l’Occident barricadé
je suis la sombre dépouille des jeunesses volées mais…
Je suis la vie
je suis la conscience des obstinations sourdes
je suis le petit matin du monde
je suis la furie aveugle des fureurs océanes
je suis le nègre gisant sur les plages
après les longues traversées du désert
de la mer
des enclaves
des lois meurtrières
je suis la jeunesse éclopée du monde
la laideur des marges
je suis la cendre des libertés incendiées
la cendre brûlante qui répand l’odeur âcre de l’égalité de la justice de la liberté
je suis le nègre des îles insurgées
le nègre des récits piétinés
le nègre négro des champs de coton de sucre
sur les routes
dans les caravelles primitives
Je suis le nègre des champs d’arachide
le nègre des plongées minérales
le nègre des refus séculaires
attentif au bout du petit matin à l’éclat ébène de corps tatoués
je suis le nègre aléatoire
le guérillero improbable …
Mais c’est le jour des résurrections
le jour des surrections
des insurrections triomphantes
le jour des noces enflammées
Je suis la force de vie qui monte
qui grimpe vers les altitudes inouïes
je suis l’increvable
l’inoxydable aussi loin
aussi longtemps que je remonte
dans le temps
Je suis l’Afrique des résistances intactes
des mémoires tenaces
je suis Chaka
je suis Samory
je suis Kimpa
je suis Biko
je suis Lumumba
je suis Funmilayo
je suis Mandela
je suis Cabral
je suis Zingha
je suis Machel Samora
je suis Kum’a Mbape
je suis Tamango
je suis Alinsitoye
je suis Louverture
je suis Lamine Senghor
je suis Nder au féminin
Nder en flammes du refus des oppressions
Nder des belles reines poétesses épiques des vers imprescriptibles
« Mourir libres plutôt que vivre soumises »
Dans la fièvre des tranchées de peine et de tendresse
je suis le poète des soleils nocturnes
je suis l’écho au présent de cette puissance stellaire aux noms inédits
moloyse
mandessi
labou tansi
u tamsi
césaire
senghor
damas
depestre
roumain
Et vous poètes invisibles des nuits de clair de lune
dont la voix seule est si clairement audible
conteurs de mes épopées immémoriales
Heureux ceux n’oublient point
qui savent vivre dignement
et connaissent du cœur le dictionnaire des prescriptions
heureux ceux qui écoutent les bruits de fonds de la scène du temps
qui se dressent pour la gloire
sur les chemins escarpés de la justice
heureux ceux qui savent ce qu’est le moment décisif
et montent au front du présent pour sculpter l’avenir selon leur volonté
Heureux les libres systématiques
les égaux du monde nouveau
de l’Afrique scintillante de mots nouveaux
Je sais bien
la vie est parsemée de pistes enchevêtrées
labyrinthes
dédales
sans haltes
je ne sais quel sentier risquer
mon rage me perd mais je défie les horizons ouverts
je sais que l’Afrique est en gésine
fruit des vigueurs tendues
de nos élans éperdus
croiser les indices
au hasard des détours
sur ces chemins qui ne mènent nulle part
je te suivrai alors terre mère
ombre de ton nombre
comptant les pas des surprises jusqu’aux confins de l’espoir
des signes constellés de ta silhouette
Au plus étroit des sentiers toujours tenir aux lueurs à venir
lors même avons-nous scruté la belle étoile
attentifs au ciel si clair
le long des nuits sombres
les symphonies n’éclairaient plus les sillons sinueux de nos rugissements
alors je puiserai au grenier vif les mots rebelles
et tresser le poème de nos combats impératifs
et les mots insoumis à l’assaut des citadelles rances
qui crient les péans égalitaires
des mots clairs
des mots Césaire
des mots Sédar
des mots Tansi
des mots Mandessi
des mots Mongo
des mots Thiong’o
des mots Dépestre
des mots Damas
des mots Fanon
des mots Anta Diop
des mots Soyinka
des mots Afrique pour sûr.
El Hadj Hamidou Kassé est philosophe de formation. Romancier, poète, essayiste, il a exercé en tant que journaliste dans le secteur privé et le service public. Ancien directeur général du Soleil, Kassé a publié, entre autres, Les Mamelles de Thiendella (Grand Prix de la République pour les lettres, 1995), Les Nuits de Salam, Les emblèmes du désir. Dans son élan poétique, il est un chantre de la beauté et de l’espoir.