LE FÉMINISME AFRICAIN N'A PAS ATTENDU L'OCCIDENT
Les femmes africaines luttent depuis des décennies pour construire leur identité et faire reconnaître leurs droits. Pourtant, elles se voient encore parfois dénier le statut de féministe. Une hérésie
«Vous ne pouvez pas proclamer qu’une idée ou un fait a été importé dans une société donnée, à moins donc de conclure aussi qu’à votre connaissance, il n’y a pas et il n’y a jamais eu, de mot ou d’expression qui, dans la langue indigène de cette société, décrit cette idée ou ce fait. » Ces mots de l’autrice et dramaturge féministe ghanéenne Ama Ata Aidoo illustrent parfaitement le procès inlassablement fait au féminisme, dès lors qu’il se rapporte aux filles et femmes subsahariennes ou afropéennes. Le féminisme serait ainsi une importation de l’Occident, une injonction de femmes blanches assénée aux femmes d’ascendance africaine, et allant à l’encontre des « vraies » valeurs – évidemment traditionnelles – de ces dernières.
Oppression et désirs d’émancipation
Comme si leur appartenance subsaharienne les dispensait de désirs d’émancipation. Qu’il y avait confusion. Et qu’il s’agissait d’une démarche inconnue pour elles. D’ailleurs, de qui pourraient-elles bien prétendre à s’affranchir, leur situation est si enviable ! Personnellement, j’aime à croire que de tout temps, dans toutes les régions – et pas seulement sur le continent –, des femmes africaines ont aspiré à régner sur elles-mêmes, à être libres et à utiliser cette liberté pour en libérer d’autres. Dans une perspective internationaliste panafricaine, c’est d’ailleurs ce que me semblent traduire les rencontres continentales qui suivront les indépendances, et qui verront le rassemblement des divers mouvements de femmes africaines de tout le continent.
Continuer à présenter le féminisme incarné par les femmes africaines comme l’émanation du féminisme des femmes blanches, quand on sait que, historiquement, l’oppression des femmes n’a connu aucune frontière ethnique ou raciale, c’est leur dénier toute singularité. C’est réfuter l’idée qu’elles aient pu être responsables, aspirer à prendre leur destinée en main, penser par elles-mêmes leurs oppressions, leurs problèmes, et envisager d’elles-mêmes les solutions possibles.