«IL FAUT ÊTRE DANS LA NUIT POUR LE FAIRE»
Malgré sa situation de handicap, Sidy plein d’inspiration, acteur et amoureux de l’écriture n’a pas voulu baisser les bras : il devient un «grand écrivain» qui a à son actif plusieurs œuvres
Né les années des indépendances, à Dakar, un homme multidimensionnel voire polyvalent, Sidy Boyan Mbaye a épousé la philosophie, l’économie et le droit. Un père de famille polygame atteint de la cécité à l’élite de sa vie, mais a eu la chance de voir son premier enfant ; ce qui n’a pas été le cas des autres. Malgré sa situation de handicap, Sidy plein d’inspiration, acteur et amoureux de l’écriture n’a pas voulu baisser les bras : il devient un «grand écrivain» qui a à son actif plusieurs œuvres. Faisons sa connaissance !
Difficile de dire qui est l’homme ! Sidy Boyan Mbaye est caractérisé par sa dimension spirituelle qui lui donne le courage de surmonter sa situation de handicap (visuel) et de percer le seuil des esprits. Le père de famille polygame qui vit avec ses épouses et enfants à Soumbédioune est atteint de la cécité à la fleur de l’âge. Mais il ne se plaint pas pour autant. Il puise sa force dans sa foi en Dieu, sa spiritualité. Grand par la taille, grand par ses idées, il vit dans un monde où, pour percer, l’on n’a pas besoin d’être un saint, dit-il. «Si ma vie à moi s’appelle l’enclos, c’est parce qu’il a pris un monde que j’ai voulu à mon image ; tout n’est pas qu’ordre et signification, calme et sérénités. Et pour accéder à ce monde, Dieu merci, tu n’a pas besoin d’être un saint, parce que les grandes choses sont toujours simples et que c’est seule la simplicité intérieure qui fait la grandeur de la personne», ajoute-t-il.
«…LE JOUR N’EXISTE PAS DANS MON MONDE… DONC L’APPARENCE N’EXISTE PAS CHEZ MOI»
N’allez pas demander la notion du temps, dont il n’a aucune emprise, à M. Baye. Encore moins celle de l’apparence qui «n’existe pas chez moi», car il ne peut voir ses enfants. «Je suis au crépuscule de ma vie, un habitant de la nuit éternelle, le temps n’a aucune emprise sur moi. Alternance du jour et de la nuit fonde le temps. Chez moi, le temps ne s’alterne pas, il n’a aucune possibilité de jour sans nuit mais aussi de possibilité de nuit sans jour. Oui ! Une longue nuit dans laquelle je suis. Le jour n’existe pas dans mon monde, je n’ai pas vu mes enfants donc l’apparence n’existe pas chez moi. Hegel et Platon disait : ‘’lorsque vos yeux physique s’estompent avec la tombée de la nuit, c’est là ou s’ouvre les yeux de l’esprit’’», confie M. Mbaye.
L’ACCIDENT DE VELO FATAL A LA VUE DE M. MBAYE
Sidy Boyan Mbaye n’est pas né avec son handicap visuel. Il a perdu la vue suite à un accident de vélo. «Je me souviens lorsqu’on était petit, j’étais avec un ami et on louait des vélos. C’était au niveau du stade Demba Diop. On conduisait, j’étais derrière, on est tombé et le bout du frein s’est pointé dans mes yeux. Heureusement, ça n’a pas atteint la partie noire. Il y avait du sang et on est allé à l’hôpital de Bopp pour récupérer des choses. Heureusement que l’iris n’était pas atteint, mais on avait sous-estimé l’ampleur des dégâts. Plus tard, on a constaté qu’il y avait une brèche d’air optique. Et, par la suite, on a transféré quelques échantillons en France pour les besoins d’analyses médicaux. Et, par-là, on a sauvé ma vie.» Il revient sur les durs moments qu’il a passé à l’hôpital. «Un jour, je suis retourné à l’hôpital pour dire aux médecins que ça ne va pas et je lui ai présenté mon diagnostic. Ils m’ont retenu jusqu’à 19 heures. Alors que le muezzin appelait à la prière, j’étais tombé dans un début de coma et ils ont eu du mal à me neutraliser et à m’emmener à l’hôpital Fann ; durant cette nuitlà, à deux reprises et après 10 jours de coma, Dieu me sauva la vie. Mais, j’ai perdu la vue. C’était en 1990, ça fait bientôt 32 ans.»
CE QUI EST ARRIVE A M. MBAYE, «CE N’EST PAS DE L’ECHEC ; C’EST PEUT-ETRE UNE VICTOIRE DE LA VIE PAR RAPPORT A LA MORT»
Malgré la tournure des choses, Sidy Boyan Mbaye refuse de parler d’échec. Au contraire, expliquant ce qui lui est arrivé, il pense qu’il s’agit d’une victoire de la vie sur la mort. «Ça dépend la manière dont-on voit les choses, c’est trop lourd de parler d’échec. C’est vrai que le succès n’est que le l’envers de l’échec. Pour autant, est-ce un échec ? Je ne pense pas ; c’est peut-être une victoire de la vie par rapport à la mort. Dans ces circonstances, peu de gens auraient pu échapper. Mais Dieu m’a donné la vie et me projette dans un monde extraordinaire : la nuit est belle, donc ce n’est pas de l’échec.» Ecrivain de son état, beaucoup de personne se pose la question à savoir comment Sidy Mbaye fait pour écrire, lui qui est dans «le noir».
Mais l’intéressé répond : «l’inspiration est la chose de l’âme. Issa Samb, paix à son âme, disait : ‘’écrire n’est pas donné à n’importe qui’’. Sinon, tout le monde serait écrivain. C’est des questions de l’âme ; ça ne vient pas de l’esprit. Comment j’écris ? Je n’ai pas trouvé de mot pour qualifier ce que je fais. Je ne peux apprendre à une personne comment on écrit et comment j’écris moi. Il faut être dans la nuit pour le faire. Je ne connais pas la page blanche, c’est un don de Dieu. Je peux écrire à tout moment, j’y peux rien. Vous présentez une feuille et j’écris toute la feuille. J’ai écrit un roman «la longue nuit». Ecrire pour moi, c’est transmettre mes pensées et vous me prêtez vos yeux.»