LA CHUTE DE L’ARBRE EMBLÉMATIQUE DE THIÈS
Les caïlcédrats, incarnant un charme écologique qui depuis l’époque coloniale bercent les férus de la nature, sont en train de tuer des populations de la ville
A Thiès, les accidents mortels impliquant des caïlcédrats centenaires constituent un véritable drame social. Et le décès tragique de l’élève de terminale aux Cours privés Moustapha Sourang, Aby Cissé, écrasée par un arbre géant le 31 mars dernier, est la goutte de trop. Le Quotidien fait un zoom sur ces drames provoqués par des caïlcédrats.
L’arbre emblématique de la Cité du rail tue. Les caïlcédrats, incarnant un charme écologique qui depuis l’époque coloniale bercent les férus de la nature, sont en train de tuer des populations de la ville. Sa dernière victime se nomme Aby Cissé. L’élève en classe de terminale aux Cours privés Moustapha Sourang, a été écrasée, ce jeudi 31 mars, par un caïlcédrat centenaire. Elle se trouvait à bord d’une mototaxi Jakarta, au quartier Ballabey 2, face à la Cité Ouvrière, derrière la voie ferrée, à quelques encablures du domicile familial. Sous le poids de l’âge, le caïlcédrat s’est écroulé sur elle et le conducteur de mototaxi. Ce dernier, plus chanceux, s’en est sorti vivant. Contrairement à la jeune Aby âgée de 20 ans qui, avec tout le poids de l’arbre qui s’est abattu sur sa frêle personne, a rendu l’âme quelques minutes seulement après son transfert au Centre hospitalier régional El Hadji Ahmadou Sakhir Ndiéguène de Thiès. Les habitants de Ballabey 2, alertés par le bruit de la chute du vieil arbre d’une centaine d’années, se sont rués sur les lieux pour constater les dégâts. Elles sont toujours bouleversées, une semaine après le drame. Difficile d’arracher un seul mot aux parents de la victime.
L’arbre emblématique de la Cité du rail a réservé le même sort, en octobre 2019, à Penda Cissokho. La maman de 3 enfants, âgée de 39 ans, est morte suite à l’affaissement d’un caïlcédrat sur un pan de son appartement sis au Service régional de commerce de Thiès. Elle était concierge dans cedit lieu. C’est suite à un orage avec des vents très violents, que l’un des caïlcédrats qui se trouvait à côté de l’appartement où la famille de Penda Cissokho logeait, s’est déraciné et est tombé sur le mur qui s’est effondré sur elle. Que dire de la maison du vieux Ibrahima Kaïré à côté de la station Total au quartier Mbarambara, près du marché Moussanté à Thiès ?
Un vieux caïlcédrat centenaire qui n’a pas résisté à la violence des vents lors d’une intempérie, s’est effondré sur la maison des Kaïré en juin 2018. Si aucune victime n’a été déplorée, plusieurs parties de la maison, des câbles électriques de la Senelec, ainsi qu’un tuyau de la Sde ont été endommagés. La brutalité de cette tornade avait également déraciné d’autres caïlcédrats qui jonchaient les artères, notamment à Grand-Thiès, Thiéty Kad, Moussanté, entres autres. Quid du caïlcédrat qui s’était affaissé sur les locaux de la Bourse du travail et qui avait créé une grande panique le 4 novembre 2021 ? Une situation qui pose la lancinante question de la gestion des vieux baobabs et caïlcédrats par les autorités compétentes, qui causent des accidents très fréquents dans la ville aux-deux-gares. Lesquels, «boisés depuis l’époque coloniale, sont encore debout mais, en réalité, ils sont morts, parce que les racines sont presque déjà mortes», avait déjà alerté le Colonel Baïdy Bâ, directeur des Eaux et forêts.
ADJARATOU SÈNE NDIAYE, DIRECTRICE DE L’URBANISME ET DE L’AMÉNAGEMENT DE LA VILLE DE THIÈS : «CE SONT DES ARBRES QUI ONT ATTEINT LEUR MATURITÉ»
«Le constat qui est fait aujourd’- hui, c’est que le parc de caïlcédrats est vieillissant parce qu’il date d’avant même les indépendances. Et donc, ce sont des arbres qui sont là mais qui ont quand même atteint une certaine maturité. Maintenant la collectivité, dans sa compétence de gestion de ses ressources naturelles, est censée assurer l’entretien, le suivi et la préservation justement de ses ressources naturelles. Et c’est la raison pour laquelle les mairies ont pour habitude d’effectuer chaque année, dans le cadre des opérations pré-hivernales, des opérations d’abattage et d’élagage sur les grandes artères de la ville de Thiès. En plus de ces opérations d’abatage et ou d’élagage, il y a tous les ans pendant l’hivernage, des opérations de reboisement pour renouveler ce parc de caïlcédrats vieillissants. C’est inscrit dans nos budgets. C’est vrai que cela n’a pas été fait dans la ville depuis quelques années mais, cette année, nous comptons prendre en charge cette préoccupation. C’est inscrit en bonne ligne dans les opérations que nous allons mener. Nous allons faire un recensement de tous les sujets menaçants avec les Eaux et forêts et les services techniques communaux et après, on va procéder soit à leur abattage s’il y a nécessité, soit juste à l’élagage des branches de ces arbres. Il faut aussi noter que depuis 2014, il y a quand même beaucoup de projets de reboisement, mais le point faible reste le suivi de ces campagnes. Et dans le cadre du projet de réhabilitation et de restauration des écosystèmes avec les allemands, qui a pris fin en 2018, on a eu à renouveler les lignées de caïlcédrats sur l’avenue Caen. On est en train de le suivre pour les encadrer, afin qu’ils puissent arriver à maturation.»
COMMANDANT DAOUDA NDIOGOU, CHEF DU SERVICE DES EAUX ET FORÊTS DE THIÈS : «IL EST URGENT DE RECONSTITUER LE PEUPLEMENT DES CAÏLCÉDRATS»
Les caïlcédrats sont vieillissants et il est urgent de reconstituer leur peuplement. C’est le diagnostic du Commandant Daouda Ndiogou, chef du service des Eaux et forêts du département de Thiès. Il a annoncé, dans ce cadre, un programme de reboisement de 40 mille caïlcédrats, pour reconstituer le peuplement de ces arbres emblématiques de la Cité du rail.
Des accidents mortels impliquant des caïlcédrats sont devenus fréquents à Thiès. Qu’est-ce que votre service prévoit pour régler ce drame social ?
D’abord, nous regrettons ce drame. Ensuite, il est important de noter qu’au niveau de Thiès, nous avons un peuplement vieillissant de caïlcédrats ou «khayes» en wolof. Et quand un peuplement est vieillissant, il est urgent de procéder au remplacement. Et pour restaurer, il faut d’abord faire un inventaire. Nous venons de terminer l’inventaire forestier du peuplement de khayes. Nous avons, à Thiès, 2955 pieds de «khaya senegalensis» de son nom scientifique, dont 31 pieds morts. Et nous avons constitué un projet de restauration de ce peuplement. Dans ce cadre, nous voulons travailler en synergie avec les collectivités territoriales. Nous avons reçu le maire de Thiès, Babacar Diop, et nous lui avons soumis le projet. Pour dire que nous sommes en train de voir comment le mettre en œuvre. Au-delà de ça, les Eaux et forêts ont déjà commencé la reconstitution de ce peuplement. De l’avenue Caen jusqu’à la station Elton à la sortie de Thiès, sur une linaire de 6 km, nous avons fait une plantation de khayes que nous arrosons chaque jeudi avec notre citerne. Notre mission, c’est de pouvoir reconstituer ce peuplement. Parce qu’un peuplement vieillissant, à un niveau, constitue un danger car les branches, de même que certains arbres, peuvent tomber à tout moment et causer des accidents. Maintenant, pour y remédier, il faut en amont mettre en œuvre ce projet qui permet de voir comment couper et ensuite replanter. On ne peut pas d’un seul coup tout couper. C’est un projet qui va se faire crescendo. Petit à petit, on va avancer. On recense les pieds morts et les pieds qui constituent un danger avant de restaurer. Pour cela, nous voulons l’appui des mairies surtout pour les gabions. Parce qu’il y a deux conditions idoines pour réussir une plantation : la protection et l’eau. C’est dans ce cadre que nous sollicitons l’appui de la commune pour qu’elle confectionne les gabions et nous, de notre côté, allons amener les plants directement, reboiser et assurer le suivi. Aussi, nous sollicitons l’implication des populations car planter c’est bon et facile, mais le problème c’est la réussite. Il faut donc nécessairement une implication des collectivités territoriales et des populations pour la réussite de ce projet. Parce que ce n’est pas un projet pour le service forestier seulement, il est aussi destiné aux populations de Thiès. Donc, nous voulons adopter une démarche inclusive et participative. C’est pourquoi nous invitons l’ensemble de la population thiessoise à adhérer au projet, pour qu’on puisse ensemble reconstituer ce peuplement. Parce que le khaya sénégalensia constitue l’arbre emblématique de la ville de Thiès.
Pensez-vous toujours qu’il vaut mieux abattre les caïlcédrats qui constituent un danger avant qu’ils ne s’abattent sur les individus ?
Oui. Parce que l’être humain est l’alpha et l’oméga de la gestion durable des ressources. C’est la base de tout. Donc, il faut nécessairement le protéger. Aujourd’hui, au niveau de mon département, quand on abat un khaye, c’est dans le but de protéger l’être humain. Donc tout arbre qui constitue un danger, mieux vaut l’abattre pour replanter. Ces arbres ont été plantés depuis 1940 par nos anciens, c’est à nous donc de restaurer cet écosystème. Et chaque fois qu’une autorisation d’abattage ou d’élagage est donnée par le service des Eaux et forêts, l’objectif est de protéger l’être humain. Nous ne donnons pas d’autorisation tous azimuts, nous le faisons dans un seul but : protéger l’être humain. Et c’est notre devoir.
Vous avez recensé 31 pieds morts sur 2955 après un inventaire forestier du peuplement de khayes, alors qu’il y a quelques années, le directeur des Eaux et forêts, Colonel Baïdy Bâ, avait indiqué que les caïlcédrats de Thiès sont debout mais sont tous morts, parce que les racines sont mortes. Ne pensez-vous pas qu’il y a plus de khayes morts que les chiffres que vous avez avancés ?
Le Colonel Baïdy Bâ a utilisé une métaphore pour dire qu’il y a plus de khayes morts. C’est comme quand tu compares un khaye à une personne centenaire, ses jambes sont fragiles. Ils peuvent tomber à tout moment. C’est une métaphore qu’il a employée. Parce qu’il y a certains khayes qui sont vieillissants, qui ont plus de cent ans et qui tiennent debout, mais au niveau des racines, ça ne tient pas et cela constitue un danger. Et le directeur a utilisé cette métaphore pour sensibiliser les populations par rapport à ce peuplement vieillissant qui constitue un danger. C’est pourquoi il est important de pouvoir mettre en œuvre ce projet de restauration des khayes. C’est l’occasion pour moi de faire un plaidoyer par rapport aux collectivités territoriales, pour les encourager à venir travailler avec nous dans ce projet. Parce qu’il faut que la commune de Thiès travaille en synergie avec les services forestiers et les populations pour pouvoir restaurer cet écosystème-là. La reconstitution est importante. Chaque jour au niveau de mon bureau, je reçois des demandes d’abattage ou d’élagage et à chaque fois, nous allons sur le terrain pour faire un constat. Si nous constatons la véracité de la demande, notamment que l’arbre constitue un danger, on est obligés de couper mais on exige ensuite à ce qu’on replante. Nous avons une pépinière au niveau de Diakhao, où nous produisons beaucoup plus de plants de khayes. Et à chaque fois qu’on coupe, on restaure.
Combien d’arbres comptez-vous planter dans le cadre de ce projet ?
C’est un projet de 40 mille caïlcédrats à l’échelle départementale. Actuellement nous avons recensé 2955 khayes. On a fait un inventaire et pris l’ensemble des paramètres. On a créé une carte d’identité pour chaque khaye. Si vous voyez aujourd’hui les khayes, il y a des écritures rouges. Donc pour chaque arbre, on a pris la circonférence, la hauteur, mais aussi la date de plantation. Cela nous permet de suivre l’évolution même de l’arbre. Et si aujourd’hui vous me dites khaye n°17, je peux géolocaliser l’emplacement. Cela permet de le suivre. Et même si on coupe, qu’on reboise et que ça ne donne pas d’ici 10 ans, le chef de secteur qui va venir ici saura que dans tel emplacement, il y avait un khaye. Cela nous permet de pouvoir restaurer. Notre ambition, c’est par rapport à cela. Il faut nécessairement qu’on restaure et pour cela, nous avons besoin de l’appui de tout un chacun, surtout de la population thiessoise et des collectivités territoriales.