«ON PARLE DE NGAGNE DIAW, MAIS JE SUIS SÛR QU’AILLEURS LA CONTAMINATION EST BEAUCOUP PLUS IMPORTANTE»
Va-ton vers un Ngagne Diaw bis ? Selon le Professeur Mamadou Fall, chef centre antipoison, le Sénégal n’a toujours pas une loi qui régule l’usage du plomb
Va-ton vers un Ngagne Diaw bis ? Le statuquo est de mise. Selon le Professeur Mamadou Fall, chef du Centre Antipoison, le plomb fait partie de la dizaine de produits suivis par l’Organisation mondiale de la santé (Oms) parce que causant un problème de santé majeur. En 2008, du fait d’une intense activité sur la matière, plusieurs enfants malades du saturnisme ont trouvé la mort au quartier Ngagne Diaw de Thiaroye sur Mer. Un problème de santé publique qui risque de se reproduire. Les autorités sanitaires n’ont pas de données pour mesurer l’ampleur des dégâts causés par ce produit. Un chose est clair, selon le chef du Centre Antipoison, le risque est là, à cause de la présence du plomb dans les activités telles que le recyclage des batteries automobiles et l’usage de la peinture dont certaines ne respectent pas la norme. Il est interrogé hier, jeudi 9 juin, lors d’une rencontre d’information et de sensibilisation sur les normes sur la limitation de la teneur du plomb dans les peintures. Le Sénégal n’ayant toujours pas une loi qui régule l’usage du plomb.
Quel est l’ampleur de l’infection à plomb ?
Au Sénégal, on ne peut pas connaître l’ampleur parce qu’il n’y pas de réglementation encore moins de contrôle. Par contre, en 2009 quand-même, les analyses qu’on avait effectuées sur la peinture avaient montré que 76% des échantillons avaient des taux très élevés de plomb. Depuis lors, il n’y a pas eu un nouvelle recherche, même si nous venons de finir un travail pilote. Sur 15 échantillons, il n’y avait qu’un seul avec un taux très élevé ; ce qui veut dire que nous avons encore des peintures à plomb qui circulent dans le pays.
Quels sont les impacts du plomb sur la santé humaine ?
Les impacts sanitaires c’est aussi bien chez l’enfant que chez l’adulte. Mais, comme la conséquence est très grave chez l’enfant, c’est pour ça que le monde entier veut agir. C’est un produit qui affecte le système nerveux de l’enfant, en diminuant son quotient intellectuel c’està-dire, tout ce qui est développement mental, apprentissage et mémorisation. Un enfant qui est né avec des taux de plomb très élevés, il ne sera pas extraordinaire qu’il ait des difficultés à l’école. Plus grave même, ça peut entrainer d’autres pathologies mentales qui vont affecter son développement. Chez l’adulte aussi, la conséquence est la même. C’est un métal qui affecte tous les organes, que ça soit le système nerveux, les reins. Ça peut augmenter la tension cardiaque. On a trouvé que c’est un produit qui peut modifier la fertilité chez les hommes, en modifiant les spermatozoïdes. Pourquoi dit-on que 90% du plomb qui infecte le corps humain se retrouve dans les os ? C’est un métal qui s’accumule dans l’organisme c’est-à-dire, si vous prenez une petite dose aujourd’hui, elle va se répartir dans l’organisme et 90% de celle-ci va aller dans l’os et peut y rester pendant très longtemps. Si l’exposition continue, le taux de plomb va augmenter au cours de la vie. Même si un traitement est fait, il ne peut qu’éliminer le plomb qui est dans le sang et dans les organes. Et une fois que ce traitement est fait, il y a un équilibre. Le plomb qui était dans l’os, va commencer à se redistribuer dans l’organisme et que, une fois exposé, ça sera extrêmement difficile voire même impossible d’enlever tout le plomb de l’organisme ; d’où la nécessité de faire la prévention, tout à ce qu’on ne soit exposé à des dérivés du plomb. On peut le faire en évitant d’utiliser des peintures à plomb.
Le recyclage des batteries automobiles est un facteur de contamination. Vu le développement de l’activité dans le pays, peut-on dire que le risque de contamination est grand ?
Partout où on fait la réparation, une récupération des batteries automobiles, on aura une émission de poussière de plomb. Et là où on essaie de faire la fonderie de plomb, forcément il y a des émanations de fumée. On le retrouve dans certains endroits de Colobane. Une étude nous a montré qu’aussi bien les mécaniciens qui récupèrent ces batteries, mais aussi les femmes qui essayent de fondre le plomb pour le transformer en plomb de pêche, sont très exposés. Et forcément, si on le manipule quelque part, on va polluer tout l’environnement et exposer les populations environnantes.
A part les batteries qui sont recyclés, existe-t-il d’autres matériaux qui favorisent l’infection au plomb ?
De manière générale, quand on travaille sur des métaux lourds, on a toujours des traces de plomb. Que ça soit les ateliers de menuisiers métalliques ou autres. C’est des faibles traces, mais ils peuvent exposer les individus, dans le long terme.
Peut-on retrouver le plomb dans nos aliments ?
C’est possible parce que le plomb a contaminé l’univers. Mais, on doit en trouver de très faible concentration. Si on ingère du plomb, il n’y a que 5 à 10% qui vont rentrer dans le sang. Par contre, par la respiration, on peut faire passer jusqu’à 50% ; raison pour laquelle la pollution atmosphérique et la poussière de plomb sont beaucoup plus dangereuses. Il faut tout faire pour que dans nos aliments la concentration en plomb respecte ce qu’on appelle les concentrations maximales admissibles.
Plus de dix ans après la contamination à plomb, est-ce qu’on peut parler toujours du cas Ngagne Diaw ?
Ngagne Diaw, ça date de plus de 10 ans. Depuis lors, certes, il n’y a pas eu de décès dû à ce plomb-là, mais les enfants qui étaient contaminés nécessitent un suivi. Depuis lors, nous, au niveau du Centre Antipoison, on n’a pas fait le suivi parce qu’on n’a pas les moyens de le faire. Cependant, nous n’avons pas d’alertes qui nous permettent de dire que les enfants sont encore sous risque. Par contre, les taux de plomb qu’on avait sur ces enfants-là, en 2008, c’est sûr qu’actuellement, il en reste encore dans leurs organismes parce que l’élimination est très lente. Si on a du plomb dans l’os, la moitié ne va disparaitre que 10 à 20 ans après. C’est dire qu’un enfant qui avait des taux de plomb très élevé, sans traitement, sera toujours au même niveau d’infection.
Qu’en est-t-il du risque encouru par ceux qui se sont installés sur le site ?
Le site a été nettoyé par les équipes de l’environnement. On y a enlevé des tonnes de produits qu’on a mis ailleurs. Et en principe, le site est beaucoup moins contaminé. Toutefois, un suivi est nécessaire. Même s’il est fait, c’est toujours bon de dire aux populations là où se mettre. On parle de Ngagne Diaw, mais je suis sûr que peut-être il y a ailleurs où la contamination peut être beaucoup plus importante parce que le contrôle n’est pas fait. Ce qui est important est que chacun comprenne qu’il y a diverses sources d’exposition au plomb et que là où chaque Sénégalais se trouve, arrive à discerner le risque. On attend énormément de l’Etat, mais le risque vient des populations. Si chacun s’y met, on peut diminuer le risque d’infection au plomb mais aussi à tous les autres produits chimiques.