DÉCODAGE DU LEGS CULTUREL DES BAYE FALL
Tissus « Njaxass », chevelure broussailleuse en rastas, sonorités et rythmes de tambour… Ces propriétés exclusives de la communauté Baye Fall émanent de Cheikh Ibrahima Fall. Retour sur l’origine des différents aspects de la culture de cette communauté
Tissus « Njaxass », chevelure broussailleuse (ndjagne) en rastas, sonorités des « zikrs » (Saam Fall) et rythmes de tambour (khiine) « jëf-jël »… Ces propriétés exclusives de la communauté Baye Fall émanent de Cheikh Ibrahima Fall. Ces styles, conformes aux principes de l’islam, contribuent à l’enrichissement du patrimoine culturel mouride. Retour sur l’origine des différents aspects de la culture de cette communauté qui a fait du travail un sacerdoce.
Un bonnet pour couvrir la chevelure souvent en mode rasta, un « njaxass », une ceinture et une sacoche pour garder les livrets de panégyriques … l’accoutrement du Baye Fall, c’est tout un style. Dans cette tenue, il est loisible de constater qu’il est aussi bien à l’aise dans la cuisine, qu’en cérémonie officielle. Baye Fall, n’est pas « rastaman » et vice-versa. Dans la forme, il peut y avoir des ressemblances, mais dans le fond c’est très différent, nous apprend Serigne Moustapha Fall ibn Serigne Modou Aminata Fall et petit-fils du premier khalife de la communauté Baye Fall. Les philosophies sont différentes. Être Baye Fall, c’est appartenir à cette communauté, se conformer aux enseignements de son fondateur. Être Baye Fall, c’est toute une philosophie, toute une spiritualité basée sur le « ndigël » et le « jëf-jël ». Il ne suffit donc pas de porter des dreadlocks pour se réclamer de cette communauté. Et Serigne Moustapha Fall, de préciser : « la coiffure de Cheikh Ibra Fall n’a rien à voir avec les rastas de certains musiciens actuels. Il n’avait pas le temps pour se faire faire des rastas ; sa chevelure était certes abondante (ndiangne) mais pas longue. Elle n’était pas sale non plus et pour la conserver propre, il se servait d’une écharpe ou d’un bonnet ».
Selon lui, les cheveux poussent et a force de ne pas les couper ils deviennent abondants. Cheikh Ibra Fall utilisait sa chevelure pour lui servir d’interface entre son crâne et les charges de bois morts et d’eau qu’il portait sur la tête, pour éviter de se blesser et pour amortir le poids des charges.
« C’est cette version que j’ai trouvée à la suite de mes recherches et c’est celle que je peux considérer comme l’histoire de la coiffure de Mame Cheikh Ibrahima Fall. Des interprétations et un phénomène de mode (rasta) peuvent être à l’origine de la coiffure très prisée par la jeune génération ».
« NJAXASS », UN ACOUTREMENT UNIVERSEL
À l’occasion des grands événements, les Baye Fall se distinguent par le port de cette tenue vestimentaire folklorique, qui traduit le charme aux yeux et dans l’esprit du novice. Du noir blanc au multicolore de l’étoffe, les tailleurs en font de toutes les couleurs et dans toutes formes, allant de l’habit dit « Baye Lahad », au « Turki Ndiarème », en passant par bien d’autres vêtements. Les hommes comme les femmes se plaisent dans les habits en « njaxass ».
Le « njaxass » est un mode vestimentaire très prisée et qui fait partie de l’identité culturelle de la communauté Baye Fall. Les hommes les femmes et les enfants en ont fait un style et une mode répandue dans le monde entier.
L’origine de cet accoutrement est liée à la philosophie du travail de Cheikh Ibra Fall, dont le détachement de toutes mondanités et le service pour son maitre, avait conduit à rafistoler ses habits pour donner le premier habit dont l’apparence à donner naissance au style « njaxass ». Pour la petite histoire, qui n’est pas un conte, précise Serigne Moustapha Fall, il faut retenir l’objectif visé par le Cheikh. « L’abandon de soi à la volonté divine pour atteindre le sommet de la réalisation spirituelle », indique-t-il. « Il n’avait qu’un seul habit qu’il portait tous les jours, jusqu’à ce l’habit se déchire du fait de la sueur. Alors les déchirures et les trous se multiplièrent et il se décide d’aller demande un habit en aumône, en cours de route il tombe sur un baobab nu à force d’être dépouiller de son écorce. Il lui vient à l’esprit les dures épreuves des aspirants en quête de l’agrément de Dieu », ajoute-t-il. « Cet arbre n’est allé nulle part à cause de sa nudité et le Tout Puissant va lui gratifier d’une nouvelle écorce, alors inutile de poursuivre ma voie, qui peut pourvoir un arbre peut en faire autant pour un être humain. C’est ainsi qu’il s’en est retourné à ses occupations. Pour préserver son habit, il greffait toute étoffe à sa portée à son habit, ce qui non seulement cachait l’habit déchirée, mais aussi donnait à cet habit patchwork, un aspect pittoresque raconte le descendant directe de Cheikh Ibrahima Fall », fait savoir Serigne Moustapha Fall.
LA BARAKA D’UNE TENUE DE TRAVAIL …
Les disciples de Cheikh Ibrahima Fall ont adopté comme identification et style d’accoutrement des « Baye Fall ». Un style qu’on rapproche souvent du patchwork. C’est un boubou à partir d’un tissu obtenu en recollant plusieurs morceaux de tissus, en majorité des reste de tissus ; d’où la multitude de couleurs et de qualité de l’habit qu’on en fait.
Le « njaxass » est aujourd’hui une création, partie intégrante de notre patrimoine culturel. Aujourd’hui, il n’est pas rare de voir des « njaxass » composé de tissus neufs de haute facture (Bazin, etc.) porté par des personnes respectables. Les femmes comme Mamy Ndiaye, une jeune styliste du marché Ocass en achète plusieurs couleurs de tissus Bazin, les découpe et les fait recoudre par un tailleur pour en faire un grand boubou de cérémonie. « À Touba, il n’y a pas de village artisanal, mais notre boutique Lamp Fall, habille de grands artistes et des personnalités Baye Fall et des touristes européens ». D’autres en font des caftans et des habits en demi-saison, un aspect folklorique qui s’ajoute au riche patrimoine Baye Fall.
Dans les villages artisanaux, révèle Souleymane Diouf, un Baye Fall artiste, le « njaxass » est un look qui attire les étrangers et ils en achètent pour en faire des cadeaux. Pour eux « cela fait très Africain », dit-il. Cadre dans une banque de Dakar, Modou Seck révèle qu’il ne rate jamais le mois de ramadan à Touba. « Dans la tenue de « njaxass », je me sens plus Baye Fall, ma femme Daba Fall et mon fils Cheikh « Bayou Goor » Seck, nous portons tout au long de ce mois béni des tuniques en noir blanc », dit-il.
Trouvée dans la cuisine installée à « Penthioum Palène », devant le domicile de son guide, Seynabou Diop, le port altier et la démarche assurée, laisse entendre qu’elle est une « Yaye Fall » authentique ». Autant le « njaxass » plait, autant elle est populaire et attrayant. C’est une marque déposée de Mame Cheikh Ibrahima Fall. Ces styles, tout en étant conformes aux principes de l’islam, contribuent à l’enrichissement du patrimoine culturel mouride en particulier et de notre pays en général. C’est un style vestimentaire jadis propre à la communauté « Baye Fall » et aujourd’hui adopté par beaucoup de Sénégalais sans lien avec cette communauté.
LA CEINTURE « TAKK-DER » OU « LAXASSAY » POUR UNE APTITUDE AU TRAVAIL
Dans sa quête de l’agrément de Dieu à travers son mentor Cheikh Ahmadou Bamba, Cheikh Ibrahima Fall était très inspiré. Revenant sur l’histoire réelle de cette ceinture de cuir, Serigne Moustapha Fall révèle qu’elle était utilisée par Cheikh Ibra plus pour son utilité que pour des raisons esthétiques : Dans le port vestimentaire des « Baye Fall », la ceinture aux reins constitue un élément de distinction important. Les disciples sont souvent désignés comme « takk-der » ou « lakhassay » qui fait référence à la ceinture Cheikh Ibrahima Fall.
Pour Mamoune Ndiaye, Baye Fall habitant du quartier Keur Cheikh à Diourbel, la ceinture est très indiquée pour les travaux nécessitant le transport du matériel lourd. Les Baye Fall l’utilisent pour les travaux champêtres, mais aussi dans les constructions et le transport des bols à Touba. « Il faut avoir cette ceinture pour être en bonne santé et tenir des heures de travail », soutient Serigne Moustapha Fall qui révèle aussi que Cheikh Ibra a vécu 13 ans avec le Cheikh avant la déportation (1881 à 1895). Et pendant tout ce temps il avait sa ceinture avec lui.
De Mbacké Cadior où il a fait son allégeance à Thieyenne Djoloff, puis à la Mauritanie ensuite à Thieyenne Djoloff pour terminer par Diourbel dernière étape du Cheikh en résidence surveillée. Cette ceinture a été très utile aux talibés Baye Fall et Mourides, infatigables et ardents travailleurs sur le chantier de la belle mosquée de Diourbel, cette large ceinture est restée un attribut du Baye Fall.
« KHIINE » ET « ZIKRS » POUR GALVNISER LES TROUPES
Serigne Modou Mamoune Niang, racontait que lors de son bref séjour à Touba, Cheikh Ahmadou Bamba entonnait lui-même des « zikrs » « il n’y a de divinité qu’Allah (la illaha illalah) » que les disciples reprenaient en chœur. Cheikh Ibra Fall lui aussi faisait le « zikr » et ne l’a jamais abandonné. Cela fait partie des attributs du seigneur à Cheikh Ibra : Travailler tout en faisant du « zikr », pour la face de Dieu, personne ne l’a fait avant lui.
Pour les percussions, Cheikh Ibra Fall n’avait qu’un seul rythme : le « jëf-jël ». C’est son premier khalife Serigne Modou Moustapha Fall qui est à l’origine des formes actuelles dans le rythme. Il disait avoir constaté que le tam-tam galvanisait et augmentait l’ardeur des jeunes hommes et des femmes. Le guide spirituel s’était entouré de griots qui battaient le tam-tam pour galvaniser les foules dans les champs. Cependant, ces tams-tams ne résonnaient qu’en cas de « Ndigël », pas avant ni après, a expliqué Serigne Moustapha Fall Modou Aminata.
Cheikh Ibrahima Fall, le fondateur de la communauté Baye Fall est l’auteur de toute cette panoplie de pratiques cultuelle et culturelle, qui gravite autour de l’amour du travail élevé au rang de culte au sein de la communauté Baye Fall qui est à l’avant-garde de la voie mouride.