LE DEFI DU DIALOGUE
Le jusqu’au-boutisme érigé en règle de conduite par le pouvoir et l'opposition peut-il permettre de dégeler la situation de forte tension politique que vit actuellement le Sénégal ?
Face à la forte tension politique alimentée par deux irrédentismes incompressibles voire deux logiques de confrontation jusqu’au-boutistes, le Sénégal se retrouve engagé dans un cycle de manifestations politiques violentes qui risque à terme de mener à la déflagration, sinon à l’implosion tout court. D’où la nécessité d’un dialogue politique sincère, normé et conditionné qui puisse substituer le temps de l’apaisement et de la définition des règles du jeu à celui de la compétition. Histoire de régler définitivement les points de distorsion du processus électoral : éligibilité, articles L 29 à 31 du Code électoral, parrainage citoyen…
A l’entame de son année préélectorale, le Sénégal n’est pas seulement sous l’emprise d’une crise qui sape les bases de son économie, sous l’effet conjugué des retombées de Covid-19 et de la guerre russo-ukrainienne. Un danger plus menaçant guette le pays, avec la forte tension qui environne le champ politique aux prises à un mortal kombat entre le pouvoir en place et son opposition. Conséquence : les libertés individuelles et collectives mises sous l’éteignoir, les arrestations se multiplient au sein des forces de l’opposition, principalement de Pastef-Les Patriotes qui porte la candidature d’Ousmane Sonko. Dans cet irrédentisme du régime en place, via l’instrumentalisation de l’appareil répressif d’Etat, les professionnels des médias ne sont pas épargnés : certains d’entre eux sont interpellés et mis au gnouf pour des incriminations aussi abusives que fallacieuses. Pis, l’espace public est transformé en arène d’invectives et de grossièretés jusqu’au-boutistes et alarmantes. Et tout ça dans un contexte général de suspicion sur le processus électoral, de polémique autour de toute troisième candidature à la magistrature suprême, d’incrimination d’une justice aux ordres, de manifestations meurtrières sur fond de procès tendancieux contre Ousmane Sonko.
C’est d’ailleurs dans ce contexte de confrontation très tendu que le président Macky Sall a lancé, le jour de la Korité 2023, un appel au dialogue envers toutes les forces vives de la Nation, opposition comme organisations socio-professionnelles, société civile comme mouvements citoyens. Une main tendue que la coalition majoritaire Benno Bokk Yaakaar, comme l’ensemble de ses alliés et soutiens, a appréciée dans le bon sens en invitant l’opposition principalement à y souscrire pour permettre un dégel de la forte tension politique et surtout pour faciliter les conditions d’un consensus autour des règles du jeu politique et l’organisation d’une présidentielle apaisée.
L’OPPOSITION EN MODE DENI
Cet appel au dialogue du Président Macky Sall n’a pas reçu l’onction de l’opposition. Ils ont été nombreux, les responsables politiques du camp anti-Macky à récuser la main tendue du chef de l’Etat, pour diverses raisons. A l’instar d’Aminata Touré, l’ex-Première ministre devenue opposante, selon qui l’appel au dialogue de Macky Sall est une stratégie pour diviser l’opposition. « Cet appel au dialogue du Président Macky Sall est en réalité une tentative de division de l’opposition et de la société civile regroupées au sein de la Plateforme des Forces vivesF24. Restons unis, mobilisés et vigilants», avait déclaré Aminata Touré, Présidente du Mouvement Mimi2024 et candidate déclarée à la présidentielle. Dans la même mouvance, le député de Yewwi Askan Wi, Guy Marius Sagna, dira : «Macky fait semblant d'oublier que le 07 mars 2023, nous avons déposé sur la table de l'Assemblée nationale une proposition de loi pour la modification des articles L29, L30 et L57 du code électoral. Macky et son groupe parlementaire Bby refusent de discuter de cela à l'Assemblée nationale. Comment quelqu'un qui empêche un dialogue prévu par la Constitution dans l'Assemblée nationale peut-il inviter au dialogue ?».
Et d'enfoncer le clou dans la foulée : « En réalité, celui qui est le plus contre le dialogue dans ce pays est celui qui crie le plus au dialogue, car l'étouffant à l'Assemblée nationale : Macky». La posture de refus est également partagée chez beaucoup d’autres responsables anti-Macky qui voient dans cet appel une combine pour réduire l’opposition à sa plus simple expression, voire «une insulte à l'égard de l'opposition». Le président du Mouvement "Agir", Thierno Bocoum, dira pour sa part face à l'appel de Macky Sall que «La seule oreille attentive que nous prêterons au président de la République, c’est lorsqu’il déclarera qu’il ne sera pas candidat à l’élection présidentielle de 2024. Il pourra ainsi conduire un processus de dialogue pour une élection présidentielle apaisée, inclusive, libre et transparente». Une position qui épouse celle de l’opposition regroupée au sein de la plateforme Mouvement des forces vives du Sénégal F24. Réagissant à l’appel au dialogue national du président de la République, le Mouvement des forces vives du Sénégal a assorti sa participation de conditions. Il exige, entre autres conditions, la déclaration de non-candidature du chef de l’Etat à la Présidentielle de 2024, des élections inclusives et la libération des détenus politiques. Le F24 entend de fat participer au dialogue, «si et seulement si le chef de l’Etat respecte ces conditions posées sur la table».
L’URGENCE DU DIALOGUE
Le jusqu’au-boutisme érigé en règle de conduite par les deux camps peut-il cependant permettre de dégeler la situation de forte tension politique que vit actuellement le Sénégal ? Il reste envident en effet que malgré ses failles, le dialogue esquissé par le Chef de l’Etat et son camp reste une solution de sortie de crise. Et cela, même si d’expérience récente, l’opposition peut exhiber moult preuves d’instrumentalisation des divers moments de dialogue politique pour imposer des lois taxées de «scélérates». A l’instar du fameux parrainage citoyen qui a empêché en 2019 certains acteurs politiques de se présenter à l’élection présidentielle. Allez demander à Bougane Guèye Dany de Gueum sa Bopp ou autre Malick Gakou du Grand parti !
Seulement, à moins de 10 mois du scrutin de février 2024, il urge de trouver les consensus nécessaires autour du processus électoral. Histoire de garantir une présidentielle apaisée. Comme le recommande fortement l’expert électoral Ndiaga Sylla, qui vote pour le dialogue appelé par le Président Macky Sall. Tout en recommandant aux acteurs politiques de prendre part à ces échanges. « Il ne faut pas confondre le temps de la compétition et le temps de la définition des règles du jeu ». le dialogue serait donc chose à laquelle il faut souscrire dans le cadre d’une temporalité bien ordonnée, en rapport avec les impératifs du protocole additionnel de la Cedeao sur la démocratie et la bonne gouvernance. Un protocole qui enjoint « les Etats parties à ne pas modifier substantiellement la loi électorale à six mois sauf si cela découle d’un large consensus des acteurs ».
A défaut de ce dialogue qui fait l’actualité depuis la prise de position du Président Macky Sall lors de son discours à la Nation du 03 avril dernier, réitéré lors de la fête de la Korité, le Sénégal pourrait sombrer dans une crise politique qui saperait les fondements mêmes de la démocratie. La logique de la confrontation ouverte que se partagent les deux camps a déjà montré à quel point elle était délétère pour un pays comme le Sénégal. Comme en témoignent les manifestations violentes suivies de morts d’hommes de mars 2021 à aujourd’hui, avec des conséquences dantesques sur les activités économiques.
D’ailleurs, le fondateur d’Afrikajom Center, Alioune Tine ne s’y est pas trompé en avertissant que « Si le dialogue n’a pas lieu ou échoue, il faut s’attendre à la déflagration». Pour autant, il n’en estime pas moins que la sincérité et la bonne foi restent les conditions indispensables au succès du dialogue et à ce niveau, le président de la République, Macky Sall, aurait les solutions pour créer la confiance. Aussi dira-t-il que « Le dialogue est la voie du salut, de la paix, de la réconciliation et de l’unité retrouvée du peuple. Créer un contexte de confiance dans le malaise politique ambiant est nécessaire pour mettre à l’aise tous les acteurs: libération de tous les détenus politiques, régler l’éligibilité ». Et ce d’autant plus, conclut-il, qu’à défaut de dialogue ou d’échec des concertations, on peut s’attendre à des « affrontements qui ne manqueront pas d’aggraver la vulnérabilité par rapport aux menaces qui sont à nos frontières. On a tous intérêt d’éviter les scénarii du chaos et de l’incertitude ». Les acteurs politiques arriveront-ils à sauvegarder la paix civile face à la boulimie de pouvoir et aux ambitions présidentielles incompressibles ? Pour l’intérêt exclusif de la Nation. C’est là toute la question que l’avenir aura à élucider.