«LE TRIBUNAL SOCIAL EST MALHEUREUSEMENT TRES SOURNOIS ET FAIT PLUS DE DEGATS QUE LA GROSSESSE ELLE-MEME»
Les conséquences sur la santé mentale et physique de la jeune maman sont terribles, selon le psychologue Dr Papa Ladjiké Diouf qui s’exprime sur les souffrances endurées.
De jeunes filles se sont aujourd’hui brusquement et violemment conduites dans une vie de détresse, d’angoisse et de charge bien très lourde sur leurs épaules. Les conséquences sur la santé mentale et physique de la jeune maman sont terribles, selon le psychologue Dr Papa Ladjiké Diouf qui s’exprime sur les souffrances endurées. Pour l’enfant, dit-il, l’affectivité maternelle en prend le plus souvent un gros coup.
En général comment se comporte une jeune fille devenue très tôt maman par accident social suite à une grossesse non désirée ?
Quand on parle de grossesse, il y a cette relation de partenariat relationnel entre la mère et le bébé. Qu’elle soit désirée ou pas, il y a toujours des conséquences au niveau psychique de la mère et du bébé. En cas de grossesse non désirée, il y a des répercussions qui peuvent être très négatives au niveau du développement moteur du bébé, et de son évolution comportementale. On dit souvent que cette dépression-là, qui survient avec cette grossesse non-désirée, a des conséquences sur la santé de la maman en général, notamment celles physiques et psychologiques, mais aussi sur celle du bébé au niveau moteur, cognitif... Il y a des spécialistes comme Fiaulde lequel parle de transmission prénatale des mécanismes de détresse psychologique chez le bébé. Le fait que la grossesse soit non désirée, la pression au niveau social et surtout familial, -dès fois on demande à cette jeune fille de choisir entre l’enfant qui va naitre et sa propre famille-, c’est très violent, très brutal. Ce qui amène certaines jeunes mères à aller vers l’avortement qui a des risques, ou le pire qui est l’infanticide. Généralement, il y a toute cette pression sociale autour de la grossesse non désirée. Il arrive dès fois même dans un ménage, que la grossesse soit non désirée. Quand il y a cet élément-là du fait que la grossesse n’est pas désirée, l’affectivité maternelle en prend un gros coup. Ce lien affectif qui devait exister entre le bébé et la mère qui l’a porté devient comme influencé négativement par l’état d’esprit de la mère, sa santé mentale et physique définitivement.
Quelles sont les conséquences de cette expérience douloureuse sur le plan psychologique?
Généralement, il y a comme un niveau de détresse psychologique qui accompagne cette réalité. Un niveau de détresse psychologique qui a des conséquences sur l’enfant. Il y a un gros risque à développer comme une dépression autant pendant la grossesse qu’une dépression post partum. Dès fois même, des idées suicidaires peuvent apparaitre de cette jeune mère. Dans nos communautés, cela va souvent aller jusqu’à l’infanticide ou même certaines que leurs parents, maman, grande sœur ou un parent influent dans la maison accompagnent à faire un avortement. Ce sont des avortements risqués. Mais si l’enfant arrive à naitre, parce que dans le ventre de sa maman, l’enfant, par rapport à ce lien, perçoit les émotions de sa mère. Donc la santé mentale de la mère a un impact sur la santé physique de l’enfant, mais aussi au niveau comportemental. Cette détresse de la mère devient une sorte de détresse auprès du bébé. Et souvent si l’enfant arrive à naitre, il porte cette détresse de la mère. Généralement cet enfant peut être victime de privation d’affection autant de la part de sa propre mère qui l’a mise au monde mais également de l’entourage de cette mère. L’enfant peut être victime de négligence et de mauvais traitement ou d’abandon. Beaucoup d’enfants sont jetés à la rue s’ils n’ont pas eu la chance d’être confiés à une pouponnière. Ce rejet de la famille augmente la détresse et le sentiment de rejet de la mère vis à vis de cet enfant. Si jamais cet enfant grandit dans la famille, généralement, c’est un enfant à qui on va rappeler tout le temps qu’il n’a pas été désiré. En revanche, il y a des familles, -c’est des exceptions-, où quand la vague passe, on se ressaisit et accueille l’enfant, et aussi aider la mère à bien élever son enfant. Mais généralement, c’est l’autre élément de rejet. Ce qui amène cette mère-là à perdre l’estime de soi, la confiance en elle. C’est très fréquent. Une personne qui rentre dans une dépression et qui vit une détresse psychologique énorme.
Dans beaucoup de familles, on a cette pudeur d’aborder les questions de sexualité avec les enfants. Ce manque de dialogue, de communication n’est-il pas un facteur favorisant ?
Par rapport à la réalité de l’éducation à la sexualité, c’est un gros défi à relever. On avait des mécanismes traditionnels comme le fameux «Leul» où la communauté, certains membres de la famille se chargeaient de cette éducation à la sexualité. Que ce soit les hommes ou les femmes. Malheureusement dans beaucoup de communautés, on s’est rendu compte que ces mécanismes ont disparu. Il n’y a rien qui les remplace. Avec ce vide, l’Internet, les réseaux sociaux ont malheureusement occupé ce vide. Aujourd’hui, beaucoup de jeunes apprennent à travers leurs paires ou la pornographie, Internet... D’où les conséquences énormes au niveau de l’équilibre de leur sexualité et de la façon dont ils vivent et comprennent leur sexualité. Cela a aussi des conséquences énormes. Même pour les adultes qui rentrent en couple, on se rend compte que c’est un gros défi. L’équilibre au niveau de l’intimité du couple est devenu un gros défi. Les gens se cachent derrière des produits pour booster leur partenaire ou se booster eux-mêmes dans leur sexualité. Beaucoup ne connaissent vraiment pas leur corps. C’est difficile quand on ne connait pas son corps d’aller découvrir le corps de l’autre. C’est un enjeu majeur dans beaucoup de couples. Maintenant, en ce qui concerne ces jeunes, on se rend compte que le fait d’être très peu éduqués, très peu sensibilisés à ces questions-là les amène très souvent à être très vulnérables. Surtout quand ils font face à des personnes expérimentées et dès fois même à des prédateurs. Que ce soit au sein ou en dehors de la famille. C’est à partir de ce moment que les risques de grossesse non-désirées vont être présents. Il y a beaucoup de travail à faire sur la sensibilisation et l’éducation à ces questions. Et éviter de faire du déni. Parce qu’il y a beaucoup de dénis sur ces questions dans nos communautés.
Et le regard de la société..?
Quand la grossesse arrive, les conséquences sont là; au niveau à la fois psychique, psychologique, social... Mais la réalité, c’est surtout les conséquences sociales. Le tribunal social est malheureusement très sournois. Mais il fait plus de dégâts. Parce qu’il y a ce rejet. La personne est pointée du doigt comme étant une personne de mœurs légères, une mauvaise personne. Une étiquette qui, malheureusement va suivre cette femme et cet enfant né de cette union. Les hommes, dans nos communautés, très souvent, sont des privilégiés dans ce sens. Il y en a même qui s’en vantent. Moi j’ai vu dernièrement à la télé un homme qui se vantait d’avoir engrossé plusieurs femmes. Où sont tous ces enfants-là. J’ai travaillé en zone sud où il y a beaucoup d’enfants qui ne connaissent pas leurs pères. C’est un gros problème dans nos sociétés. La plupart de ces enfants ne sont pas déclarés. Ils vivent dans un pays. Mais c’est comme s’ils étaient des citoyens entièrement à part. Qui ne sont pas des citoyens à part entière. Je pense qu’il faut s’adresser au niveau juridique, social, dans les familles. Parce qu’un enfant a une mère mais il a aussi un père. Généralement les hommes sont protégés. Et puis, du point de vue même de ce tribunal social, un homme à femmes, on dit qu’il est don juan, qu’il est adulé même des fois. Mais une fille à gars, elle est vue comme une pute. C’est comme des soubassements d’une conscience collective reliée aux rapports de sexe. C’est pour dire que les conséquences sont nombreuses et peuvent être désastreuses. Les prisons pour femmes sont remplies de femmes qui ont commis un infanticide. Mais on traite l’infanticide, c’est comme si on traitait juste la fumée et le feu continue à brûler. C’est-à-dire que les vraies causes au niveau social ne sont pas réellement adressées. Un gros problème au niveau de nos sociétés où l’on veut changer les choses mais on continue à adopter les mêmes comportements. Et on veut des résultats différents. C’est aussi assez complexe. Plus d’éducation, je pense, plus de de sensibilisation, et puis aussi, au niveau juridique, changer certaines législations. Je pense que certaines législations doivent être vraiment changées pour donner plus d’équilibre sur ces questions.