«A BORD DES PIROGUES EN BOIS, LES PASSAGERS N’ONT AUCUNE CHANCE D’ARRIVER AUX ILES ESPAGNOLES»
Le Contre-amiral Abdou Sène, chef d'Etat-major de la marine nationale explique la gestion des urgences en mer en cette période de « Barça » ou « Barsakh »
Le Contre-Amiral (Général) Abdou Sène est le Chef d’Etat-major de la Marine nationale (Cemmarine). Fort d’un cv kilométrique, il fait partie des plus brillants officiers généraux de la Marine sénégalaise. Ancien conseiller de défense du Premier ministre et ex-secrétaire général de la Haute autorité chargée de la Sécurité maritime, le général Abdou Sène est diplômé de la prestigieuse Ecole navale de Brest (France) et du Naval War Collège (Usa). Il est également titulaire d’un master en relations internationales de l’Université de Salve Regina (Usa). Officier-général aux compétences et expériences professionnelles avérées, le Contre-Amiral Abdou Sène nous explique la gestion des urgences en mer en cette période de « Barça » ou « Barsakh ». Interview exclusive !
Le Témoin : Mon Général, lors de sa prise de commandement, le Cemga a décliné sa feuille de route qui s’articule autour de la sécurisation totale du territoire national ainsi que ses frontières. Quel est le rôle de la Marine nationale dans ce dispositif sécuritaire ?
Contre-amiral Abdou Sène : Je voudrais tout d’abord rappeler que la Marine nationale est une armée de mer dont la mission fondamentale est définie par la loi 70-23 du 06 juin 1970, modifiée. A ce titre, le rôle de la Marine, dans le dispositif sécuritaire préconisé par le Chef d’Etat-major général des armées(Cemga), s’inscrit dans le cadre de la posture permanente de sûreté qui garantit l’intégrité du territoire national. Pour cela, la Marine nationale est considérée comme une sentinelle en mer face à toute menace venant du large voulant atteindre des objectifs à l’intérieur du territoire. Parallèlement, elle s’engage aussi, en permanence, aux côtés des autres armées de terre et de l’air, dans des opérations interarmées sur le territoire national et, en cas de besoin, sur un théâtre extérieur en mettant en œuvre des moyens de projection de forces. En outre, la Marine nationale mène des missions de l’action de l’Etat en mer en assurant une surveillance permanente de notre espace maritime dont la superficie est de 212.000 km2 afin de protéger les ressources animales ou minérales qui s’y trouvent et de lutter contre toute activité illicite ou illégale dans cette Zone économique exclusive.
Mon Général, jamais la Marine nationale n’a été autant équipée, modernisée et bichonnée que sous le président de la République Macky Sall, Chef suprême des Armées. Qu’est-ce qui justifie l’acquisition de nouveaux équipements et armements ?
Une bonne question ! Vous savez, l’acquisition de ces nouveaux équipements relève d’une vision stratégique et d’une posture d’anticipation du Président de la République, Chef suprême des Armées. En fait, c’est la traduction d’une véritable stratégie navale qui s’inscrit dans le cadre du format Armées 2025 et qui prend en compte aussi bien les menaces classiques que les problématiques liées à la maritimisation renforcée de notre économie nationale, surtout avec l’exploitation future du pétrole et du gaz offshore. Il s’agit donc, pour Monsieur le Président de la République, Chef Suprême des armées, de créer les conditions de sécurité qui garantissent l’intégrité du pays et la durabilité de notre économie bleue et, pour cela, la Marine nationale en est le principal acteur.
Depuis quelques mois, la migration clandestine s’est accélérée dans l’Atlantique prenant des proportions le plus souvent dramatiques. Comment ces pirogues battant pavillon « Barsa-Barsakh » peuvent-elles échapper à la vigilance de la Marine nationale jusqu’à s’échouer au large des côtes marocaines ou espagnoles ?
Tout d’abord, avant de répondre à votre question, vous me permettrez d’avoir une pensée toute pieuse à l’endroit de tous ceux qui ont péri en mer en empruntant cette voie risquée d’une émigration clandestine et de formuler des prières pour le repos de leurs âmes. Je présente aussi mes condoléances les plus attristées à leurs familles respectives. Je suis d’autant plus peiné que la posture de la Marine nationale est de prévenir afin de sauver des vies en mer. Car ceux qui empruntent les pirogues ou les embarcations de fortune ignorent le plus souvent l’hostilité et les dangers de la mer. Quant à votre question, la réponse est liée à la longueur de nos côtes, plus de 700 kilomètres à surveiller. Toutes les Marines nationales du monde vous le diront, c’est quasi impossible de mettre en permanence des patrouilleurs pour surveiller tous les points départs qui sont en plus clandestins. Nous marquons l’effort de surveillance sur des zones particulières mais, pour être efficaces, il faudrait du renseignement précis sur les départs des pirogues. Il est clair qu’il y a des complicités de populations à terre car le voyage en mer nécessite toute une logistique et donc toute une préparation voire organisation qui ne peut passer inaperçue. D’ailleurs, je profite de l’occasion pour inviter les populations à briser l’omerta en collaborant avec les forces de défense et de sécurité (Ndlr : Armée, Gendarmerie, Police, Douane etc.). Dénoncer les éventuels départs clandestins, c’est sauver des vies !
« Le Témoin » quotidien a appris que certaines barques en provenance de pays voisins réussissent, dés fois, à contourner le dispositif de surveillance de la Marine sénégalaise. Vous confirmez ?
Vous savez la mer est vaste et il est impossible, comme à terre, de mettre un dispositif pour bloquer des routes ou des axes de progression, surtout pour des pirogues utilisant différentes manœuvres et routes pour remonter vers les îles Canaries. D’ailleurs, la Marine a eu à arraisonner récemment une pirogue où la majorité des passagers clandestins venaient d’un pays voisin. Il faut aussi comprendre que la problématique ne concerne plus seulement de jeunes Sénégalais ; il y a aussi d’autres candidats qui viennent de pays voisins.
« Le Témoin » quotidien tient à magnifier les opérations de surveillance et de sauvetage de la Marine sénégalaise qui porte secours régulièrement à des migrants clandestins après avoir intercepté leurs embarcations. Comment les unités de la Marine nationale tentent-elles d’arrêter la mer de l’émigration clandestine avec les…bras ?
Tout d’abord, je vous remercie pour ce témoignage car nous exerçons un métier difficile dans un environnement hostile même pour les professionnels que nous sommes. Par ailleurs, il est clair que nous ne pouvons pas « arrêter, comme vous dites, la mer de l’émigration avec les … bras ». Mais la Marine sera toujours dans cette posture permanente qui vise à sauver des vies humaines car, pour nous qui connaissons la mer, à bord des pirogues en bois, il y a plus de chance, pour les émigrés clandestins, de mourir en haute mer que d’arriver aux îles espagnoles.
Pouvez-vous nous donner le bilan des opérations de ces derniers mois dans la lutte contre l’émigration clandestine par voie maritime ?
Pour cette année, au moment où je vous parle, la Marine a arraisonné huit (08) pirogues et a porté secours à plus de 500 personnes dont des ressortissants de pays voisins qui étaient dans des situations extrêmement difficiles en mer. Des opérations ont été aussi menées pour secourir des dizaines de naufragés dont les pirogues ont été renversées par les vagues au large de nos côtes.
Il y a deux ans, la Cour des Comptes de l’Union européenne déplorait le laxisme et l’inefficacité de l’Agence « Frontex » compte tenu de la multiplication des flux migratoires. Qu’en pensez-vous ?
Vous pouvez comprendre que je ne pourrais répondre à cette question qui ne me concerne pas.
Que répondez-vous à ceux qui disent que la Frontex a atteint ses limites…
Je n’ai pas d’éléments scientifiques pour pouvoir évaluer l’efficacité ou non du dispositif Frontex maisil est clair que, pour la Marine nationale, de jeunes marins travaillent jour et nuit, qu’il pleuve ou qu’il vente, dans la solitude, affrontant des mers déchainées avec beaucoup de risques, d’abnégation et de patriotisme pour protéger et sauver des compatriotes qui risquent leurs vies en mer. C’est le lieu de les féliciter et de les encourager dans l’exercice de leurs missions régaliennes, fidèles à leur serment et à leur devise « En mer pour la Patrie ».