53,6% DE LA POPULATION SÉNÉGALAISE EST COUVERTE PAR L’ASSURANCE MALADIE
Médecin de santé publique et économiste de la santé, docteur Bocar Mamadou Daff est Directeur général de l’Agence de la couverture maladie universelle depuis 2017. Dans cet entretien, il est revenu sur le bilan de la Cmu, ses obstacles et ses ambitions
Médecin de santé publique et économiste de la santé, docteur Bocar Mamadou Daff, ancien Directeur de la Santé de la reproduction et de la survie de l’Enfant au ministère de la Santé et de l’action sociale, est Directeur général de l’Agence de la couverture maladie universelle (Cmu) depuis 2017. Dans cet entretien accordé à Bés bi, il revient sur le bilan de la Cmu, les obstacles, la dette due aux hôpitaux, mais aussi sur l’actualité politique et ses ambitions.
Quel bilan faites-vous de la situation de la couverture maladie au Sénégal depuis votre arrivée en 2017 ?
Disons que pour le Sénégal, grâce à la volonté politique des autorités, nous pensons que nous avons un très bon résultat. Cela n’a pas été évident parce que lorsque nous avions commencé, nous étions autour de 11 à 20% de couverture dans le secteur formel et le secteur informel réunis. Et lorsqu’on a mis en place cette agence en 2015, il y a eu beaucoup de progrès et il fallait d’abord, avec les deux approches que nous avions, le régime assistantiel et le régime assurantiel, essayer d’informer et de sensibiliser les populations pour que tout le monde puisse comprendre ce que c’est la couverture maladie universelle.
Parce que nous n’en avions pas l’habitude au Sénégal, surtout pour les cibles que nous avions, notamment le monde rural et le secteur informel. Et donc, nous sommes allés sensibiliser les populations et installer des mutuelles de santé partout. Nous avons réussi cela et nous avons fait des efforts pour arriver à ce que ce programme soit connu, que les gens s’en approprient. Dans un premier temps, nous avons installé dans chaque commune au moins, une mutuelle de santé. Par la suite, nous en avons fait une évaluation au bout de 7 ans et nous avons réorienté nos stratégies.
Mais les Sénégalais se sont-ils réellement appropriés la Cmu et qu’est-ce que cela a apporté aux populations ?
Je pense que oui parce que, de plus en plus, les gens viennent par eux-mêmes pour adhérer ou pour chercher une lettre de garantie pour aller se soigner. Si je prends simplement le cas des enfants de 0 à 5 ans que nous prenons en charge, on estime que plus de 14 millions d’enfants sont venus se traiter durant cette période de 7 ans. Ce n’est pas que 14 millions d’enfants existent au Sénégal, mais c’est par épisode, c’est-à-dire un enfant peut venir, une fois, deux fois ou 3 fois. Nous avons aussi pris en charge plus de 600 000 personnes âgées de 60 ans et plus dans le cadre du Sésame.
On a également pris en charge près de 150 000 cas de césarienne pour les femmes enceintes. Nous avons eu plus de 15000 séances de dialyse pour une cohorte de 5000 et quelques personnes. Ce qui est un résultat tangible et cela signifie en réalité que c’est traitable grâce à ce programme. Maintenant, ce qu’il faut reconnaitre dans une assurance maladie, c’est qu’à chaque fois on a besoin d’évoluer, car lorsqu’on le faisait, on est même allés plus loin que ce qui avait été défini, car on nous avait dit de prendre en charge les soins de base (postes et centres de santé). Mais très vite, il y a eu un glissement et nous sommes partis pour prendre en charge les soins hospitaliers, la chirurgie, le scanner…
Donc, véritablement, le package est assez élargi. Et si c’était à chiffrer sur un pourcentage, on peut dire que nous en sommes à 53,6% de la population sénégalaise couverte grâce à ces régimes d’assistance. Mais à côté de cela, il y a l’assurance maladie à partir des mutuelles de santé. Figurez-vous que ceux qui figurent dans les mutuelles de santé et qui viennent cotiser pour eux-mêmes chaque année et pour chaque personne sont environ 2,5 millions de personnes. Par exemple : quelqu’un qui a sa famille de 10 personnes, il cotise 35 000 par an pour pouvoir se soigner.
Il y a une autre cohorte, par exemple, ceux qui bénéficient des bourses familiales et de la carte d’égalité des chances, ce sont des gens qui n’ont pas les moyens d’adhérer et là, le gouvernement nous a demandé d’adhérer pour ces personnes et leurs familles. Ils sont plus de 2, 1 millions qui sont dans cette cohorte là et qui sont pris en charge à 100%. Donc, avec ces deux régimes, on peut dire que plus de la moitié de la population sénégalaise est couverte.
Pouvez-vous revenir sur le mode d’adhésion ?
Il est vrai que les gens ne comprennent pas toujours comment cela se passe. En réalité, pour adhérer, ce n’est pas très compliqué. Comme je l’ai dit, les cibles qui sont définies pour l’assistance médicale sont connues. En ce qui concerne l’adhésion à la mutuelle de santé, il y a les non cotisants (enfants de moins de 5 ans et personnes âgées de 60 ans, personnes à dialyser et femmes enceintes qui ont besoin d’une césarienne) et les bénéficiaires classiques (les volontaires qui viennent pour adhérer).
Là, il suffit d’aller au niveau de votre mutuelle et pour adhérer, il faut donner 1000 francs et on vous donne une carte. Là, vous indiquez le nombre de personnes que vous voulez prendre en charge dans votre famille. Et à partir de ce moment, chaque personne doit payer 3500 francs par an. La cotisation se fait en une ou deux tranches. Ensuite, il faut donner sa photo pour que les gens ne trichent pas. Et maintenant quand vous adhérez, nous prenons quelques précautions, car il y a une période d’observation d’un mois, et c’est pour éviter que quelqu’un n’attende qu’il ne soit malade, pour venir adhérer et se traiter. Et à la fin, les prestataires envoient la facture, en ce qui nous concerne, l’agence ou bien la mutuelle de santé va payer les 80% des prestations et l’individu ne paye que 20%. Cela aussi c’est important, car si on fait la gratuité, les gens auront tendance à abuser des soins.
Depuis que vous êtes à la tête de cette agence, quels sont les obstacles auxquels vous avez eu à faire face ?
Pour l’assurance maladie, le premier bémol, c’est la communication. Et je pense que nous devons communiquer davantage. Malheureusement dans nos ressources, l’essentiel va vers les prestations parce que comme c’est un programme social, souvent les décideurs ne comprennent pas trop bien quand on leur dit que cette partie de l’argent sert à la communication. Donc, cette part qui est destinée à cette communication est assez limitée. Ce qui fait que nous n’atteignons pas souvent toutes les cibles que nous voulons atteindre dans les délais, pour permettre à tout le monde d’adhérer, parce qu’il y a beaucoup de choses à expliquer.
Aujourd’hui, si nous n’avons pas atteint les objectifs de 75% qu’on s’était fixés, c’est parce que simplement, au début, on avait été très ambitieux, on avait pas mesuré l’importance du travail, la nécessité de la sensibilisation, la communication et on avait pas imaginé que les Sénégalais ont l’habitude de la solidarité, mais d’une solidarité agissante. Ils n’ont pas l’habitude de solidarité de prévoyance. Il y a aussi le problème de la mobilisation des ressources, c’est-à-dire les cotisations.
La troisième chose, toujours sur les ressources, c’est aussi l’Etat qui, pour l’essentiel, subventionne ces soins en donnant un certain montant. Et sur ce point-là, il faut reconnaitre que l’Etat a fait beaucoup d’efforts par rapport à ce qui se passe dans la sous-région. Le gouvernement est arrivé autour de 20 milliards de budget à 23 milliards par an. Mais c’est insuffisant comparé aux besoins réels pour couvrir ces 53%, un besoin qui est estimé aujourd’hui à 65 milliards. Ce qui fait que c’est la moitié simplement du budget qui est là. Donc, il faut jongler avec ce qui fait que vous rencontrez souvent des gens qui vous disent que vous avez des dettes et il faut les payer.
Justement, est–ce que vous pouvez chiffrer les dettes que vous avez envers les hôpitaux et autres structures sanitaires ?
Il faut dire que tous les systèmes d’assurances ont des dettes, mais le plus important aujourd’hui, c’est que si les dettes existent, c’est parce que les Sénégalais vont se soigner. Le 30 avril 2023, nous étions à 15 milliards de dettes, mais le gouvernement, avec notre budget de 23 milliards, et le surplus de 10 milliards qu’on nous a accordés, cela nous permettra de régler cette question-là. Les gens s’accrochent souvent à cette dette, mais je l’appelle simplement un retard de paiement, car une fois que l’Etat a engagé les gens à utiliser cette procédure-là pour soigner les populations, il prendra les dispositions pour payer. C’est vrai que cela peut prendre du temps avec les lenteurs administratives, mais, de plus en plus, les prestataires de soins commencent à le comprendre.
Quelles sont les performances majeures de la Cmu ?
Les performances majeures, c’est de passer en un temps record de 20 à 53%, comparé au reste de la sous-région, nous sommes les premiers. Et cela est un motif de satisfaction. La deuxième chose, c’est que le programme est aujourd’hui bien connu de l’ensemble des Sénégalais, le reste ce sont les modalités d’accès que les gens ne comprennent pas. Partout où vous allez, il y a un point qui indique qu’on fait l’assurance maladie. Et ça c’est très important. Le troisième, c’est que les populations qui étaient des laissées-pour-compte, c’est-à-dire le monde rural, le secteur informel, les pauvres qui n’ont jamais eu d’assurance sont maintenant pris en charge. La question d’équité prend du sens à partir de ce programme-là qui est très important. Les autres performances, c’est que nous allons vers des réformes pour renforcer le système. Et au bout d’une année, nous avons pu presque terminer toutes les procédures de réforme.
Où en êtes-vous avec les projets de votre prédécesseur, feu Cheikh Mbengue, notamment la Cmu élève ?
La Cmu-élève, c’est très important et je me rappelle avoir eu une discussion technique sur ce sujet, avec mon prédécesseur qui était un bon ami. J’estimais que la Cmu-élève est un grand avantage, car justement cela permettait de couvrir les enfants, sans avoir à trop dépenser, car la plupart du temps, ce sont des enfants qui ne sont pas souvent malades, en dehors des risques d’accidents pendant les gymnastiques et autres. Donc, ils peuvent cotiser et aider les gens à se soigner. Car, en réalité, l’assurance maladie c’est la mise en commun des risques. C’était un avantage qui permettait de remonter un peu le taux de couverture de la population qui est très jeune du reste. Ce qui fait qu’on allait équilibrer les comptes.
L’idée était que chaque année, à l’ouverture des classes, on demande aux enfants de payer pour l’assurance. Malheureusement, nous n’avons pas réussi à ce niveau parce que les académies considèrent que la destination de cet argent, c’est tout à fait autre chose. Mais quand même, nous sommes à quelque chose, comme 140 000 à 200 000 enfants qui sont encore dans les mutuelles, ce qui signifie que c’est encore faible à ce niveau-là.
Comment analysez-vous la situation actuelle du pays à quelques mois de l’élections présidentielle de 2024 ?
Je dois d’abord me féliciter que le pays ait retrouvé sa sérénité : les choses sont devenues un peu plus calmes, nous sommes retournés dans ce que nous n’aurions jamais dû quitter. De plus en plus, on se rend compte que toutes nos valeurs pour lesquelles nous étions connus nous reviennent et c’est à l’honneur du Sénégal, car nous sommes regardés par le monde entier. Il ne faut pas qu’on oublie notre responsabilité vis-à-vis de l’Afrique, et de l’Afrique de l’Ouest en particulier. On doit aller au-delà de ce que nous représentons nous-mêmes.
Comment appréciez-vous le choix du Président Macky Sall de faire de Amadou Ba le candidat de la coalition Bby ?
J’étais très heureux en apprenant la nouvelle et tout de suite je me suis dit que maintenant, je vais pouvoir m’engager sans difficultés. Mais au-delà de tout cela, le plus important, c’est qu’on a remarqué que certains candidats qui s’étaient déclarés commencent à revenir. Je pense qu’ils ont pris la bonne option de revenir pour qu’on travaille ce pays, parce qu’on a un très bon programme économique et de développement qui prend en compte les différents aspects sur la gouvernance, sur le capital humain…
Il y a eu beaucoup de candidatures qui s’étaient déclarées, elles sont toutes valables, mais je pense que lorsqu’on a évoqué les noms, le cœur des gens battait pour Amadou Ba, pour l’essentiel. Justement parce qu’il est un homme d’expérience, un homme de paix qui sait négocier, et on ne doute pas qu’ils vont tous travailler avec l’accompagnement du président de la République à ramener les autres qui se sont proposés à être candidat pour qu’on travaille tous ensemble, pour qu’on puisse gagner ensemble.
Votre base c’est à Kanel, quelles sont vos perspectives politiques ?
Dans le cadre du soutien à Amadou Ba, comme indiqué par le président de la République, nous envisageons de nous déplacer dans le département de Kanel où nous allons faire une caravane de 4 jours à partir du 14 octobre. Nous allons terminer par un grand meeting à Kanel, pour expliquer le choix d’Amadou Ba et pourquoi il faut le soutenir, expliquer le bilan et les programmes sociaux que le président a mis en place et dont Matam a bénéficié. Puisque c’est la période de l’ouverture des classes, nous allons en profiter pour donner des kits scolaires et faire adhérer les « ndongos daaras », en complément de ce qu’a fait le Waqf.