LE SENEGAL QUI VIENT
El Hadji Mamadou Diao, dans un livre aux allures de programme pour l’élection présidentielle au Sénégal prévue le 25 février 2024, livre son diagnostic et propose des solutions. Sud Quotidien qui a reçu l’ouvrage, publie les bonnes feuilles.
Le Sénégal est aujourd’hui confronté à des situations inédites de son histoire : la possibilité, par nos actions et postures, de s’autodétruire ou de rendre notre pays inhabitable. La découverte des gisements pétroliers et gaziers dans un contexte de mondialisation et de troubles multiformes, notamment le dérèglement climatique, l’Internet, les cyber-attaques et, récemment la mystérieuse COVID-19 qui a mis les économies à genoux et occasionné des morts par centaines… ces questions interpellent nos consciences et imposent une nouvelle posture dans l’optique de créer les conditions d’une stabilité durable et d’une vie sociale harmonieuse. Comment conjurer les périls ? El Hadji Mamadou Diao, dans un livre aux allures de programme pour l’élection présidentielle au Sénégal prévue le 25 février 2024, livre son diagnostic et propose des solutions. Sud Quotidien qui a reçu l’ouvrage, publie les bonnes feuilles pour ses lecteurs
Ce livre de plus de quatre mille mots (268 pages), n’a pas la prétention d’apporter des solutions définitives ou tranchées sur ces questions, précise d’emblée le désormais ex-Directeur général de la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Il est davantage, selon lui, une sorte de bréviaire à l’adresse de tous ceux qui aspirent à présider aux destinées du Sénégal. Avec, en toile de fond, une question essentielle : celle de la responsabilité. Parce que souligne-t-il, «il me semble fondamental que nous comprenions, hommes politiques et citoyens, que nous ne pouvons plus être des occupants insouciants et sans titre de notre pays. Qu’individuellement et collectivement, nous sommes fatalement engagés dans un même processus. Et que nous sommes tous comptables vis-à-vis des générations futures de tout acte et de toute action que nous aurons à poser». Par conséquent, ce livre doit être compris, dans son esprit du moins, comme un plaidoyer pour une nouvelle présence de l’homosenegalensis.
ENGAGEMENT POLITIQUE
«Mon engagement politique est motivé par une double conviction : celle que Macky Sall présentait historiquement tous les atouts, aux plans moral, intellectuel et éthique pour porter le Sénégal sur une voie rapide d’émergence ; et celle que ma ville, Kolda, recèle de potentialités énormes devant permettre son décollage économique. Une ville pour laquelle je nourris une ambition et une passion quasi obsessionnelles», avance El Hadji Mamadou Diao. Et d’ajouter, «penser et agir par nous-mêmes, afin de construire un modèle basé sur une autonomie stratégique et, surtout, la sécurité alimentaire». De ce point de vue, tout un chapitre est consacré au «défi agricole» qui met l’accent sur l’amélioration de l'accès aux intrants et à la technologie ; le renforcement des compétences et des capacités des agriculteurs ; l’amélioration des infrastructures ; la facilitation de l'accès aux marchés ; la promotion de l'innovation et de la recherche, etc.
REPENSER LES INSTITUTIONS
Au demeurant, il avance qu’il s’avère nécessaire de repenser nos institutions. Les autorités locales et traditionnelles devaient jouer pleinement leur partition, au côté d’une société civile sénégalaise qui, sans parti pris, s’attellera à son rôle de veille et de vigie. De même, il est tout aussi essentiel que la Presse reste alerte et demeure ferme sur les principes et normes qui la régissent et sur lesquels d’ailleurs reposent ses propres critères de légitimité. C’est un des piliers de notre démocratie qui, si elle s’affaisse, c’est tout l’édifice qui risque de s’écrouler. En effet, les médias sont si intimement liés à la démocratie qu’il n’est rigoureusement pas possible d’énoncer l’idée démocratique sans une presse libre.
La démocratie repose sur un électorat bien informé, qui se renseigne auprès d’institutions médiatiques solides et indépendantes. Cette liberté de la presse, face aux pouvoirs économiques et aux idéologies loufoques, est souvent mise en doute lorsque la logique des intérêts fonctionne par-dessus les exigences d’indépendance ou de l’exigeante conscience d’être au service du public. Or, souligne Mameboye Diao, «le gage d’une démocratie réside dans une indépendance totale de la presse vis-à-vis de toute influence». Sous ce rapport, il est opportun de citer le Professeur Souleymane Bachir Diagne qui déclare ceci : «La démocratisation des États africains a été, pour une part essentielle, l’œuvre des médias. C’est lorsque journaux et radios indépendants ont connu le développement spectaculaire qui a été le leur que la marche vers des sociétés ouvertes, pluralistes, a été enclenchée : les médias ont obligé les pouvoirs à fonctionner sous le regard et la surveillance du public, en même temps qu’ils ont donné à entendre des voix dissidentes, des démarches alternatives».
De l’avis du philosophe, donc, «on peut mesurer la qualité d’une démocratie en Afrique, aujourd’hui, à la qualité et à l’indépendance de sa presse». De manière imagée, si la démocratie était un organisme, la presse en serait la bouche. C’est par cet orifice qu’il s’exprime et qu’entrent des corps qui peuvent le nourrir ou le rendre malade. « Le Sénégal qui vient » sera aussi le Sénégal du pétrole. Cette ressource prodigieuse est source de fantasmes, d’exagération et d’attentes. La conjoncture économique est fortement dégradée par un contexte mondial marqué par des multiples phénomènes : renchérissement des matières premières et inflation ; perturbation des échanges commerciaux ; chaînes d’approvisionnement et des transferts de fonds, flux de réfugiés ; perte de confiance et incertitude avec, à la clé, une déstabilisation des marchés émergents. Alors que certains épiloguent sur la bénédiction ou la malédiction du pétrole, Mameboye Diao soutient qu’il est plutôt indiqué de mettre en évidence ce qui devrait être un remède efficace mais radical. Qui consiste à ne pas injecter l'essentiel des recettes pétrolières dans l'économie du pays. La manne financière devrait être épargnée en perspective des jours sombres. Ou, à tout le moins, pour lisser les effets de la volatilité des cours.
D’ailleurs, c’est au regard de cette occurrence que le Sénégal a préparé un cadre juridique très structuré pour encadrer l’exploitation du pétrole. Il s’agit d’une législation de parti pris au service d’une ambition. Celle, d’une part, de faire profiter à la population de tous les bénéfices tirés de l’exploitation du pétrole et du gaz et, d’autre part, de conjurer toutes les causes de la malédiction du pétrole. La Constitution, de façon claire et définitive, déclare, relève-t-il, que «les ressources naturelles appartiennent au peuple. Elles sont utilisées pour l’amélioration de ses conditions de vie. L’exploitation et la gestion des ressources naturelles doivent se faire dans la transparence et de façon à générer une croissance économique, à promouvoir le bien-être de la population en général, et à être écologiquement durables». Cette disposition est reprise par l’article 5 du Code minier qui dispose : «tous les gisements et accumulations naturelles d’hydrocarbures sur le territoire de la République du Sénégal sont la propriété du peuple sénégalais». Il s’agit, par ce texte, d’asseoir la totale souveraineté du peuple sur les ressources naturelles. De façon immédiate, le Sénégal entend prévenir toute spoliation de cette ressource au profit d’intérêts particuliers. A cela s’ajoute que la préférence nationale se traduit aussi par des dispositions particulières qui promeuvent la participation du capital sénégalais dans l’exploitation.
UNE NOUVELLE ERE
Le Sénégal inaugure donc une ère nouvelle, répète l’auteur de l’ouvrage pour qui, les attentes parfois fantasmées et les menaces de malédictions qui pèsent sur cette ressource doivent inviter à la plus grande prudence. S’il est vrai que sur le plan juridique l’architecture règlementaire offre certaines garanties qui sont de nature à prévenir certaines dérives, le projet de loi relative à la répartition et à l’encadrement de la gestion des recettes issues de l’exploitation des hydrocarbures a été réalisé en s’articulant autour de quatre grands principes. A savoir «la budgétisation intégrale des recettes fiscales et non fiscales tirées de l’exploitation des hydrocarbures» ; «l’interdiction de toute cession anticipée des ressources d’hydrocarbures et/ou toute sûreté anticipée sur ces ressources» ; «la création d’un Fonds de stabilisation» ; et «la création d’un Fonds intergénérationnel». Le foncier est aussi une préoccupation principale du candidat déclaré à l’élection présidentielle du 25 février 2024. Il est important, tout d’abord, relève-t-il, que deux régimes fonciers coexistent au Sénégal pour administrer le droit de propriété : le régime de l’immatriculation et celui du domaine national. Le principe est schématiquement que le régime de l’immatriculation recouvre toutes les terres, situées aussi bien en milieu urbain qu’en milieu rural, qui ont fait l’objet d’une immatriculation au nom de personnes–physique ou morale. Partant de la loi de 1964, il soutient qu’il n’est pas superfétatoire de proposer des réformes devant permettre de favoriser une révolution agricole et la reconversion d’une bonne partie des populations rurales vers l’urbain, l’industrie, et les services à découvrir.
Dans la même veine, et du point de vue agricole, le principal objectif de sécurité alimentaire recherché par les pouvoirs publics serait atteint sans passer par l’autosuffisance alimentaire dans des produits spécifiques comme c’est le cas au Sénégal. En effet, la finalité de la production dans une économie monétaire et d’échange, et non de subsistance, n’est pas la consommation propre des producteurs (individuellement ou collectivement), mais la vente pour des revenus. La finalité est l’obtention de revenus pour pouvoir se procurer ce que l’on désire d’où que cela puisse provenir. L’essentiel étant de tenir en compte l’aspect sécurité alimentaire. Avec notre arrimage sur l’euro et notre appartenance à une Union douanière, M. Diao estime que nos populations ne sont pas obligées d’acheter la production locale, et les revenus de producteurs locaux soutenus par l’Etat ne sont pas nécessairement dépensés localement, produisant ainsi un effet neutre sur nos soldes extérieurs. En revanche, un revenu minimum garanti provenant d’usufruitiers et de dividendes de sociétés privés productives pourrait garantir la sécurité alimentaire de notre main d’œuvre d’autosubsistance et permettre une révolution agricole si elle est aussi accompagnée d’une réforme monétaire qui permette à l’argent de circuler localement. «Ainsi, nous devrions nous essayer à la simulation d’un RMG en milieu rural comme option de développement agricole.
A cet effet, les préalables seront un aménagement du territoire consensuel et une réforme foncière qui donnerait aux populations des titres de propriétés transférables par surface minimale de terres arables à agréger et à mutualiser en de grandes surfaces indivisibles», avance-t-il. Ce RMG pourrait être complété de ressources venant des secteurs de la santé et de l’éducation qui n’arrivent pas non plus à améliorer les indices de développement humain avec les ressources budgétaires qui leur sont allouées.
OUVERTURE SUR LE MONDE ET EDUCATION NATIONALE
Le Sénégal n’a pas d’existence in abstracto, s’exclame Mameboye Diao. Il est aussi balayé par des vents souvent «hostiles» venus d’ailleurs. Voilà pourquoi, indique-t-il, il me semble important, à travers ce petit livre, d’aborder quelques problématiques qui nous préoccupent comme la très sensible question de «l’homosexualité». Mais également celle des «évolutions génétiques» et de «l’intelligence artificielle» qui risquent de perturber et de plonger dans l’anomie une société sénégalaise fondamentalement basée sur l’oralité. Tout ceci est condensé dans un chapitre générique intitulé «Une nouvelle vision du monde». C’est dire donc que la construction du Sénégal de demain ne saurait faire l’économie d’une éducation performante, notamment par l’expérimentation des langues nationales à côté du français, notre langue officielle. Parce qu’aucun pays ne s’est développé exclusivement à partir d’une langue étrangère. La promotion de la langue nationale est un outil économique. Le secteur dit informel, dans son entendement, n’est autre que PME. «En ce qui me concerne, je suis de ceux qui refusent d’être l’otage de l’immédiateté, et qui préconisent des mesures d’accompagnement pour valoriser les métiers de «l’informel», tonne-t-il. «Par ailleurs, le Sénégal nouveau, selon la conception que j’en ai, devra se fonder sur les instruments de régulation de la société sénégalaise qui ne sont pas officiellement codifiés. Comme les pouvoirs sociaux et religieux qui doivent avoir des cadres de réflexion plus cohérents afin que les autorités qui les incarnent puissent être à même d’apporter efficacement leur pierre à l’édifice».
LA JEUNESSE, L’ALPHA ET L’OMEGA
Selon le rapport démographique publié par l’Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie (ANSD) en 2020, sur une population de 16.705.608, les 11.505.667 ont moins de 35 ans. Cette jeunesse qui constitue l’avenir a besoin de modèles, parce qu’elle est un acteur clé dans le développement. Elle est hélas confrontée à de nombreux enjeux comme le chômage endémique, l’accès à l’emploi… Mais il n’y a pas de fatalité et des solutions existent pour relever et surmonter ces défis. Par exemple la mise en place de stratégies de développement via l'éducation et la formation. Ce qui, par la même occasion, permettra de freiner le mouvement migratoire de ces milliers de jeunes à la recherche de cieux supposément plus cléments. Un travail méticuleux sur la citoyenneté est probablement une des clés de solution à certains problèmes de la jeunesse. «Il nous faut donc, en l’occurrence, avoir à l’esprit le fait que la jeunesse et la citoyenneté sont des sujets fondamentaux et essentiels. Les jeunes représentent l’écrasante majorité de la population sénégalaise et sont, effectivement et/ou potentiellement, les moteurs du changement social, politique, et économique de notre pays. Au même titre que la diaspora sénégalaise», a soutenu Mameboye Diao, pour qui, plus généralement, il est nécessaire de comprendre que le principal bailleur de l’Afrique doit être l’Afrique.