LA PROFESSION D’AVOCAT À LA CROISÉE DES CHEMINS
Institution fondatrice de l'Etat de droit après l'indépendance, la profession d'avocat connaît aujourd'hui un manque criant de moyens humains et une obsolescence de ses modes de fonctionnement
Dans la construction de notre pays, les avocats jouent un rôle essentiel depuis plus d’un siècle. Cependant, cette profession très noble et prestigieuse est confrontée aujourd’hui à des enjeux majeurs allant de la nécessité de réformes indispensables au manque criant d’avocats pour représenter efficacement la population. Sans compter l’ « infiltration » de la profession par des magistrats qui démissionnent pour devenir des avocats, ce qui crée parfois une forte polémique dans les tribunaux.
L’histoire de la profession d’avocat au Sénégal remonte à un siècle avant l’indépendance en 1960. En 1859, le gouverneur de Saint-Louis, le général Louis Faidherbe, promulguait l’arrêté n°26 instituant les conseils commissionnés, également appelés « avocats » depuis la création du « Barreau près la Cour d’appel du Sénégal » en 1960 à l’accession de notre pays à l’indépendance. Ces premiers avocats sénégalais étaient issus de familles métisses de Saint-Louis et exerçaient leur métier avec expertise dans un environnement complexe. Depuis, les « robes noires » sont devenues des acteurs incontournables de l’histoire de notre pays.
Cependant, malgré cette longue tradition, le Barreau du Sénégal est aujourd’hui confronté à des défis majeurs. La profession d’avocat, première profession libérale organisée de manière statutaire dans le pays après l’indépendance, rencontre des difficultés dans sa quête de liberté. Le Barreau près la Cour d’appel du Sénégal, créé en 1960, comptait initialement une majorité de membres français parmi ses cinquante inscrits. La « sénégalisation » du Barreau s’est déroulée progressivement dans les années 1970 et, pour cela, d’importantes réformes ont été nécessaires. Finalement, la loi 84-09 du 4 janvier 1984 a été adoptée, créant l’Ordre des avocats du Sénégal, après de longues et laborieuses négociations.
Depuis la session de l’année 2020, le Barreau du Sénégal a cessé d’organiser des concours d’entrée au stage d’avocat, créant une situation préoccupante pour de nombreux juristes diplômés qui peinent à trouver un emploi dans le pays. Le refus d’appliquer les directives du règlement n°05 de l’UEMOA datant de septembre 2014, qui instaure le CAPA (Certificat d’Aptitude à la Profession d’Avocat),soulève également des questions. Cette absence d’application depuis près de dix ans, sans aucune injonction de l’État, entraîne des conséquences néfastes pour la profession. En plus de priver de débouchés des centaines de jeunes titulaires de diplômes en droit.
Parmi les conséquences de la non-organisation du concours d’entrée au stage d’avocat, un manque criant d’avocats, avec moins de 450 professionnels et stagiaires pour une population de plus de 17 millions d’habitants. Cette réalité est à l’origine de nombreuses difficultés, tant pour les cabinets d’avocats que pour la justice dans son ensemble. Alors que de nouvelles juridictions sont instaurées, telles que le tribunal de commerce et les Tribunaux de Grande Instance de Pikine-Guédiawaye, Mbour, Rufisque, entre autres, la demande en services juridiques augmente de manière significative. Les cabinets ont besoin d’un nombre suffisant d’avocats pour être présents dans toutes les juridictions, mais il est rare de voir des cabinets comptant plus d’une dizaine d’avocats. Le manque d’avocats qualifiés se fait particulièrement ressentir, malgré le nombre important de juristes diplômés disponibles.
Par conséquent, l’urgence de prendre des mesures s’impose. Le Barreau du Sénégal doit réformer son fonctionnement et appliquer les dispositions de la CAPA pour continuer à garantir l’excellence et la qualité des services juridiques. De même, la création d’une école de Barreau, en principe prévue pour être implantée à Diamniadio, doit être concrétisée afin de former davantage d’avocats compétents..
Une tendance à la démission de magistrats pour devenir des avocats est aussi d’actualité depuis quelques années. Parmi ces magistrats nous pouvons nommer Mayacine Tounkara, Adama Traoré, Djiby Seydi ou encore l’ancien Amadou Soumarè et d’autres en cogitations. Cette tendance est due au profit politique, médiatique et financier escompté par les néo-avocats avec la multiplication des problèmes politico-judiciaires fructueux dans le pays. Pourtant, certains parmi eux soutiennent avoir démissionné pour disposer de plus de liberté dans la profession judiciaire. C’est un phénomène qu’on a tendance à voir et qui pose des questionnements majeurs par rapport aux serments ainsi qu’aux conséquences sur les révélations des secrets d’Etat souvent détenus par ces magistrats qui ont changé de couleur de robe.
Face à ces défis, il est crucial que les autorités et le Barreau collaborent étroitement pour résoudre ces problématiques, afin de garantir l’accès à la justice pour tous les citoyens et, en même temps, renforcer le système juridique du pays.