ON NE DISCUTE PAS AVEC UN FASCISTE, ON LE COMBAT
Les politiciens comme les foules n’ont pas de mémoire. Les uns parce qu’ils préservent des intérêts ponctuels, les autres car elles cèdent trop souvent aux fantasmes changeants.
Parcourir récemment l’œuvre de Robert Badinter, qui vient de nous quitter, m’a raffermi dans mes convictions sur ce que devrait être un Etat et comment devraient être les hommes d’Etat. Quand en 1981, dans la ferveur de l’arrivée de la Gauche au pouvoir, il porta l’abolition de la peine de mort, c’était une conviction qui se faisait homme. En lisant son discours devant l’Assemblée nationale avec éloquence et force conviction, il savait que 62% de ses compatriotes étaient favorables à la peine capitale. Mais, l’humanisme et les valeurs s’élèvent au-dessus des contingences d’un temps. La politique, c’est l’action transformatrice, parfois en dépit du bruit des commentateurs et des foules nombreuses de pétitionnaires. Préserver son pays d’un saut fatal vers les abîmes vaut d’ignorer les rodomontades de ceux qui jamais ne se sont salis les mains, campant sur une pureté factice et une neutralité douteuse. Un Etat n’a pas à se faire l’écho des désidérata des foules. Au nom de la raison d’Etat, et parce que celle-ci aussi injuste qu’elle n’y paraît, est gage de notre sécurité collective et de notre pérennité comme Nation, il nous faut toujours agir pour préserver le sacré : la République.
Dans un temps complexe où les houles font tanguer le navire, où tout ne peut être dit car tout ne saurait être dit au nom encore une fois de la raison d’Etat, le pouvoir s’exerce dans une grande solitude. C’est cette solitude qui confère une tendresse parfois pour les hommes d’Etat, en ce sens qu’ils doivent décider devant des injonctions et intérêts contradictoires et face à des menaces que le commun des citoyens ignore.
Le pouvoir est un lieu qui attire les curieux, les courtisans, les ambitieux et les intrigants. Il agrège tous les fantasmes du dehors. C’est également une station précieuse d’observation des vanités du monde et du temps qui passe, des retournements et des ingratitudes des hommes et de l’inanité finalement du politique face aux imprévus et aux insatisfactions propres aux peuples. Ma proximité avec des hommes d’Etat m’a aussi appris une autre chose, peut-être plus touchante que le reste : le pouvoir est un lieu de la solitude. Les palais ne sont pas des lieux de faste, ou que peu ; ils sont des cercueils dans lesquels un Homme se meut face à un peuple et à ses responsabilités. La nuit, quand les collaborateurs sont retournés à leur quotidien, quand les courtisans sont partis imaginer des mots de flatterie du lendemain, on est seul face aux fantômes du monde de ceux-là dont le métier est de décider. Et qui savent que de leur décision dépendent des vies. Ils sont seuls, étrangement seuls, et sauf quand il faut se partager les privilèges. Gouverner tient en une fatale responsabilité : décider sans pouvoir dire ce qui de toute façon n’est guère disable et ensuite affronter le vacarme des uns et les postures des autres.
Aussi dure soit-elle cette responsabilité précieuse, fille du suffrage universel, est à assumer jusqu’au bout. C’est à l’histoire ensuite d’acquitter les gouvernants. Elle saura dire si nous avons été à la hauteur des défis de notre temps. L’acte de gouverner est indétachable de la responsabilité grave de prendre des décisions impopulaires mais indispensables pour préserver le sacré : la Répu¬blique.
Gouverner ainsi c’est ne céder ni à la jacasserie politicienne, ni aux furies des masses, ni à l’injonction des foules, même sous le chantage facile du mot démocratie galvaudé par toutes les bouches. «La Constitution, rien que la Cons¬titution et toute la Constitution.»
Les politiciens comme les foules n’ont pas de mémoire. Les uns parce qu’ils préservent des intérêts ponctuels, les autres car elles cèdent trop souvent aux fantasmes changeants. Le président du Conseil constitutionnel français disait récemment, les yeux dans les yeux, au chef de l’Exécutif que le Conseil constitutionnel n’était pas «une chambre d’écho des tendances de l’opinion». L’opinion, je m’en suis toujours méfié, comme du reste des universitaires opportunistes qui brandissent les grands principes, en usent et en abusent pour cacher une misère intellectuelle qui a gagné les facultés, une absence de colonne vertébrale et une attraction pour les ors du pouvoir.
Une convergence entre les foules, les politiciens, les opportunistes et les membres d’une vile Société civile est toujours dangereuse pour la République. Car au fond, s’enchevêtrent un affairisme et des arrangements douteux sur le dos des intérêts vitaux du Sénégal. Par exemple, à chaque fois que Pierre Goudiaby Atepa et Alioune Tine sont dans une pièce, il faut fuir car n’y seront débattus que les modes d’emploi de l’intrigue et des basses œuvres. Ils ne sont que dans la conspiration contre le Sénégal.
C’est au fond pour tout cela qu’il est douloureux d’être républicain dans notre pays. On est seul, cible des tireurs embusqués de chaque camp et de ceux qui n’ont aucune peine à verser dans les compromissions. Je n’évoque même plus les jugements sots du tribunal des réseaux sociaux et des caprices de gens qui tueraient leur mère pour cinq minutes d’attention et une gloire numérique fugace.
Notre pays est fracturé. Il nous faut refaire nation autour d’un nouveau récit collectif. Les morts, les blessés, les jeunes emprisonnés parfois pour des motifs d’une grande légèreté ne peuvent constituer une fatalité. La religion de mon temps est faite depuis longtemps : toute discussion doit être restreinte au sein de l’arc républicain. Les membres d’un parti dissous dont le projet était insurrectionnel ne peuvent être des interlocuteurs.
Ousmane Sonko dont je m’étais interdit de parler depuis son placement en détention, est un fasciste. Et un fasciste, on ne discute pas avec lui, on le combat avec toute la vigueur que propulse en nous notre attachement à la République.
Effacer ses forfaits, c’est autoriser désormais quiconque a une ambition nationale de brûler, piller, saccager, diffamer, injurier et multiplier les outrages aux juges, généraux, représentants de l’Etat. C’est provoquer un ressac de l’Etat et un effacement de ce qui spirituellement nous unit : la République.
Or, je pensais, et je le pense toujours, qu’être digne du Sénégal, c’est de marcher sur les traces des lois existantes pour obtenir les suffrages de ses concitoyens. L’insurrection au nom d’ambitions personnelles déshonore ses auteurs et devrait recouvrir sur eux le voile de l’indignité nationale.
Normaliser dans l’espace public la présence de fascistes, c’est assécher la République de sa crédibilité et lui soustraire cette mystique immanente qui nous fait nous émouvoir quand l’hymne résonne et qui nous touche devant les armoiries de la Nation.
Personnellement, je ne m’opposais au projet populiste, séparatiste, islamiste et insurrectionnel des amis de M. Sonko ni pour plaire ni pour déplaire. Je m’oppose à eux par un devoir et au nom de l’anti fascisme qui est le combat de ma vie.
Pour d’autres, en revanche, même dépositaires d’une responsabilité gouvernementale, le combat contre les membres d’un parti insurrectionnel relevait de la stricte logique politicienne, mais ni de divergences principielles ni même de conflits de valeurs. D’ailleurs de hauts responsables fondateurs d’un parti fasciste, donc antirépublicain, heureusement dissous, ont ensuite migré rapidement dans un autre parti, qui se dit alliance, c’est-à-dire creuset, pour accueillir les différentes rivières républicaines du pays.
«Si l’on n’est plus que mille, eh ! bien, j’en suis ! Si même
Ils ne sont plus que cent, je brave encore Sylla ;
S’il en demeure dix, je serai le dixième ;
Et s’il n’en reste qu’un, je serai celui-là !»
Je ne les combats ni pour les titres ni pour les honneurs de cette vie dont la finitude est la fatalité. Je ne les affronte que pour cette gloire silencieuse, qui est celle, après ma mort, de laisser le souvenir d’avoir aimé mon pays.