LES VOIX BRISÉES DES DÉTENUS DE PASTEF
Arrêtés arbitrairement alors qu'ils n'avaient commis aucun délit, battus et privés de leurs droits élémentaires, leur histoire porte la voix de ceux que le régime de Macky Sall cherche à faire taire par la répression
Ils ont retrouvé leurs familles politiques et biologiques après des mois passés en prison pour avoir participé à des manifestations politiques, ou sans raisons ou motifs valables. Juste pour appartenir au parti Pastef dans la plupart des cas. A leur sortie de prison, des « patriotes » dénoncent le système carcéral du pays qu’ils assimilent à un vrai camp de concentration.
La situation dans nos prisons au Sénégal donne le tournis. En plus des séquelles psychologiques grave, les détenus qui ont séjourné dans cet univers sont affectés jusque dans leurs.... parties intimes. Sory Sow est aujourd’hui psychologiquement affecté. «J’ai le cœur meurtri. En prison, c’est une vie d’enfer. Presque tout le monde y est malade. Surtout des maladies de la peau. Même le sexe est touché. Ici, beaucoup de détenus ont des problèmes avec leur sexe», indique notre interlocuteur tout en insistant sur les parties intimes très affectées par la détention en milieu carcéral. Le premier jour en prison, d’après beaucoup de témoignages de détenus libérés, c’est comme le premier jour dans une tombe. Même s’ils n’ont en réalité aucune idée la mort, dont personne ne revient pour raconter en quoi elle consiste, ils se permettent de faire la comparaison entre la prison et la tombe. Serigne Falilou est habitant de la cité religieuse de Touba. Il raconte sa première nuit en prison. «Je l’ai considérée comme un premier jour dans une tombe. Je suis encore en vie mais je ressens toujours cette douleur extrême», a-t-il confié. Mais il n’a pas vécu pire que le jeune Boubacar Fofana, élève au lycée Abdoulaye Sadji de Rufisque. «C’est un premier jour très difficile à vivre. Dès que tu arrives, on te dit tous les règlements, on te parle du chef de chambre... Le dernier venu est toujours celui qui est le premier sur le rang de paquetage, direct sur le mur. J’ai fait un mois de paquetage de 23 heures à 6 heures du matin, heure à laquelle on fait l’appel. On était environ 80 personnes en haut sur des lits superposés. De juin à septembre, j’ai vécu l’enfer en haut. Que ce soit la position couchée, celle assise ou debout, c’est du pareil au même. Il n’y a aucune différence vu l’exiguïté de la pièce. J’étais le plus petit de la chambre. J’ai même bénéficié de l’affection du chef de chambre», raconte l’adolescent tête baissée fuyant le regard de sa mère en larmes.
D’après Sory Sow, un autre détenu, «c’est parfois 200 personnes dans une chambre de 7 mètres sur 10» qui se partageaient la même toilette. Ceux qui étaient assisse relaient avec ceux qui étaient en paquetage à partir de 6 heures du matin. Il y en a qui restent assis de 23 heures à 6 heures du matin. Au mois d’octobre, on peinait à avoir de l’eau qui ne coulait qu’à 1 heure du matin jusqu’à 6 heures du matin».
Pourtant, aussi paradoxal que cela puisse paraître la prison, notamment la chambre 11 où le jeune Boubacar a passé 8 mois, reste pour lui l’endroit le moins humiliant ! Le pire, il l’a vécu avec les forces de l’ordre dès les premières heures de son interpellation, le 12 juin dernier. «Je suis élève mais je travaille à temps partiel et surtout pendant les vacances dans un atelier mécanique pour avoir de quoi acheter mes fournitures scolaires. Alors que je revenais du travail, ce jour-là, il y avait une rafle alors pourtant qu’il n’y avait aucune manifestation» ! Les policiers l’ont alpagué et sommé de monter dans leur véhicule. Direction : la police de Jaxaay. «On nous a torturés à la police de Jaxaay nous forçant à dire qu’on participait à des manifestations. On a vécu le scénario pendant 4 jours. Ils voulaient qu’on dise qu’on manifestait dans la rue. Ils nous battaient sans cesse. C’est quand le commandant est venu qu’ils ont arrêté les tortures. Nous étions presque nus et n’étions autorisés à porter que des caleçons, même pas des shorts». Une exigence confirmée par la mère de Boubacar qui a même reçu d’un policier préposé à l’accueil une gifle quand elle a voulu remettre un short pour son fils. «C’était dur. Les insultes, les bastonnades... «, se souvient ce pensionnaire du plus vieux et célèbre lycée de Rufisque qui a aussi fait un crochet à la police de Rufisque, puis la police centrale de Dakar pendant 10 jours avant d’être mis sous mandat de dépôt à Rebeuss, à la chambre 11.
«C’est une injustice totale», soupire l’ex-détenu Serigne Falilou qui se considère comme «un martyr, un victime». Selon lui, le poids de cette détention s’est encore fait plus sentir le jour de l’annonce par le chef de l’Etat de sa décision d’abroger le décret convoquant le corps électoral pour la présidentielle du 25 février. Or, pour Boubacar et ses co-détenus, cette dernière date était perçue comme devant être celle de la délivrance. C’est comme si le sol se dérobait sous leurs pas. «Le jour de l’annonce de la décision de Macky de reporter l’élection, il y a eu des bagarres et empoignades, une mutinerie ou une révolte contre les autorités pénitentiaires, il y a même eu des tirs à balles réelles. Les matons avaient évacué notre chambre en nous mettant en isolement à la cellule de rigueur où on torturait les gens en position à genoux. Je suis resté deux jours sans pouvoir me mettre correctement en position de prière», s’est indigné l’habitant de Touba appuyé par un autre codétenu du nom de Cheikh Fall. « Je faisais partie des premiers qui se sont révoltés en prison. On a accusé 27 détenus d’avoir provoqué la révolte. On attendait qu’on nous annonce notre libération mais, en lieu et place, on nous a parlé de report. On nous a pris et mis en cellule isolée. On ne nous a pas torturés parce qu’ils n’ont pas osé mais on était menottés. Ce jour-là, beaucoup de choses se sont passées en prison. Des tirs à balles réelles, des lacrymogènes...
Les chambres 43 et 48 ont été défoncées. Il n’y a pas eu de mort, mais on a vécu des choses terribles. Je fais partie des perturbateurs, mon nom a été cité plusieurs fois parce que je n’aime pas l’injustice. Après l’incident, certains ont été transférés dans d’autres chambres, nous en cellule isolée... Mais fort heureusement, les gardes ont eu un tête-à-tête avec le responsable et nous», confie encore Cheikh Fall.
En prison, les détenus élargis ces derniers jours disent avoir vécu beaucoup de choses affreuses car, disent-ils, aimer l’opposant Ousmane Sonko est un crime au Sénégal. Mais ils ont aussi appris beaucoup. C’est le cas de Sory Sow qui parle d’une victoire de Sonko avec cette série de libérations. Mais il n’est pas pour autant satisfait à 100% quand il pense aux centaines de co-détenus, des manifestants, qui sont encore en prison. Ceux avec qui il a passé près d’une année en prison sont devenus des «frères» à lui ! Il pense surtout à Salif Sané, arrêté le jour du baptême de son enfant. «Il y a également le cas de l’imam Sankoum Djité habitant de la Casamance qui était venu déposer son fils chez son frère pour qu’il y apprenne le Coran. En retournant, il a été interpelé par les forces de l’ordre. Son crime : être originaire de la Casamance. Il était notre imam à Rebeuss. Il m’a enseigné le Coran et ma religion en prison. Dans notre chambre, j’étais devenu le bilal, le muezzin. Je faisais l’appel pour la prière», a-t-il confié. Elargis, ces détenus demandent la libération de tous les « patriotes » qui sont encore dans les liens de la détention. Ils tiennent aussi à attirer l’attention sur « le cas des Guinéens qui ne connaissent même pas Ousmane Sonko, qui n’ont jamais participé à une manifestation, qui étaient fraichement venus de la Guinée pour travailler comme plongeurs dans les restaurants et se sont retrouvés en prison».
Les premières libérations ont ainsi eu lieu. C’est un ouf de soulagement pour les ex-détenus et leurs familles politiques et biologiques. Ce après que les premiers ont passé plusieurs mois en prison. Mais les conditions de leurs arrestations et les tortures subies en cours de transfert vers les brigades de gendarmerie et les commissariats de police ou en cellule restent encore un mauvais souvenir pour ces ex-détenus. Toutefois, malgré leurs difficiles conditions de détention, ces jeunes gens disent être restés forts et avoir gardé le sourire. Ce qui leur a surtout donné la force de résister, c’est, confient ils, l’espoir d’un changement de régime pour bientôt. «On est juste courageux parce qu’on sait que le combat est noble. Ils m’ont juste arrêté à cause de mon appartenance à Pastef, mais ils savent que je n’ai pas été présent à la manifestation» confie un de ces détenus. La chute du président Macky Sall et de son régime, c’est aujourd’hui son souhait le plus ardent. Tous ont espoir de voir leur parti, Pastef, remporter l’élection présidentielle. Ils sont même allés jusqu’à murir le « Projet » en prison. Ils disent surtout avoir réussi à convaincre d’autres détenus apolitiques ou appartenant à des partis autres que Pastef d’adhérer à leur fameux « Projet ».