CONTRE L’ADOUBEMENT GÉNÉRALISÉ DU CRÉTINISME
Ceux qui rejettent la concertation feignent d’ignorer les concours d’incidents qui nous ont menés à ce stade et réclament une date. La décrispation amorcée ne sera peut-être pas sans compromission, de part et d’autre
Ma position est simple et constante : tous ceux qui, sans coup férir, sont capables de croire et d’affirmer, que nos misères sociales, économiques, politiques, culturelles et toutes les péripéties de la démocratie sénégalaise, notamment les rebondissements vertigineux autour de l’élection présidentielle de 2024, sont exclusivement imputables à Macky Sall (l’homme et l’Institution), se trompent fatalement.
Le seul crédit d’une telle conviction (d’un tel biais, à mon avis) est le nombre de fanatiques que les circonstances ont, hélas, considérablement accru. C’est, au choix, de l’opportunisme, de la mauvaise foi, de la paresse, de l’hypocrisie, de la manipulation, de la bêtise, de l’ignorance, de l’intimidation et, de plus en plus, de la haine pure. La terreur qui paralyse le pays depuis, au moins mars 2021, n’est pas à chercher ailleurs que dans ce raccourci facile du patriotisme convenu.
Bien-sûr, il n’est pas question de considérer que le président de la République est exempt de toute responsabilité. Je peux, aisément, dresser un historique d’actes manqués depuis 2012 et lui attribuer, suivant mon interprétation, une part logique et conséquente dans cette malheureuse confusion. Mais, malgré les inventaires à la Prévert qui lui prêtent les intentions les plus farfelues, aucun de ses pourfendeurs ne peut, raisonnablement, se prévaloir plus patriote que lui.
Puisque le patriotisme se résume, de plus en plus, à dénigrer facilement les institutions, à confesser hâtivement et courageusement sa honte et sa tristesse devant la situation politique déplorable que traverse le Sénégal, aucun compatriote (pas de jeu de mots svp, j’essaie d’être sérieux !) ne devrait indexer l’autre. Nous souffrons, globalement, de notre égoïsme, de notre impuissance collective, de notre rapport problématique à l’intérêt général, au travail, à la vérité, au droit, au respect de l’autre, à la bienveillance, à l’amour (oui !). Ceux qui ont l’âme lyncheuse et influençable devraient se regarder, d’abord, dans une glace, avant de se choisir un bouc émissaire.
Peut-on encore consentir sans sourire à l’expression « Vox populi, vox Dei » (La voix du peuple est la voix de Dieu) ? Même au Sénégal, même sur les réseaux sociaux ? Pour moi, c’est, de plus en plus, complexe. Popularité n’est pas vérité. L’Histoire le prouve aisément. La simplification peut être dangereuse, surtout quand elle nourrit le populisme en se bordant de justifications médiocres (factuelles, disent-ils), de la caution intellectuelle de quelques célébrités et de l’accès facile aux médias. La note risque d’être encore plus salée, si nous persistons dans la surenchère de déclarations courtes aussi outrancières qu’inopérantes.
Un individu peut toujours se prétendre peuple mais il n’exprime jamais que ses valeurs intrinsèques (ses désirs, son égo, ses limites) et, très souvent, il sublime ses propres inadaptations. Sans étaler les miennes, petite précision sur ma situation d’énonciation. J’étais à Dakar le 3 février au moment où le président de la République abrogeait le décret convoquant le corps électoral pour le scrutin présidentiel prévu le 25 février 2024 suscitant l’ire empressée, empruntée, excessive et imprudente d’une opposition versatile (dont certains voulaient le report) et le désarroi de beaucoup de Sénégalais et au-delà. J’y étais encore quand le Conseil constitutionnel rendait sa décision annulant le décret présidentiel.
Cette proximité relative avec Dakar, foyer ardent des emballements nationaux, ne donne pas forcément de privilège dans l’analyse. L’essentiel se passe au cœur des Institutions de la République qui ont toujours des raisons que le peuple ignore. Mais, qui garde les gardiens, d’ailleurs ? Le reste se joue, en roue libre, dans la jungle des réseaux sociaux. Le seul constat que j’ai tiré de la rue dakaroise, c’est le dispositif impressionnant de maintien de l’ordre.
Le récent temps fort de ce feuilleton préélectoral est le face-à-face du président de la République avec la presse nationale le 22 février. J’ai trouvé Macky Sall digne mais affligé à juste titre. Loin devant le pétrole et le gaz, qui suscitent tant de convoitises et de fantasmes, la plus grande richesse du Sénégal est sa crédibilité internationale. Elle a permis au volontarisme du chef de l’Etat, par le truchement du Plan Sénégal émergent, d’obtenir des résultats tangibles encore insuffisamment et injustement appréciés. A travers le bashing extrême qu’il a subi alors qu’il avait à cœur d’assumer une lourde responsabilité (politiquement discutable, peut-être, au regard des délais) en repoussant les élections, c’est l’image du Sénégal qui a été ternie. Non, le Sénégal ne mérite pas que certains pays se permettent de lui remonter les bretelles, Macky Sall, non plus ! Sa peine non feinte est compréhensible.
Des morts furent encore à déplorer, hélas ! L’urgence, aujourd’hui, est de dépasser cette situation qui n’arrange que les « rentiers du chaos ». Répondre à l’appel au dialogue du lundi 26 février me semble la meilleure chose à faire au vu des circonstances. Ceux qui rejettent la concertation feignent d’ignorer les concours d’incidents qui nous ont menés à ce stade et réclament une date. Même si le grand nombre d’aspirants à diriger le Sénégal sans, manifestement, en avoir l’envergure est un des symptômes du malaise, l’eau destinée à éteindre un incendie n’a pas besoin d’être potable (cf. Idrissa Seck pendant la Covid). La décrispation amorcée ne sera peut-être pas sans compromission, de part et d’autre, et les précédents qui pourraient en découler hantent déjà notre futur « commun vouloir de vie commune », mais le retour à la stabilité de notre République serait à ce prix. Amen !
Enfin, au cours de l’entretien, le président a laissé entendre qu’il n’excluait pas de s’établir au Maroc pour ne pas gêner son successeur. J’aimerais mieux qu’il reste au Sénégal pour profiter de la reconnaissance qu’il mérite pour les incontestables services rendus à la Nation. N’ayant pas pu le voir en tête à tête depuis très longtemps malgré mes demandes répétées, je me consolais à l’idée de pouvoir lui rendre visite après son mandat et de le trouver un week-end en bermuda dans sa maison de Fatick. J’aimerais tellement savoir quelles raisons d’État poussent un homme politique aussi aguerri et aussi averti que lui à se passer de certains de ses partisans parmi les plus sincères, les plus loyaux et les plus compétents et à promouvoir d’improbables intrigants qui sont pour beaucoup dans cette défiance qui sape la confiance et mine la société jusqu’à des niveaux insoupçonnés.
Latyr Diouf est président du Comité Electoral de l’Essonne, Vice-Coordonnateur élu de la CCR France.