LA PERTINENCE D’UNE LOI D’AMNISTIE A L’EPREUVE DE L’ARTICLE 9 DE LA CONSTITUTION
Une lecture constitutionnaliste du décret n° 2024-683 ordonnant la présentation à l’Assemblée nationale du projet de loi portant amnistie autorise de soulever deux remarques majeures
Mes amis pénalistes me pardonneront certainement cette incursion furtive dans leur pré carré. Cependant, une lecture constitutionnaliste du décret n° 2024-683 ordonnant la présentation à l’Assemblée nationale du projet de loi portant amnistie autorise de soulever deux remarques majeures.
Première remarque, une relecture rassérénée de la Constitution sénégalaise du 22 janvier 2001 offre une nouvelle grille d’analyse relativement à la loi d’amnistie. Son article 9 est, à plus d’un titre, illustratif d’une certaine évolution. Présent dans notre Constitution depuis 1959, l’article 9 actuel est passé par différentes étapes. On retrouve sa substance, déjà, dans les dispositions de l’article 2 du Titre II de la Constitution de 1959 (Loi n° 59-003 du 24-01-1959 adoptée à Saint-Louis par l’Assemblée constituante). A partir de 1960, à la faveur de la Loi du 26 août 1960 (Loi n° 60-045 A.N. du 26 août 1960 portant révision de la Constitution de la République du Sénégal), ces dispositions trouvent leur Siége à l’article 6, alinéa 4, de la Constitution. La révision de la Constitution de 1963 (Loi n°63-22 du 7 mars 1963 portant révision de la Constitution de la République du Sénégal) laissera inchangées les dispositions de l’article 6, alinéa 4. Le texte de la Constitution du 22 janvier 2001 aménagera un nouvel article 9 ainsi libellé : « alinéa 1 : Toute atteinte aux libertés et toute entrave volontaire à l’exercice d’une liberté sont punies par la loi. » ; « alinéa 2 : Nul ne peut être condamné si ce n’est en vertu d’une loi entrée en vigueur avant l’acte commis. La défense est un droit absolu dans tous les Etats et à tous les degrés de la procédure ».
Jusqu’au 07 août 2008 la possibilité de voter une loi d’amnistie, de plein droit, souffrait difficilement la contradiction. A partir de cette date l’économie de cette situation va être bouleversée par le rajout à l’article 9 d’un troisième (3e) alinéa. Dans cet alinéa le constituant dérivé, ici le Congrès (Assemblée nationale et Sénat) va disposer : « alinéa 3 : Toutefois, les dispositions de l’alinéa précédent ne s’opposent pas à la poursuite, au jugement et à la condamnation de tout individu en raison d’actes ou omission qui, au moment où ils ont été commis, étaient tenus pour criminels d’après les règles du droit international relatives aux faits de génocide, crimes contre l’humanité, crime de guerre ». L’emploi de l’adverbe coordonnant ‘’Toutefois’’ semble désormais empêcher qu’on ne généralise trop la portée de l’alinéa 2 de l’article 9 sus indiqué. Indéniablement, il apporte une limitation et une restriction. La radicalité attachée à la loi d’amnistie en prend un coup sérieux.
Deuxiéme remarque, c’est le lieu de souligner que le Sénégal peut se vanter d’être le 1er pays au monde à ratifier le Statut de Rome, le traité fondateur de la Cour pénale internationale (CPI). En effet, notre pays a procédé à la signature du Statut de Rome le 18 juillet 1998, sous l’impulsion du Président Abdou Diouf. Le 2 février 1999, l’Etat du Sénégal déposait son instrument de ratification. Cela lui a valu l’insigne honneur de présider l’Assemblée des Etats-Parties au statut de Rome de la Cour pénale internationale (2014-2017).
Cependant, cette adhésion n’en emporte pas moins des conséquences juridiques substantielles. D’abord, la CPI, juridiction permanente, peut exercer sa compétence à l’égard des personnes pour les crimes les plus graves ayant une portée internationale. La Cour est complémentaire des juridictions pénales nationales (Article 1). Dès lors, rien empêche la CPI, en cas de carence des juridictions pénales nationales, de mettre en branle sa compétence, de plein droit. Ensuite, l’article 7 du Statut de Rome semble saisir opportunément la situation sénégalaise. Les crimes contre l’humanité évoqués dans ledit article présente un intérêt singulier. Ils permettent, ces crimes, de pointer, entre autres, le curseur sur le meurtre, la torture, la persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable pour des motifs d’ordre politique, les disparitions forcées de personnes, etc. L’acuité et l’actualité de telles préoccupations ne sont plus à démontrer. Enfin, faut-il le rappeler, c’est fort de toutes ces préoccupations que le Sénégal en accord avec l’Union africaine (UA) a créé en 2013 les Chambres africaines extraordinaires (CAE). Ce tribunal africain avait en charge de juger les crimes internationaux commis au Tchad pendant le règne de Hissène Habré, du 07 juin 1982 au 1er décembre 1990.
A la lumière de toutes ces considérations, il appert que le vote d’une loi d’amnistie au Sénégal n’engage nullement le Droit international des droits de l’homme. En effet, la loi d’amnistie, depuis le 07 août 2008, n’absout plus les personnes reconnues coupables de crimes contre l’humanité. La révision de 2008 réduit drastiquement la portée de la loi d’amnistie en préparation. Rien n’interdirait demain à la Cour pénale internationale, une fois retenue la qualification de crimes contre l’humanité, de déclarer sa compétence dans certaines affaires sénégalaises, commises entre le 1er février 2021 et le 25 février 2024, soumises à son office. Et, peu importe que celles-ci soient commises au Sénégal ou à l’étranger !