MEME DANS LE BUSINESS, L’AMNISTIE CHANGE LA DONNE
Aujourd’hui, l’attention des Sénégalais, et de tous ceux qui s’intéressent à ce pays, est tournée vers l’Assemblée nationale où est voté le projet de loi qui amnistie tous les crimes et délits commis entre le 1er février 2021 et le 25 février 2024.
Aujourd’hui, l’attention des Sénégalais, et de tous ceux qui s’intéressent à ce pays, est tournée vers l’Assemblée nationale où est voté le projet de loi qui amnistie tous les crimes et délits commis entre le 1er février 2021 et le 25 février 2024. Une période durant laquelle des tensions politiques ont entraîné la mort de plus de 50 personnes, certaines dans des conditions les plus atroces, le saccage de plusieurs biens et propriétés, et l’emprisonnement de plus d’un millier d’individus, hommes et femmes. Ce projet de loi est passé par la Commission des lois de l’Assemblée nationale, qui l’a approuvé sans opposition significative, bien que personne, aussi bien dans la majorité que dans l’opposition, ne semble vouloir s’en faire l’avocat, en dehors de son initiateur, le président de la République Macky Sall.
Car il faut dire que son adoption est une tache noire dans l’histoire de ce pays. En dehors du fait que la loi va être adoptée après le report de l’élection présidentielle qui devait se tenir le 25 février dernier, avant d’être renvoyée à une date inconnue à ce jour, elle va effacer des crimes dont certains auteurs, comme l’indique son article premier, n’ont même pas été jugés. Bref, on a ici une loi qui promeut le déni de justice. On peut difficilement après cela, assurer que le Sénégal est un Etat de Droit.
Le système judiciaire sénégalais est loin d’être parfait -s’il en existe un dans le monde-, mais il a toujours été un pilier sur lequel des citoyens ont pu se reposer en cas de litiges. De plus, la séparation des pouvoirs a été érigée en dogme dans ce pays, qu’il a toujours semblé impensable que le pouvoir exécutif ou le Législatif viennent à interférer dans des décisions de Justice. Il semble que le chef de l’Etat sénégalais ait décidé depuis le 3 février dernier, de s’essuyer les pieds sur ledit dogme. On peut alors se demander quelles conséquences cela présage pour notre pays.
On sait ce que le déni de Justice peut entraîner dans un pays. En Afrique du Sud, Nelson Mandela et Desmond Tutu avaient, à la fin du régime d’Apartheid, imaginé une Commission de la vérité et réconciliation, qui avait eu pour tâche de recueillir et d’entendre des plaintes des victimes qui ne pouvaient espérer justice auprès des tribunaux traditionnels du fait du caractère du préjudice qu’ils avaient subi. Ce modèle a été copié dans de nombreux pays. Même le Rwanda, qui sortait d’une sanglante guerre civile opposant les deux principales ethnies du pays, avait dû réactiver ses tribunaux traditionnels, les «Gacaca», pour entendre de nombreuses personnes soupçonnées d’avoir pris part au génocide des Tutsis.
La Gambie proche du Sénégal, a suivi un modèle similaire pour tenter de donner voix à plusieurs victimes présumées des crimes de l’ère Yahya Jammeh. C’est dire que la soif de justice est inextinguible. Malheureusement, emporté par une vision matérialiste du monde, c’est un aspect que Macky Sall a toujours choisi de mettre de côté dans sa politique.
On peut rappeler qu’avant son arrivée au pouvoir en 2012, la tension préélectorale en 2011 avait coûté la vie à 14 personnes. Le chef de l’Etat, qui avait hérité de cette situation, n’avait pas jugé utile d’initier des enquêtes pour en déterminer les causes et découvrir les coupables. Ou si de telles enquêtes avaient été entamées, on doit déplorer qu’elles n’aient jamais abouti, ni leurs conclusions rendues publiques. La seule action notée de cette séquence a été l’hommage rendu à l’étudiant Mamadou Diop, qui avait perdu la vie à la Place de la Nation, et dont la famille avait reçu une certaine indemnisation. Pour le reste, les commerces pillés, les victimes décédées ou grièvement blessées, cela a été passé par pertes et profits.
Macky Sall démontrait ainsi qu’il se plaçait dans la continuité de l’action de son mentor, qu’il venait de remplacer. N’a-t-on pas vu dans ce pays, une tragédie qui a fait près de 2000 victimes, laissée à l’oubli dans le fond des océans et les victimes muselées ? Il a fallu le confinement mondial dû au Covid-19 pour que le président de la République daigne enfin assister aux commémorations du naufrage du bateau Le Joola le 26 septembre 2021. Son horreur de rendre justice a été encore plus marquée depuis les violences engendrées par la confrontation engagée avec Ousmane Sonko et ses partisans, de mars 2021 à nos jours. Si, bien entendu, l’Exécutif n’a jamais fait état des morts et blessés lors des manifestations, il n’a non plus rien fait dans le sens d’indemniser les personnes dont les biens ont été saccagés. La société de transports urbains Dakar Dem Dikk appartenant à l’Etat, on peut dire que chacun de ses bus brûlés est remplacé par l’argent public. De même que pour ce qui concerne les installations du Brt. Mais que dire des nombreuses enseignes d’Auchan pillées, de son personnel molesté ? Comment consoler les nombreux employés des stations-services de Total et autres, qui se sont retrouvés en chômage technique après le saccage de leur outil de travail, sans que les assurances ne les aient indemnisés ?
Cette attitude de l’Etat a quelque part été favorisée par une certaine complaisance des partenaires internationaux, qui ont été laxistes face à l’inobservance ou l’application minimale des lois et règlements dans certaines circonstances. On sait que parmi les attributions du compact par le Millennium challenge américain, le respect de l’Etat de Droit est important. Le Sénégal passant pour un modèle démocratique dans la sous-région, les Américains n’ont jamais été vraiment regardants sur la question. Pour la plupart, on se contentait du fait qu’il n’y a pas de prisonniers politiques dans ce pays, pour l’exonérer de certains écarts. De même, nos tribunaux peuvent se permettre de rendre certaines décisions totalement incompréhensibles, surtout en ce qui concerne des litiges financiers, cela ne semblait choquer que les intéressés. Mais on peut parier que le vote de cette loi d’amnistie pourrait changer beaucoup de choses.
Il faut, en effet, commencer à intégrer le fait que désormais, nous sommes dans un pays où aucune décision n’est inscrite dans le marbre. Il suffirait de l’humeur d’un chef d’Etat, et de la malléabilité de sa majorité mécanique à l’Assemblée, pour remettre en cause n’importe quelle décision de Justice, ou n’importe quel droit que l’on pensait définitivement acquis. Avec un tel risque, combien d’investisseurs accepteraient de risquer leur mise dans un tel pays ?