PATRIOTISME ET RESPONSABILITÉ MÉMORIELS
Notre conviction reste figée à l'impérieuse nécessité de concevoir des communautés régionales politiques qui permettront à nos pays, en Afrique, d'élaborer des politiques publiques communes fondées sur la mutualisation des ressources
Le peuple sénégalais, dans la pluralité de ses composantes, vient d'élire son cinquième président de la République, M. Bassirou Diomaye Diakhar Faye, issu de l'opposition, au premier tour du scrutin de mars 2024, avec 54,28% des suffrages valablement exprimés, loin devant le candidat de la majorité sortante, M. Amadou BA, 35,79%. Resplendissante expression, à travers les urnes, d'une aspiration profonde à une nouvelle forme de gouvernance plus démocratique, empreinte d'éthique, plus respectueuse des libertés fondamentales des citoyens, et adossée à l'idéal d'une société plus juste et prospère enracinée dans les valeurs fondamentales du panafricanisme.
D'abord, les nouvelles figures de la majorité présidentielle, particulièrement les responsables du parti Pastef, ont une grande responsabilité et un rendez-vous avec l'Histoire. Jamais dans la démocratisation moderne des Nations africaines, une formation politique formée par des jeunes, membres de l'élite administrative, n'a entamé une telle entreprise immense, suscité un si énorme espoir et réussi à conquérir le pouvoir, dès le premier tour de l'élection présidentielle, à la suite d'une adversité permanente et d'une tentative de son démantèlement.
Il est moins difficile d'arriver au sommet du pouvoir que de l'exercer avec responsabilité et habileté, pour offrir à sa Nation émancipation et prospérité, dans un empire du monde, toujours plus mortel, où les antagonismes entre forces politiques, économiques et financières sont plus aigus et porteurs de germes destructeurs pour les Nations et les Etats faiblement préparés aux défis innombrables et fluctuants.
L'exercice du pouvoir n'est nullement un long fleuve tranquille encore moins une recherche de gloire personnelle. En effet, il demande sens du devoir, autorité, humilité et des concours de circonstances favorables. La coalition Diomaye Président 2024 a proposé un projet au peuple sénégalais. Des objectifs, des ressources et un délai. En fait, plus qu'un projet, la nouvelle classe politique doit impérativement mettre en avant un nouvel idéal de société et une stratégie partagée, par l'essentiel des forces vives de la Nation, susceptibles de transcender les mandats présidentiels.
De surcroît, l'absence de démocratie interne dans les formations politiques à la tête desquelles trône un président inamovible ne facilite, certes, pas une meilleure formation des militants et des citoyens, une contribution utile aux affaires publiques.
Ni le Parti Socialiste, ni le Parti démocratique sénégalais, encore moins l'Alliance pour la République ne survivront à leurs fondateurs. Cette appropriation malsaine par ces conglomérats en réalité, témoigne de l'absence de sens de la transmission.
Cette perversion de la démocratie constitue une source explicative de la patrimonialisation des affaires publiques.
Par conséquent, pour une meilleure réussite, le nouveau pouvoir politique doit impérativement conduire des réformes majeures pour assainir l'espace politique, à la suite de la prolifération de formations politiques, souvent opportunistes et parasitaires ; veiller à la stabilisation de la constitution, notamment dans l'intelligibilité du texte, trop sujet à des interprétations diverses admissibles, et des institutions ; auditer les effectifs de l'administration centrale et territoriale dans le but de rationnaliser le personnel ; recourir au numérique pour favoriser l'éclosion d'un service public plus transparent, plus efficace et plus accessible aux citoyens. Humilité et sens du devoir doivent guider chaque citoyen dans ses actes, car si tout le monde ne peut accéder aux responsabilités dans une République, tout le monde peut, cependant, participer aux efforts de construction d'une communauté nationale solidaire, juste et aisée.
La brutalité et les violences des forces de l'ordre notées dernièrement au Sénégal, commandent de mener des enquêtes et des poursuites judiciaires. De même, les crimes financiers commis, et souvent publiés par les organes de l'Etat, dans leurs différents rapports, et révélés par les médias, doivent être sévèrement sanctionnés. Le nouveau pouvoir doit veiller à garantir l'indépendance de la justice et ne point chercher à s'immiscer dans le processus de la reddition des comptes. Il doit être disposé à affronter les facéties du peuple sénégalais. Simultanément, les Sénégalais sont capables de demander une reddition des comptes aux pouvoirs publics et les taxer, dans la même agitation, de cruauté, d'acharnement ou d'inclémence. Aussi, il est urgent de s'engager très rapidement dans la construction de nouveaux centres de détention plus respectueux des droits de l'homme. Une terre qui a connu, durant des siècles, une humiliation permanente d'envahisseurs-prédateurs - esclavage et colonisation - ne peut aucunement accepter que la dignité de ses enfants soit enfreinte.
Le véritable PSE, Plan Sénégal Education, doit être pensé et mis en œuvre pour façonner un nouveau modèle de citoyenneté. En outre, au vingt-et-unième siècle, il est plus sage d'associer dans la gouvernance les citoyens grâce aux immenses progrès, dans la collecte et la diffusion des savoirs et des opinions, portés par la révolution numérique. Et cela requiert un militantisme plus sincère, de la part des citoyens, un militantisme porté par des idéaux justes et moins flagorneurs, qui vise plus à contribuer à la construction d'une meilleure communauté nationale et moins disposer de la générosité ou de la reconnaissance des gouvernants.
Le dilemme, pour les nouveaux gouvernants, risque de se trouver sur comment atteindre cet objectif de citoyenneté qui enjoint la discipline, donc de la contrainte érigée par une autorité, qui en fin de compte aspire à l'élévation du niveau de culture et de civisme de la population, sans pour autant verser dans l'atteinte à la liberté, droit fondamental des sociétés modernes. De tout temps, les critiques du mouvement socialiste et collectiviste ont eu une véritable crainte de voir, à force de vouloir régenter la vie des citoyens pour atteindre l'ambition nationale d'une communauté plus juste et prospère, sombrer dans la tyrannie. L'enfer est pavé de bonnes intentions.
En outre, universitaires, hommes des médias, intellectuels, syndicalistes et autres mouvements sociaux doivent éviter, à force de vouloir suivre l'euphorie populaire ou la peur de recevoir des avis impertinents, d'aduler les nouveaux détenteurs du pouvoir politique ou encore se mettre servilement à leur disposition sans interroger constamment si leurs décisions et leurs actions répondent aux convoitises légitimes et possibles des populations actuelles et futures. Il est indispensable pour une meilleure respiration démocratique d'encourager l'expression d'opinions contraires à celles qui prédominent et la formulation d'autres alternatives.
En démocratie, la quête de nouveaux droits, l'espérance toujours à une meilleure vie sont des mouvements consubstantiels à son approfondissement.
De plus, le futur gouvernement devrait très rapidement, sur le plan économique, après avoir identifié des secteurs porteurs de croissance, notamment dans les filières agricoles auxquelles il pourrait adjoindre sa stratégie d'industrialisation, accroître les investissements, initiés par les régimes précédents, dans le secteur énergétique. L'exploitation future des hydrocarbures doit permettre au Sénégal d'être une terre attractive aux investissements directs étrangers.
Un nouvel écosystème fondé sur la maitrise des coûts de production énergétique, composé de voies de communications construites dans le but d'augmenter la productivité, d'amorcer des activités économiques nouvelles - motivées par les réelles potentialités des territoires et la conviction forte de réaliser des profits et des recettes fiscales -, d'intégrer des activités économiques et d'encourager une mutualisation des services aux entreprises pour la constitution de marchés viables, doit être promu pour relever le défis de l'emploi et de la création de revenus, gages d'une amélioration du niveau de vie des populations.
Notre conviction reste figée à l'impérieuse nécessité de concevoir des communautés régionales politiques qui permettront à nos pays, en Afrique, d'élaborer des politiques publiques communes fondées sur la mutualisation des ressources. En effet, la rapacité des puissances étrangères, en particulier celles occidentales, assise sur un système politique et administratif solide et aguerri, des entreprises publiques comme privées détentrices de tous les leviers nécessaires à la puissance économique et financière - connaissances, brevets, technologies, maîtrise des circuits financiers et de la négociation - des structures militaires efficaces dans la collecte et le traitement de renseignements, disposant de moyens de coercition inimaginables, témoignent de l'impossibilité pour un seul État en Afrique de mettre en place des stratégies efficaces pour leur faire face.
Mais encore, en 2023, le Fonds Monétaire International et les autorité sortantes du Sénégal ont abouti à un « accord au niveau des services sur la conclusion des premières revues au titre du Mécanisme Elargi de Crédit et de la Facilité Elargie de Crédit, ainsi que de la Facilité pour la Résilience et la Durabilité ».
Le Sénégal, sous emprise d'un programme du fonds monétaire, est donc assujetti à un ensemble de réformes, et renseigne que les autorités gouvernementales nouvelles n'auront pas totalement l'autonomie dans la conception et les décisions politiques. Des lors, il est de leur devoir d'envisager des alternatives et des manœuvres réfléchies, pour appliquer leurs engagements tenus auprès des populations, et concomitamment éviter de plonger le Sénégal dans une conflictualité avec l'extérieur.
Le Sénégal, modeste par la taille de sa population et de sa superficie mais immense par la qualité des hommes qu'il a vu naître sur son sol, doit être inspirateur des transformations profondes de la nouvelle Afrique. Les nouvelles autorités doivent tracer les chemins de la dignité. Elles ont les ressources, l'énergie et la légitimité populaire pour relever les défis qui se présenteront continuellement durant l'exercice de cette nouvelle mandature. Le Sénégal doit être assimilé à la grandeur du continent africain. Plus qu'un territoire abritant des peuples - pluriels mais unis dans leur diversité -, terre où les particularismes sont constamment sublimés, décidés à avoir un commun vouloir de vie commune, le Sénégal doit être un espoir, un phare, une guidance pour l'Afrique mais également pour le reste du monde, à travers son sens du dialogue permanent.