VOIX ÉTOUFFÉES AU MALI, LE PREMIER TEST POUR LA DIPLOMATIE SÉNÉGALAISE
Alors que le gouvernement malien serre la vis sur la liberté d'expression, les yeux se tournent vers ses voisins pour un soutien potentiel. Parmi eux, le Sénégal, reconnu pour son histoire démocratique robuste, peut-il jouer un rôle décisif ?
Face à l'escalade des restrictions imposées aux manifestations et activités politiques au Mali, l'inquiétude monte tant au niveau local qu'international. Alors que le gouvernement malien serre la vis sur la liberté d'expression, les yeux se tournent vers ses voisins pour un soutien potentiel. Parmi eux, le Sénégal, reconnu pour son histoire démocratique robuste, peut-il jouer un rôle décisif ?
Le jeudi 11 avril 2024, la Haute autorité de la communication (HAC) a ‘’invité tous les médias (radios, télés, journaux écrits et en ligne) à arrêter toute diffusion et publication des activités des partis politiques et des activités à caractère politique des associations’’, sans préciser les risques auxquels les médias peuvent encourir.
Pour ce directeur de publication d’un journal à Bamako, ‘’cette mesure est impopulaire et ce n’est que le prolongement d’une série de décisions prises sans la moindre concertation avec les autres parties prenantes. On nous a ramenés trente ans en arrière, avec cette nouvelle interdiction. On peut empêcher les gens de parler, mais on ne peut pas leur faire croire en un seul discours. Il faut libérer la parole des autres, même s’ils ne sont pas d’accord avec eux (la junte)’’.
Pour le journaliste et directeur de la chaîne de télévision Joliba TV News, Mohamed Attaher Halidou, qui avait subi les sanctions de cette autorité de régulation en octobre 2022, cette nouvelle décision est "contraire à sa mission de promotion et de défense des libertés et de toutes les libertés. Cette HAC s'aligne toujours derrière les décisions des autorités et cela au mépris des valeurs de démocratie et de la liberté de la presse, des valeurs qui fondent d'ailleurs et justifient son existence''.
Il renchérit sur sa page Facebook : ‘’J'ai comme l'impression que ce sont des préfets qui siègent à la HAC, pour exécuter des décisions arbitraires et fantaisistes… Nous disons non à la caporalisation de la presse, aujourd'hui plus qu'hier. Mais tout cela montre que nous manquons de faitières fortes au Mali pour défendre les valeurs de la profession...’’
Colonel Maïga : ‘’La lutte contre les groupes armés djihadistes et indépendantistes touareg ne s’accommode pas de débats politiques stériles.’’
En effet, 24 heures avant le communiqué de la HAC, le régime militaire avait exigé la suspension de toutes les activités politiques. Ce dernier a publié, le mercredi 10 avril 2024, un décret interdisant les activités des partis politiques, alors que des appels sont lancés à la junte militaire au pouvoir pour qu'elle organise des élections.
L'annonce a été faite par le porte-parole du gouvernement à la télévision publique, mercredi soir. Le colonel Abdoulaye Maïga a déclaré que l'interdiction des activités politiques avait été prise dans l'intérêt du maintien de l'ordre public. Pour motiver ces mesures jugées ‘’impopulaires’’ par les partis politiques, il rappelle : ‘’Quand le chef de la junte a lancé, le 31 décembre, un dialogue national pour la paix ou quand le jalon du 26 mars a été franchi sans que les militaires ne partent, les partis se sont livrés à des discussions stériles. Par ailleurs, la poursuite de la lutte contre les groupes armés djihadistes et indépendantistes touareg ne s’accommode pas de débats politiques stériles.’’
Une interpellation qui a fait réagir l'ancien Premier ministre Moussa Mara (2014-2015). Il a demandé aux autorités de revenir sur leur décision. Il parle d’un ‘’recul majeur’’ qui ‘’n’augure pas de lendemains apaisés’’.
Quant au président de la Convergence pour le développement du Mali (Codem), Housseini Amion Guindo, il a appelé à la ‘’désobéissance civile jusqu’à la chute du régime illégal et illégitime (…), en raison notamment de son incapacité à satisfaire les besoins essentiels des Maliens’’.
Toujours dans cette optique de défendre les principes de la démocratie qu’il pense être fortement menacés par Assimi Goïta et Cie, ce dirpub dans l’anonymat relève que le risque majeur est de passer à côté de l’objectif des militaires, c’est-à-dire dérouler une transition avec une grande inclusivité des Maliens. ‘’Le dialogue intermalien, qui a été comme étant la raison politique de cette suspension, risque gravement et contradictoirement de prendre un coup. Les partis politiques et associations à caractère politique sont composés aussi de Maliens qui devront avoir leur mot à dire lors de ce dialogue’’, fait-il remarquer.
Ibrahima Harane Diallo : ‘’Ces nouvelles mesures vont multiplier les fronts de contestations.’’
Il poursuit : ‘’Un autre risque de cette mesure est la tenue d'un dialogue intermalien de sourds. Les discussions indispensables ou encore les débats éventuellement houleux qui pourraient caractériser ce dialogue risquent d'être étouffés.’’
Pour le journaliste et chercheur en sciences politiques basé aux États-Unis, Ibrahima Harane Diallo, ‘’cette décision va affaiblir le poids de ce gouvernement de transition en termes de soutien. La junte va avoir plus de problèmes. Ces nouvelles mesures vont multiplier les fronts de contestations et porter un coup dur au dialogue entre Maliens’’.
Une analyse qu’il (Harane Diallo) partage avec les partis, regroupements de partis et organisations de la société civile signataires de la déclaration du 31 mars 2024.
‘’Au moment où le chef de l'État en appelle à tous les Maliens pour participer à un dialogue dit intermalien, on suspend les activités des partis et activités à caractère politique des associations, qui constituent un pan indispensable dans l’animation de la vie politique et publique, conformément aux textes de loi pertinents en la matière’’, regrettent-ils à travers un communiqué diffusé le jeudi 11 avril 2024.
En outre, ils attirent l’attention de l'opinion publique nationale et internationale, sur le fait que ‘’ces atteintes graves aux libertés démocratiques sont sans précédent dans l'histoire du Mali, depuis la chute de la dictature militaire du général Moussa Traoré’’.
Médiation des nouvelles autorités diplomatiques sénégalaises ?
Quant aux nouvelles autorités diplomatiques sénégalaises, elles préfèrent ne pas s’exprimer pour le moment, car elles sont en train de travailler d’arrache-pied sur le dossier malien pour proposer une solution de médiation entre les acteurs politiques et les autorités militaires.
Pour rappel, le nouveau président Bassirou Diomaye Faye a manifesté son souhait de voir les pays voisins, Mali et les autres (Niger et Burkina Faso) réintégrer la CEDEAO. Une tâche qui s’avère difficile, au regard des tensions entre ces pays et cette communauté sous-régionale qui a perdu beaucoup de crédit.
Pour Ibrahima Harane Diallo, le Sénégal est dans une dynamique proactive, dans le cadre des relations bilatérales et multilatérales avec le Mali. ‘’Dakar, dit-il, doit pouvoir faire quelque chose. Bien avant l’arrivée du nouveau président et du Premier ministre, à travers les interventions publiques, on savait qu’il y avait une certaine proximité en matière de vision politique entre ces différents acteurs. On voit que les relations deviennent de plus en plus importantes. Lors de la cérémonie d’investiture de Diomaye Faye, il y avait une forte délégation malienne. Toutefois, sur le plan interne, c’est plus difficile, parce qu’il y a un discours de souveraineté mis en avant par les colonels. Dakar pourrait être gêné et sa marge de manœuvre réduite, car les affaires internes sont de la compétence exclusive des pays’’.
Oumar Ndiaye : ‘’Toute démarche diplomatique des nouvelles autorités sénégalaises sur le Mali doit se faire dans le cadre de la CEDEAO.’’
Pour le journaliste spécialiste des questions géopolitiques au quotidien national ‘’Le Soleil’’ Oumar Ndiaye, ‘’il sera difficile aux nouvelles autorités d’avoir une marge de manœuvre dans le dossier malien, même si elles bénéficient d’un préjugé favorable au niveau des juntes au pouvoir en Afrique de l’Ouest, dont le Mali, qui les voient d’un bon œil, surtout concernant la redéfinition des rapports avec les autres partenaires comme la France’’.
Il ajoute : ‘’Les nouvelles autorités sénégalaises ont fait de l’option panafricaniste une pierre angulaire de notre politique étrangère. D’où le changement de dénomination du ministère chargé de notre diplomatie qui devient ministère de l’Intégration africaine et des Affaires étrangères. Même dans leur programme de campagne, leur vision de la politique extérieure est calquée sur cette vision qu’elles appellent ‘’Pour une véritable intégration sous-régionale et africaine’’’.
Alors que beaucoup d'observateurs pensent qu'en tant que puissance régionale influente, Dakar pourrait aider à façonner l'avenir politique de son voisin, en équilibrant pression diplomatique et soutien stratégique, le chef de desk de la rubrique Internationale du ‘’Soleil’’ prévient qu’il faut éviter les cavaliers seuls et adopter une posture collégiale. ‘’Toute démarche diplomatique des nouvelles autorités sénégalaises sur le Mali doit se faire dans le cadre de la CEDEAO qui, depuis le coup d’État de 2020, a mené des actions pour que la transition militaire puisse se terminer avec le retour d’un pouvoir démocratique. Les nouvelles autorités sénégalaises ne peuvent accéder au pouvoir par la voie des urnes de manière très démocratique, saluée par le monde entier et s’accommodaient de putschistes qui trainent avec une transition militaire de quatre ans, presque la durée d’un mandat d’un président élu. La CEDEAO a déjà un médiateur au Mali, en la personne de l’ancien président du Nigéria Goodluck E. Jonathan’’, insiste-t-il.
Il y a aussi le Togo qui est l’un des rares pays qui maintient des canaux de discussion avec les militaires. Le ministre des Affaires étrangères du Togo, Robert Dussey, a joué un rôle important dans la libération des soldats ivoiriens, en janvier 2023.
Yacine Fall et son équipe auront-ils les épaules solides pour ce premier test intra-africain ? L’approche à adopter sera déterminante pour l’issue de cette crise.
Alors que les rues de Bamako et d'autres villes maliennes se vident de leurs manifestants, la résonance des voix étouffées ne fait qu'amplifier l'écho international de la situation. Les Maliens, privés de leurs tribunes publiques, cherchent désormais de nouveaux moyens pour exprimer leur résilience et leur désir de démocratie. Si le gouvernement maintient ses interdictions, il pourrait non seulement isoler davantage le pays sur la scène mondiale, mais aussi alimenter une volonté populaire de changement qui finira par trouver son chemin, quelles que soient les barrières imposées.