LE FRANC CFA FACE À SES CONTRADICTIONS
Pour Kako Nubukpo, la donne change avec l'élection au Sénégal d'un président hostile au franc CFA. Dans une interview au Point Afrique, il décrypte les options désormais sur la table et les réformes à engager pour sortir de ce régime monétaire colonial
(SenePlus) - Des changements majeurs semblent se profiler concernant le franc CFA en Afrique de l'Ouest. Dans une interview accordée au Point Afrique, l'économiste togolais Kako Nubukpo, reconnu pour ses travaux sur cette monnaie, revient sur les enjeux en cours.
"C'est une très bonne nouvelle que des acteurs politiques clairement engagés contre le franc CFA, en tout cas dans sa mouture actuelle, puissent accéder aux responsabilités", souligne d'emblée Nubukpo. L'élection de Bassirou Diomaye Faye, qui souhaite sortir du franc CFA, "crédibilise les débats" selon l'économiste.
Cependant, Nubukpo s'interroge : "Le sujet pertinent est de savoir si les nouveaux dirigeants sénégalais souhaitent une sortie isolée ou mener des réformes dans le cadre de la Cedeao." Deux options aux conséquences différentes.
Pendant ce temps, le Mali, Burkina Faso et Niger, réunis au sein de l'Alliance des États du Sahel, ont annoncé vouloir créer une monnaie commune pour remplacer le franc CFA. Un projet que Nubukpo juge "légitime" : "Le pouvoir de battre monnaie est un privilège régalien."
Mais il prévient : "Si le Sénégal prenait cette décision, l'avenir de l'UEMOA serait clairement en sursis, avec 45% de son PIB qui partirait."
Côté Cedeao, qui devait créer l'eco dès 2020, "rien n'a bougé depuis 2021", déplore Nubukpo. Il pointe "une absence de leadership et de consensus" pour expliquer ce statu quo.
La France dit avoir "fait sa part" selon Nubukpo, qui précise : "Le débat ne porte pas là-dessus." Pour lui, des réformes sont nécessaires, comme le changement de nom, l'abandon de la garantie française jugée caduque, la fusion des traités monétaires et un nouveau régime de change.
Au final, Nubukpo plaide pour un vrai débat ouvert : "On a l'impression que les bienfaits du franc CFA sont simplement postulés." Il appelle à des "référendums" pour que les populations puissent choisir en "décidant de manière souveraine".
Quant à la stabilité souvent vantée, "C'est un leurre" tranche-t-il, rappelant que le franc CFA fluctue en réalité au gré de l'euro. "Si vous avez des prix bas mais pas de revenus élevés, vos revenus réels seront très bas."