MAINTENONS LA LOI SUR LE DOMAINE NATIONAL…
S’invitant dans le débat sur la gestion du foncier, la Professeure Agrégée des facultés de Droit, Amsatou Sow Sidibé a plaidé pour le maintien de la loi actuelle sur le domaine national.

Le Président de la République a ordonné la suspension des procédures domaniales et foncières dans certaines localités du pays en attendant d’établir une situation exhaustive du foncier dans les zones géographiques les plus sensibles, dans lesquelles la paix sociale est menacée par des conflits en cours ou à venir. Depuis l’annonce de cette directive, la question de la réforme foncière se pose avec acuité dans l’espace public. S’invitant dans le débat, la Professeure Agrégée des facultés de Droit, Amsatou Sow Sidibé a plaidé pour le maintien de la loi actuelle sur le domaine national.
«En matière foncière, il ne faut réformer qu’en tremblant». Tel est l’intitulé de la contribution du Professeur Amsatou Sow Sidibé sur le débat entretenu depuis quelques jours autour de la question foncière.
Selon l’ancienne Directrice de l’Institut des Droits de l’Homme et de la Paix (IDHP), le droit à la terre est un droit humain fondamental dont la jouissance ne doit souffrir d’aucune discrimination. A ce propos, souligne-telle, depuis des dizaines d’années l’idée de réformer le droit foncier sénégalais est agitée. Mais elle pense qu’il est important de revisiter les textes qui régissent le droit foncier au Sénégal et surtout de procéder à l’évaluation de leur application. Elle fait savoir que la loi n° 64- 46 relative au domaine national constitue la base juridique de la question foncière au Sénégal. A l’en croire, l’option des pouvoirs publics sénégalais pour la réforme foncière de 1964 était largement justifiée par l'ambiguïté de la situation précédant la réforme. Non sans dire que la loi de 1964 qui s’inspire de nos valeurs africaines est à la fois réfléchie et utile. Néanmoins, précise-t-elle, sa mise en œuvre s’est révélée difficile.
La Professeure agrégée des Facultés de Droit, Titulaire de classe exceptionnelle, estime ainsi qu’une première difficulté est liée à la multiplicité des textes relatifs à la question foncière et à leur défaut d'harmonisation. «Outre la loi sur le domaine national et ses nombreux décrets d’application, il existe aussi le code sur le domaine de l’État et la loi sur la décentralisation. Il faudrait un code foncier qui rassemble tous ces textes et les organisent de façon harmonieuse», laisse-telle entendre.
S’agissant de l'affectation des terres, elle soutient qu’elle ne s’est pas faite de façon démocratique. «Beaucoup d’ayants droits n’en bénéficient pas. Les terres ont été distribuées sur des bases souvent subjectives fondées sur des communautés d'intérêts», regrette Amsatou Sow Sidibé.
Toujours selon elle, il semblerait également que l'Etat n'ait pas beaucoup hésité à immatriculer des terres en son nom, au point que le domaine privé de l'Etat a été considéré comme un «instrument d'étatisation progressive» et d'appropriation privative des terres.
PLAIDOYER POUR DES ASSISES SUR LA QUESTION FONCIERE
Madame Sidibé d’indiquer en outre que la précarité des titres d'occupation qui ne confère qu’un droit d’usage est une autre difficulté. En effet, le leader du Mouvement «Car Lenen» indique que le droit d’usage n’est pas une garantie pour les fonds nécessaires à une exploitation rationnelle. Or, précise-telle, un investisseur avisé ne saurait s'engager sans s'assurer que la consistance du droit qu'il détient, lui garantit une durée minimum pour l'amortissement de sa mise. De même, ajoute-t-elle, un bailleur de fonds ne peut assurer le financement d'une activité que s'il peut asseoir sa garantie sur les droits de son partenaire
Poursuivant, Amsatou Sow Sidibé a déclaré que le droit à la terre est un droit fondamental de la personne humaine. Or, souligne-t-elle, dans l'hypothèse d'une éventuelle privatisation du domaine national, une distribution inéquitable des terres est à craindre. «Une telle situation, risquerait d'alimenter de graves frustrations et conflits. Le Salvador l’a appris à ses dépens, la privatisation y ayant été à l'origine d'une guerre civile. Au Sénégal, une privatisation des terres pourrait constituer une véritable bombe. Elle menacerait la paix ce qui serait incompatible avec le développement économique», prévient l’Agrée des Facultés de Droit.
Amasatou Sow Sidibé estime que les Assises sur la question foncière avec l’implication de tous les acteurs est une condition sine qua non. «La solution résulte d’un dialogue inclusif des acteurs (les populations, les experts, l’administration, etc.) pour une reforme réfléchie, une réforme adaptée aux aspirations de ses destinataires. Une option contraire risque de déboucher sur une réforme inadaptée donc inefficace. Le foncier est trop important, pour ne pas dire sensible, pour être seulement l'affaire de certaines personnes», a-t-elle affirmé. Sa conviction, la loi sur le domaine national appliquée de manière optimale, devrait être une solution au drame vécu par tous ceux qui sont sans terre. «Maintenons la loi sur le domaine national en y apportant des améliorations. En matière foncière, il ne faut légiférer qu'en tremblant», conclut-elle.