ON NE PEUT PARIER SUR LA SOUVERAINETE ALIMENTAIRE
La faiblesse de l’agriculture au Sénégal tient, entre autres, à la spéculation foncière, un phénomène qui s’est amplifié à partir de 2008, quand la Goana du président Wade facilitait l’acquisition de «la terre à qui voudrait la cultiver»
De passage à la Fiara cette semaine, le Premier ministre Ousmane Sonko a promis de «relever le défi de l’autosuffisance alimentaire». Très forte déclaration que tous les Sénégalais ne peuvent louer, d’autant qu’elle entre en ligne droite de la volonté exprimée par les dirigeants qui ont précédé ce régime, notamment les présidents Abdoulaye Wade et Macky Sall. Ces dirigeants ont été confrontés à des situations de crise alimentaire qui leur ont rapidement fait prendre conscience que le pays ne pouvait espérer se développer en basant son alimentation sur les récoltes des pays étrangers.
C’est ainsi qu’en 2008, à la suite d’une forte crise alimentaire mondiale, qui a réduit les quantités d’exportations alimentaires, le Président Abdoulaye Wade a lancé la Grande offensive agricole pour la nourriture et l’alimentation (Goana). Il a débloqué un budget de plus de 60 milliards de francs Cfa pour cela, tout en encourageant tous les Sénégalais qui s’en sentaient la capacité, à se lancer dans l’agriculture. Des facilités ont été accordées aux potentiels entrepreneurs agricoles, en termes d’accès aux terres, à l’irrigation, et même pour acquérir des semences, des engrais et de l’eau. Le Président Wade s’attendait, avec tout cela, à voir le Sénégal réaliser un bond considérable de ses principales spéculations agricoles. 16 ans après, tout le monde a pu se rendre compte que dans aucune des spéculations visées par le pouvoir de Me Wade, le pays n’a pu atteindre l’autosuffisance. Est-ce sans doute pour cela que, fine mouche, le Premier ministre Ousmane Sonko a particulièrement évité de mettre l’accent sur une production quelconque, et s’est contenté de parler d’autosuffisance alimentaire de manière globale ? L’ennui est qu’en voulant ratisser large, on risque de ne réussir dans aucun domaine. Surtout qu’il n’y a aucun secteur de l’agriculture où l’on est susceptible de remporter plus rapidement des victoires. Il faut se rappeler les efforts consentis par le Président Macky Sall pour tenter de réaliser l’autosuffisance en riz au plus tard en 2017. Jusqu’à son départ du pouvoir, le chef de l’Etat sortant n’a pu savourer cette satisfaction. Ses différents ministres de l’Agriculture et lui se sont gargarisés de chiffres de production dopés, et qui ne tenaient nul compte des réalités sorties des champs de production. On a déjà indiqué ici que, même dans des secteurs où le Sénégal avait connu des avancées, comme dans la production de la tomate et sa transformation, des décisions politiques maladroites ont abouti à un fort recul, qui fait que la tomate Made in Sénégal est aujourd’hui une belle fiction, qui ne trompe plus personne à voir l’état de détresse des paysans de l’Interprofessionnelle de la tomate dans la Vallée du fleuve.
Ces exemples ont souligné le fait que l’autosuffisance alimentaire ne devrait pas s’arrêter au gonflement du budget de l’agriculture sans faire intervenir les autres éléments. La première et la plus importante étant la terre. Si les spécialistes disent que le Sénégal dispose de plus de 3 millions 800 mille hectares de terres arables dont près de 2 millions 500 mille sont mises en valeur. Sur ces terres emblavées, 17% sont confiés à des exploitants étrangers, principalement dans l’agrobusiness. La faiblesse de l’agriculture au Sénégal tient, entre autres, à la spéculation foncière, un phénomène qui s’est amplifié à partir de 2008, quand la Goana du Président Wade facilitait l’acquisition de «la terre à qui voudrait la cultiver», comme disait l’ancien chef de l’Etat. Ce furent surtout des promoteurs immobiliers qui se sont servis de la majorité de ces terres. Une situation facilitée par ailleurs par la difficulté d’accès au financement dans l’agriculture. Dans la vallée du fleuve Sénégal ou dans l’Anambé, les agents de La Banque agricole (Lba) ont plein d’anecdotes sur leurs chassés-croisés avec les producteurs de riz ou, dans une moindre mesure, d’oignon, quand vient le moment de recouvrer les créances. Pendant des années, il fallait un moment que l’Etat s’implique et décide de passer l’éponge si les créances devenaient trop lourdes pour le paysan.
On n’en finira pas avec ce phénomène tant que les structures d’encadrement des paysans, comme la Saed, l’Ancar, la Sodagri ainsi que les Drdr, ne seront pas plus dynamiques dans leur rôle d’appui technique des paysans à la base. A une époque où les coopératives et les interprofessionnelles ont quasiment toutes disparu, le paysan se retrouve seul face aux banquiers. Souvent, faute de pouvoir faire face à ses créances, le paysan se décourage et ne cherche pas à augmenter ses récoltes. C’est dire que la politique d’autosuffisance alimentaire ne se réalisera pas à la suite d’un «pari» à la Lonase ou sur 1XBet. Il s’agira au contraire d’un processus dynamique impliquant de nombreux acteurs, à commencer par les paysans et les services de l’Etat, pour finir par les consommateurs. Et en incluant les services d’encadrement, les chercheurs, agronomes, botanistes, géographes, aménagistes, pédologues, intermédiaires, producteurs privés de semences, industries de transformation et autres. Le Premier ministre a eu la sagesse de ne pas se fixer publiquement de délai pour la réalisation de son pari, ce qui est une bonne chose. Il aura également intérêt à ne pas vouloir faire table rase de ce qui a été fait. Macky Sall a porté le budget de l’agriculture à 120 milliards de francs Cfa, une première dans ce pays. Même si les résultats escomptés ne sont pas encore au rendez-vous, cela ne veut pas dire que la voie choisie était nécessairement mauvaise