100 JOURS ET HEURTS
Piégé par les nombreuses promesses, l’immense espoir, un temps qui fuit, il aura gouverné par la menace. Le Premier ministre est au front. Sur tous les fronts. Presse, magistrats, Assemblée…
Le régime de Diomaye-Sonko a bouclé ces 100 jours symboliques. 100 jours souvent conflictuels avec différents acteurs et segments de la société. Piégé par les nombreuses promesses, l’immense espoir, un temps qui fuit, il aura gouverné par la menace. Le Premier ministre est au front. Sur tous les fronts. Presse, magistrats, Assemblée…
Arrêt des travaux du Littoral
C’est le premier sujet du régime. Après avoir découvert des pratiques jugées peu orthodoxes, les nouvelles autorités ont suspendu les chantiers de construction sur le littoral de Dakar. D’abord une note des services des Domaines sur instruction du président de la République. Et elle est suivie par ce déplacement de Bassirou Diomaye Faye lui-même à Mbour4 pour annoncer la couleur et prévenir les hommes d’affaires et politiques qui se sont partagé ces hectares. Le mardi 14 mai, la suspension pour deux mois de toutes les constructions sur le littoral de Dakar et sa région, est actée au grand bonheur des défenseurs de l’environnement devant la bétonisation de la côte. Le gouvernement a aussi décidé de la création d’une commission ad hoc chargée de vérifier la légalité des titres délivrés pour les occupations anciennes et nouvelles du domaine public maritime. Le littoral dakarois est le théâtre d’une spéculation immobilière intensive. Hôtels et immeubles d’habitation ou de bureaux y poussent à grande vitesse. Les défenseurs de l’environnement ou de la qualité de vie dénoncent la privatisation du littoral à coups de violations des règles de droit. De nombreux Dakarois se plaignent de ne plus avoir d’accès libre à l’océan. C’est d’ailleurs ce qui a expliqué le déplacement du Pm, dimanche, à la plage Anse Bernard où, selon lui, des milliers de mètres carrés ont été cédés à des privés par l’ancien régime en fin 2023. La suspension des chantiers a, cependant, suscité des interrogations dans les milieux économiques, le secteur de la construction faisant travailler un nombre considérable d’ouvriers.
Sonko et les médias
Le Premier ministre Ousmane Sonko s’est attiré les foudres de la presse par ses propos jugés menaçants. En meeting avec les jeunes de son parti au Grand théâtre, il disait : «On ne va plus permettre que des médias écrivent ce qu’ils veulent sur des personnes, au nom d’une soi-disant liberté de la presse, sans aucune source fiable.» Le chef du gouvernement s’offusquait ainsi du traitement médiatique sur l’affectation du général Souleymane Kandé à New Delhi comme attaché de défense et de sécurité. En colère, il les mettra au défi de publier à nouveau des articles l’impliquant dans la mutation de l’ancien Chef d’état-major de l’Armée de terre. Cette sortie au vitriol du leader du Pastef contre la presse lui avait valu une réplique du Syndicat des professionnels de l’information et de la communication (Synpics). Son porte-parole, Maguette Ndong, avait exprimé toute sa surprise après les «menaces» proférées par le Premier ministre. Alors que Mamadou Ibra Kane, président du Conseil des diffuseurs et éditeurs de presse (Cdeps) déclarait dans L’Observateur : «Je refuse à toute personne de me traiter de bandit fiscal. Je suis un chef d'entreprise. Les personnes qui nous diffament ne sont pas plus patriotes que nous. Nous sommes un secteur qui est spécifique, il nous faut une fiscalité qui est spécifique. Nos gouvernants ont une vision extrêmement étroite, c’est-à-dire qu’ils ne considèrent pas la presse comme un secteur névralgique.» Une sortie qui n’avait pas plu au coordonnateur général du Forum civil. Birahim Seck rappelait à Sonko : «Vous n’êtes plus dans l’opposition, mais dans la position d’apporter des réponses rassurantes et démocratiques.»
Dignitaires de l’ancien régime et magistrats
Cette rencontre au Grand théâtre a été aussi un prétexte pour Ousmane Sonko de réaffirmer son intention de réclamer des comptes, non seulement aux auteurs d’irrégularités dans la gestion des comptes publics, mais aussi aux responsables des violences qui ont fait des dizaines de morts entre 2021 et 2024. «Est-ce qu’on peut pardonner à des gens qui ont tué des Sénégalais dont le seul tort était d’avoir revendiqué leurs droits ? Je tiens à rassurer tout le monde, ce qui doit être fait sera fait», avait martelé le Pm. La magistrature n’a pas été épargnée à cette occasion : «Une fois qu’on aura fini de donner un coup de balai (dans la justice) et qu’on aura nommé de vrais magistrats, des magistrats honnêtes, on fera ce qu’il faut avec les dossiers des gens qui ont détourné l’argent du pays.» Et il avait nommément accusé le président du Conseil constitutionnel, Mamadou Badio Camara, de corrompu.
Sonko et l’Assemblée nationale
Il ne restait donc au Premier ministre que les députés. Si, dans le principe, il n’est pas obligé de faire sa Déclaration de politique générale dans les 90 jours à cause d’un règlement intérieur défaillant, il doit la faire tout de même. Alors, le 28 juin, répondant au député Guy Marius Sagna, qui lui demandait de ne pas venir à l’Assemblée, Ousmane Sonko ouvre les hostilités contre, notamment, Benno bokk yaakaar qui est majoritaire à l’Assemblée nationale. Il conditionne la présentation de sa Dpg à la restauration dans le règlement intérieur de l’Assemblée de dispositions liées au poste de Premier ministre, dispositions qui avaient été enlevées en 2019 avec la suppression du poste. Mais aussi, il menace de tenir sa Dpg hors de l’hémicycle. Mais c’est sans compter avec la détermination de Bby qui a répliqué par une annulation du Débat d’orientation budgétaire et qui envisage de déposer une forme pour empêcher le président de la République de dissoudre l’Assemblée nationale. Des médiateurs sont entrés en scène pour éviter une crise politique et institutionnelle.