LA GROGNE DES IMPACTÉS DU TER PERDURE
Entre promesses non tenues, indemnisations dérisoires et discrimination flagrante, les victimes du chantier dénoncent l'inaction coupable de l'État et la passivité de la BAD pourtant garante du respect des populations
Près de 3 ans après la mise en circulation du Ter, il y a toujours des voix mécontentes qui s’élèvent pour demander leur recasement par l’Etat.
Le Train express régional (Ter), qui sert à désenclaver la banlieue dakaroise, n’a pas fait que des heureux. Sa construction a porté préjudice à de nombreuses familles. C’est le cas des propriétaires des maisons et entreprises qui ont eu la malchance d’être sur son tracé. Mais, en plus du tort causé par le projet ferroviaire, les impactés du département de Dakar seraient victimes d’une discrimination dans l’attribution des logements de recasement. En fait, après avoir attribué le site de Lac Rose aux impactés, l’Etat n’a pas inclus les victimes du département de Dakar. «Nous sommes victimes de discrimination de la part de l’Etat du Sénégal et de la Bad. L’Etat a attribué aux impactés le site de Lac Rose sans inclure ceux du département de Dakar. Et depuis 2017, nous courons après nos indemnités, a révélé hier Fatou Dionne, la coordonnatrice des Impactés du département de Dakar. Pourtant, ils ont démoli nos maisons et entreprises, et puis refusent de nous recaser.» A l’en croire, «il n’existe nulle part un barème du plan d’actions respecté dans le département de Dakar». Pis, «le département de Dakar n’a pas reçu d’acte de conciliation, encore moins de Pv de conciliation. Certains pères de famille ont ête indemnisés à hauteur de 25 mille francs, d’autres payés par billetterie», a-t-elle dénoncé. Engagée avec fermeté dans ce combat, elle ajoute : «Nous n’accepterons pas d’être écartés. D’ailleurs, une plainte avait été déposée en 2019.» Mais, il faut noter qu’elle a été suivie d’une médiation qui a été menée par des facilitateurs commis par la Bad et l’Afd pour que les impactés du Ter et le gouvernement discutent afin de parvenir à une solution. «Malheureusement, la médiation a échoué parce que l’Apix ne dispose pas des ressources nécessaires pour étudier les milliers de dossiers déposés par les personnes affectées par le projet. A l’issue de cette médiation, la banque, conformément à ses politiques et à la demande de Lsd, a mené une vérification de conformité du programme avec les politiques de sauvegarde environnementale initiale de la Banque africaine de développement.» Le rapport a été rendu public en janvier 2024. Quel est son contenu ? «Et dans ce rapport, la direction de la Bad a reconnu aujourd’hui que si le Ter est très utile aux populations sur l’axe Dakar-Diamniadio, c’est au prix de multiples sacrifices des personnes affectées par le projet, qui ont perdu leur toit, leur emploi, leurs sources de revenus. Et que même ces personnes sont en train aujourd’hui de vivre un stress et une anxiété uniquement causés par ce projet», explique Babacar Diouf, spécialiste en suivi-projet infrastructure financé par la Bad au sein de l’Ong Lumière, Synergie et Développement.
Drames familiaux
Après cette étape et conformément à la règlementation de la Bad, poursuit-il, la direction a proposé un plan d’actions issu des recommandations qui sont contenues dans le rapport de conformité. «C’est ce plan d’actions qui concerne les violations qui ont été occasionnées par le projet. Mais depuis 6 mois, nous n’avons pas de lisibilité sur cela. Il n’y a pas de consultations qui sont menées à l’endroit des plaignants pour essayer de mettre en œuvre le plan d’actions», a-t-il fait savoir. Une inertie que les plaignants ne peuvent pas comprendre. «Et c’est pourquoi ils ont jugé nécessaire de rappeler à la Banque africaine de développement (Bad) ses responsabilités dans ce projet. C’est la banque qui était censée payer pour la mise en œuvre correcte de ces politiques de sauvegarde environnementale et sociale», rappelle Babacar Diouf.
Menace sur un financement de la Bad
Selon Fatou Dionne, la Bad ne doit pas rester inerte. «Car elle est là pour aider à moderniser l’Afrique. Et en pareille situation, si les travaux qui sont entrepris avec l’argent qu’elle a financé portent préjudice aux populations, elle doit participer à la réparation du préjudice. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’elle a été incluse aussi dans la plainte. Ces banques doivent nous aider. Des maisons et des familles sont disloquées. Nos enfants ne vont plus à l’école», se désole Mme Dionne.
Mais d’après Babacar Diouf, «elle a refusé de financer la deuxième phase du projet tant que le gouvernement du Sénégal ne règle pas les problèmes qui ont été soulevés dans la première phase».
Face à une telle situation, les plaignants invitent l’Etat à prendre à bras-le-corps ce dossier. «Il y va de son intérêt s’il veut préserver son image sur la scène internationale. Ça risque même d’entacher la réputation de l’Etat si la banque, qui est un grand partenaire du Sénégal, suspend un financement de 102 millions de dollars. Ça peut être un précédent dangereux pour leurs projets futurs», prévient M. Diouf. Pour lui, «l’Etat gagnerait à entrer en contact avec les plaignants pour essayer de trouver des solutions. Car ce que demandent les impactés, c’est un recasement général. Sinon ils n’excluent pas de passer à la vitesse supérieure», note Babacar Diouf. Il suggère à l’Etat d’identifier des assiettes foncières afin d’octroyer des parcelles pour les aider à se reloger. «Ces victimes, même si elles habitaient dans des bidonvilles, ont beaucoup perdu, pour certains leurs maisons et d’autres leurs entreprises. Aujourd’hui, elles se retrouvent à payer la location. Avec la conjoncture actuelle, certains foyers sont disloqués et certains enfants ne vont plus à l’école. Et c’est dans ce sens que les victimes invitent les nouvelles autorités qui incarnent le slogan Jub, Jubal, Jubanti à arranger cette situation qui leur porte un lourd préjudice», enchaîne-t-il.