LE PIÈGE D'UN QUATRIÈME MANDAT D’ADO
"Les Ivoiriens feraient bien de s'inspirer du Sénégal, où en 2012 l'opposition unie a battu Abdoulaye Wade, qui voulait faire réinitialiser son décompte de mandats" estime Ken Opalo, professeur associé à l'université Georgetown
(SenePlus) - La Côte d'Ivoire, principal producteur mondial de cacao, fait face à un avenir incertain selon Ken Opalo, professeur associé à l'université Georgetown, dans une tribune publiée par Bloomberg. En visant un controversé 4e mandat présidentiel, Alassane Ouattara "menace de plonger le pays dans un nouveau cycle de crises politiques", alerte l'analyste.
"Pour ces raisons, l'Union africaine, la Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest (Cédéao) et les autres partenaires étrangers d'Abidjan - dont la France - devraient utiliser leurs liens diplomatiques étroits pour convaincre Ouattara de laisser le pouvoir à la fin de son mandat actuel", plaide Opalo.
Les enjeux économiques sont colossaux selon lui. Entre 2012 et 2019, la Côte d'Ivoire a affiché une croissance annuelle moyenne de 8,2%, devenant l'un des moteurs de la région. Sous Ouattara, le revenu par habitant est passé de 1654 dollars en 2010 à 2729 dollars en 2023. "Toutes ces réalisations seraient mises en péril si l'ordre politique venait à s'effondrer", prévient le professeur.
Ce regain économique cache toutefois des fragilités politiques persistantes, révélées par un récent sondage d'Afrobaromètre. Si 60,8% des Ivoiriens approuvent Ouattara, 65,3% se disent insatisfaits de la démocratie. Plus inquiétant, plus de 65% estiment que l'armée a le droit d'intervenir en politique en cas d'abus de pouvoir.
"Ces chiffres devraient inquiéter tous ceux qui veulent que le constitutionnalisme prévale après le départ d'Ouattara", commente Opalo, évoquant aussi le boycott de la présidentielle de 2020 par l'opposition, qui a érodé sa légitimité.
L'analyste rappelle que la Côte d'Ivoire n'est pas à l'abri des violences politiques, avec un coup d'État en 1999 et deux guerres civiles depuis. "Permettre une élection présidentielle ouverte en 2025 serait le signal ultime que le pays a finalement échappé à l'instabilité qui le ronge depuis la mort de Félix Houphouët-Boigny en 1993", estime-t-il.
Au-delà, une crise ivoirienne pourrait déstabiliser une région déjà fragilisée par l'insurrection djihadiste au Sahel. "Un coup d'État dans la capitale économique Abidjan ou un conflit fournirait une ouverture pour la violence venant du Nord, qui pourrait alors se propager à l'Ouest vers le Liberia et la Guinée", met en garde Opalo.
Le professeur dénonce aussi "le défi persistant de la consolidation démocratique" en Afrique, les organisations régionales condamnant les coups d'État militaires mais fermant les yeux sur les "coups constitutionnels" via des réformes ad hoc de la limitation des mandats.
"L'alternance au pouvoir est la véritable pierre de touche de la maturité politique", insiste Opalo, estimant qu'Ouattara dispose d'alternatives crédibles comme l'ex-président Gbagbo ou l'ancien patron de Credit Suisse Tidjane Thiam.
"Les Ivoiriens feraient bien de s'inspirer du Sénégal, où en 2012 l'opposition unie a battu Abdoulaye Wade, qui voulait faire réinitialiser son décompte de mandats", conclut le tribune. Un avertissement appuyé alors que plane le spectre d'une rechute dans l'instabilité pour ce pilier économique d'Afrique de l'Ouest.