LA FRANCE FACE À SES FANTÔMES AFRICAINS
Du Sénégal à Madagascar en passant par le Cameroun et l'Algérie, cinq dossiers mémoriels soulèvent des tensions entre Paris et ses anciennes colonies. Ils illustrent la complexité du processus de reconnaissance et de réparation des crimes coloniaux
(SenePlus) - Le journal Le Monde a récemment mis en lumière cinq dossiers mémoriels qui continueront de soulever des tensions entre la France et ses anciennes colonies africaines. Ces dossiers, qui s'étendent du Sénégal à Madagascar en passant par le Cameroun et l'Algérie durant, illustrent la complexité du processus de reconnaissance et de réparation des crimes commis l'ère coloniale.
Le massacre de Thiaroye, au Sénégal, constitue l'un des exemples les plus marquants de cette histoire douloureuse. Le 1er décembre 1944, des dizaines, voire des centaines de tirailleurs africains furent exécutés par l'armée française alors qu'ils réclamaient simplement leur solde. Comme le rapport Le Monde, l'attribution récente de la mention "Mort pour la France" à six de ces tirailleurs marque une avancée significative dans la reconnaissance de ce crime. Cependant, le premier ministre sénégalais, Ousmane Sonko, a souligné que « ce n'est pas à [la France] de fixer unilatéralement le nombre d'Africains trahis et assassinés après avoir contribué à la sauvetage, ni le type et la portée de la reconnaissance et des réparations qu'ils méritent".
Au Cameroun, l'assassinat de Ruben Um Nyobè, figure emblématique de la lutte pour l'indépendance, reste une pièce ouverte. Selon les historiens cités par Le Monde, l'armée française serait responsable de la mort de milliers de civils et de plusieurs dirigeants anticolonialistes. Une commission mixte mémorielle, dont les conclusions sont attendues en décembre, travaille actuellement sur "le rôle et l'engagement de la France au Cameroun dans la répression contre les mouvements indépendantistes et d'opposition entre 1945 et 1971".
À Madagascar, la répression sanglante de l'insurrection de 1947 a longtemps été passée sous silence. Le président Jacques Chirac a finalement reconnu en 2005 « le caractère inacceptable des répressions engendrées par les dérives du système colonial ». Aujourd'hui, les revendications malgaches se concentrent principalement sur la restitution des restes humains et de biens culturels, comme les trois crânes sakalaves réclamés par le pays.
L'Algérie reste un dossier particulièrement sensible. Une commission d'historiens algériens et français travaille depuis 2022 sur la mémoire de la colonisation. Le président Emmanuel Macron a reconnu la responsabilité de la France dans plusieurs épisodes sombres, comme le massacre du 17 octobre 1961 à Paris. Lors de la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques de Paris, la délégation algérienne a rendu un hommage poignant aux victimes en lançant des roses dans la Seine.
Enfin, la question des biens spoliés pendant la colonisation reste un sujet brûlant. Comme le souligne Le Monde, environ 90 000 pièces originaires d'Afrique subsaharienne font aujourd'hui partie des collections de musées publics français. Une loi-cadre sur la restitution de ces biens est attendue, mais son examen a été rapporté à l'automne.
Ces différents dossiers mémoriels témoignent de la complexité du processus de réconciliation entre la France et ses anciennes colonies. Ils soulignent l'importance d'un dialogue ouvert et honnête, ainsi que la nécessité d'actions concrètes pour réparer les délits du passé. Comme l'illustre les cas du Sénégal, du Cameroun, de Madagascar et de l'Algérie, chaque situation nécessite une approche spécifique et sensible aux attentes des pays concernés.
La France semble avoir amorcé un virage dans sa politique mémorielle, mais de nombreux défis restent à relever. L'accès aux archives, l'identification des victimes, la restitution des biens culturels et la reconnaissance officielle des crimes commis sont autant de chantiers qui nécessiteront du temps, de la volonté politique et une collaboration étroite avec les pays africains concernés.