LA PRESSE AU BORD DE L’ASPHYXIE
Blocage de comptes bancaires, pressions fiscales, suspension des conventions commerciales…Tant les dégâts collatéraux de cette sorte de «mortal kombat» avec la presse, dans sa globalité, sont lourds
Entre blocage de comptes bancaires, réclamation de paiement des dettes fiscales par la Direction générale des impôts et des domaines, suspension de conventions liant des départements et structures étatiques à des médias, menace de coupure de signal de télévision pour retard de paiement de redevance, moult entreprises et organes de presse sont au bord de l’asphyxie depuis quelques mois. Face à cette situation, le risque est grand de voir pas mal d’organes de presse mettre la clé sous le paillasson. Tant les dégâts collatéraux de cette sorte de «mortal kombat» avec la presse, dans sa globalité, sont lourds !
«Il n’y a pas de société démocratique sans une presse libre et pluraliste», déclarait l’ancien Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies (ONU), Kofi Annan, lors de la célébration de la Journée mondiale de la liberté de la presse, le 2 mai 1997, au siège de l’ONU à New York. Précisant qu’à travers cette journée qui venait d’être instaurée il y a quatre (4) ans sur décision de l'Assemblée générale de l’ONU, «nous célébrons le droit des peuples du monde à la liberté d’opinion et d’expression. Nous réaffirmons qu’il ne peut y avoir de société démocratique sans une presse libre, indépendante et pluraliste».
Cette déclaration semble faire écho à une autre faite plus de deux siècles auparavant, par Thomas Jefferson, homme d'État américain et principal rédacteur de la Déclaration d'indépendance des États-Unis, en 1776. Celui qui est devenu le troisième président des États-Unis d’Amérique (USA - de 1801 à 1809) avait déclaré qu’il n’y avait pas d'alternative à la liberté de la presse. «Notre gouvernement est fondé sur l’opinion de notre peuple», avait-il écrit en 1787, ajoutant que «le tout premier objectif devrait viser à maintenir ce droit. Et si on me demandait de décider si nous devons avoir un gouvernement sans journaux ou des journaux sans gouvernement, je n'hésiterais pas un moment à choisir la deuxième option».
Une opinion qui est toujours d’actualité. Mais, au Sénégal, la presse, qui a toujours été au cœur de la vie démocratique du pays, vit des moments difficiles depuis quelques mois. Une situation intenable qui risque de mener certaines entreprises de presse vers la faillite, si les nouvelles autorités continuent sur leur dynamique. En atteste, déjà le weekend dernier, le groupe de presse «Africaine Communication Edition» (AFRICOME) a annoncé la suspension de la parution des quotidiens «Sunu Lamb» et «Stades».
COUP DUR POUR LA PRESSE SENEGALAISE
Un coup dur pour la presse sénégalaise. «Depuis deux ans, AFRICOME connaît des exercices déficitaires, des dettes colossales vis-à-vis de ses fournisseurs (particulièrement étrangers pour son approvisionnement en intrants), des retards de paiement des salaires, l’arrêt du paiement des cotisations sociales et des frais pour la couverture maladie», a fait savoir le Directeur de publication des quotidiens sportifs Stades et Sunu Lamb, Mamadou Ibra Kane, dans un communiqué. Non sans manquer d’alerter que «cette crise économique et sociale n’est pas propre à AFRICOME et les entreprises sénégalaises du secteur des médias risquent de tomber comme des mouches».
En effet, depuis quelques mois, avec l’arrivée du nouveau régime, moult entreprises de presse sont confrontées à une accentuation de la crise qu’elles vivaient déjà, d’abord à cause de la pression fiscale. Les nouvelles autorités sont en effet décidées à recouvrer 13 milliards de dette fiscale et 25 milliards pour les redevances dues à l’Agence de régulation des télécommunications et de la poste (ARTP), auprès des entreprises de presse. Il s’en est suivi des mises en demeure et des blocages des comptes bancaires de certains groupes de presse. Une situation qui avait poussé les patrons de presse, notamment le Conseil des diffuseurs et éditeurs de presse (CDEPS), à monter au créneau afin de trouver des solutions. A la pression fiscale que subissent actuellement les entreprises de presse, s’ajoutent la suspension de toutes les conventions avec les médias, signées par les structures publiques, jusqu’à nouvel ordre. Ce qui a contribué à aggraver la situation déjà jugée précaire de certains médias, si l’on sait que l’essentiel des revenus des médias vient des publicités et en partie de ces accords de partenariat.
AFRICOME, L’ARBRE QUI CACHE LA FORET !
Il faut également dire que la Société de télédiffusion du Sénégal (TDS.SA) est également à couteaux tirés avec Excaf Télécom qui a tellement investi dans le projet de la Télévision numérique terrestre (TNT) au point de se retrouver dans sa situation de vulnérabilité actuelle. Dans un communiqué, TDS.SA a annoncé le retrait de l’exploitation commerciale et technique multiplex dont Excaf Télécom avait la charge de la gestion privée depuis 2014. Sauf que ledit groupe persiste et signe «qu’il n’existe aucune relation juridique entre les deux parties dans le cadre des deux (2) multiplex» et «se réserve d’user de tous les moyens légaux pour défendre son droit». Et comme si cela ne suffisait pas, la TDS.SA menace de couper le signal de Walf TV sur la TNT et d’autres chaînes de télé.
Dans une lettre adressée au Président Directeur général (PDG) du Groupe Walfadjri, la nouvelle Directrice générale de TDS.SA demande à l’entreprise de presse de régler une ardoise de 10.820.000 de francs CFA, représentant la contrepartie financière de la diffusion de sa chaîne télé, Walf TV, sur la TNT, révèle Walf Quotidien. «Si le paiement n’intervient pas dans un délai d’une semaine, TDS-SA sera obligée de saisir l’organe de régulation, en l’occurrence le CNRA, afin de procéder à la suspension ou la cessation de la diffusion, comme stipulé à l’article 9 alinéa 4 du contrat», ajoute la source. C’est pour ainsi dire que la presse est en train d’être asphyxiée. Aucune entreprise et même organe de presse notamment du privé ou presque n’est mieux loti. Et, à ce rythme, certaines entreprises risquent de mettre la clé sous le paillasson. Ce qui a d’ailleurs commencé. Avec comme conséquence direct des licenciements de travailleurs et pères de famille, dans un pays où le chômage surtout des jeunes, qui sont 200 à 300 mille à débarquer sur le marché de l’emploi chaque année, inquiète plus d’un.