OUAKAM SPOLIÉE SE RÉVOLTE ET EXIGE LA RESTITUTION DE SES TERRES
La commune a été, samedi dernier, le théâtre de violentes manifestations opposant le collectif « Sàmm Moomelu Ouakam » aux forces de l’ordre
La commune de Ouakam a été, samedi dernier, le théâtre de violentes manifestations opposant le collectif « Sàmm Moomelu Ouakam » aux forces de l’ordre. Les autochtones réclament la restitution des terres attribuées à des tiers au détriment des populations du village traditionnel de Ouakam.
Le foncier est une véritable dans plusieurs localités de notre pays. Les villages traditionnels Lébou ne sont pas épargnés. De Ngor à Diender, les conflits entre les populations locales et les promoteurs immobiliers sont fréquents. Mais s’il y a un lieu où les tensions sont permanentes, c’est bien à Ouakam. Dans ce village traditionnel de « Tànka », l’assiette foncière est presque épuisée. Les baraques en bois, qui ont longtemps permis à ce village mythique de conserver son charme d’antan, sont presque tombées en décrépitude sous la pression démographique. Le samedi 10 août dernier, un point de presse organisé parle collectif « Sàmm Moomelu Ouakam » a rapidement dégénéré en une violente manifestation.
Au lendemain des affrontements entre les forces de l’ordre et les manifestants, le célèbre « Tally américain », l’une des voies principales du quartier, est marquée par le chaos et la désolation. Des pavés arrachés, des morceaux de tables brisées et des barricades jonchent le sol. Des fragments de grenades lacrymogènes utilisées par les forces de l’ordre sont dispersés le long de la route. Des poubelles vidées, certaines renversées, d’autres incendiées, leurs formes tordues témoignent de la violence des affrontements. Ici, le goudron est noirci par des traces de pneus brûlés, dont l’odeur insupportable titille les narines. Malgré l’accalmie, les blindés de la gendarmerie postés au célèbre croisement de Ouakam restent sur le qui-vive, guettant le moindre mouvement.
Devant le portail de son kiosque, Abdou Ndoye, 43 ans, range ses marchandises. La manifestation du samedi n’a pas été facile pour lui. Mais il se réjouit des actions menées par les jeunes de son quartier, qui, selon lui, permettront aux autorités de prendre au sérieux leurs préoccupations. « Les terres sont déclassées et vendues comme des petits pains, au détriment de la population de Ouakam. Il n’y a plus d’espace, et le périmètre de l’aéroport est intouchable », regrette-t-il.
« Il était temps pour les populations de Ouakam de se soulever. Des personnes tierces disposent de centaines d’hectares. Le village étouffe. Il n’y a plus d’espace », affirme El Hadji Diagne, trouvé près de la « Baya » (Place) de Taglou alors qu’il s’apprête à aller à la plage. Le trentenaire raconte avoir échappé de justesse à une arrestation. Très attentif aux questions foncières, il estime que les terrains abritant les bases militaires nombreuses dans la zone appartiennent historiquement aux populations. « Ce sont nos terres. Elles appartenaient à nos aïeux. L’actuel camp militaire en face de la Cité Avion et une partie du foncier de l’aéroport reviennent de droit à la population de Ouakam», estime-t-il. « Imaginez ce que deviendra le village de Ouakam dans une décennie. Ce sera presque invivable avec la surpopulation. Les terrains déclassés, situés derrière l’ex-camp Paul Lapeyre, auraient pu permettre de réaliser une extension du village et des infrastructures collectives, mais aujourd’hui, ils ont été offerts aux Lions du football et à d’autres particuliers par le régime de Macky Sall », s’indigne le jeune homme. Pour lui, les manifestations sonnent comme un signal pour les nouvelles autorités. «Après l’arrêt des travaux sur le littoral et dans le périmètre de l’aéroport de Dakar, le foncier à Ouakam doit devenir une préoccupation pour les autorités actuelles. Des lieux symboliques pour le village, comme la plage en bas de la colline des Mamelles, sont expropriés au profit d’étrangers, au mépris de nos croyances traditionnelles. Il faut que cette histoire soit tirée au clair, car c’est une question de survie », met en garde El Hadji.
Ibrahima Alassane Mbengue, porte-parole du collectif « Momélu Ouakam », défend la même position qu’El Hadj. Il demande la restitution des terres qui reviennent de droit à la population de Ouakam. Selon lui, le foncier sur lequel sont bâties les bases militaires doit être cédé aux habitants du village. « Ces camps militaires n’ont plus leur place ici et doivent revenir aux habitants. Le morcellement des terres est un réel problème, la Cité Avion n’a pas d’espace suffisant pour des infrastructures nécessaires à la commune », déclare-t-il. Poursuit à haute voix, il indique que « nous avons constaté que des sociétés privées, en complicité avec certaines autorités, veulent accaparer nos terres. Ouakam vit dans une promiscuité totale. De la cité Avion à Touba Ouakam, il n’y a plus d’espace. Nous avons besoin de ces terrains pour construire des infrastructures dans la commune. Nous ne voulons plus que les autorités locales parlent en notre nom…Elles ont montré leurs limites car elles ne prennent plus en charge les aspirations des populations » soutient Ibrahima Alassane Mbengue.
« Il y a des lobbys fonciers trop puissants qui instrumentalisent les jeunes au profit de leurs intérêts »
Un peu plus loin, vers le marché de Ouakam, la rue est un champ de ruines. Les traces des émeutes de samedi dernier sont encore visibles sur les trottoirs. Des bacs à ordures et de grosses pierres bloquent la chaussée. Les tas d’ordures sont encore fumants en cette matinée marquée par une chaleur accablante. Des poubelles brûlées dégagent une odeur âcre qui se mêle à celle des tessons de grenades lacrymogènes. Ablaye Diène dit ne pas être d’accord avec les méthodes utilisées par les jeunes. Les émeutes de ce weekend ont perturbé la quiétude du village. Rencontré dans une ruelle sinueuse du quartier traditionnel de Boulga, il souligne que les manifestations du collectif ne sont rien d’autre qu’un moyen pour certains gros bonnets du village de faire valoir leurs avantages personnels. « À Ouakam, les questions foncières sont très sensibles. Il y a des lobbies fonciers trop puissants qui instrumentalisent les jeunes au profit de leurs intérêts personnels, au détriment des intérêts communs. Des terrains appartenant au village sont vendus à des tiers à l’insu des Ouakamois. Les terres jouxtant le mur de l’Aéroport et la colline des Mamelles ont été bradées par les autorités des régimes précédents en complicité avec certains habitants », déplore-t-il dans un wolof à l’accent Lébou. Toutefois, il juge nécessaire de réaliser des extensions pour un village devenu très exigu avec le temps.
« La guerre entre les notables a plongé notre village dans une situation désastreuse. Comment se fait-il que des Doxandém (étrangers) disposent d’hectares de terres à Ouakam ? Qui sont leurs complices ? », s’interroge Yaye Rokhaya Diop, seau rempli de sachets à la main, alors qu’elle revient du marché. Cette Lébou bon teint fustige les querelles incessantes entre les dignitaires du village. Selon elle, ces démêlés n’ont fait qu’empirer la situation. « Ce n’est pas la première fois. Ces émeutes ne sont que le résultat des divisions entre les chefs coutumiers. On ne parvient même pas à distinguer qui est le véritable Djaraf et qui est le vrai Ndéey ji Réew. C’est dommage ! Chacun cherche à avancer ses pions pour récolter les dividendes », conclut-elle.