AU CŒUR DU CALVAIRE DES FEMMES DU DELTA DU SALOUM
A l’île Mar Lodj, les femmes sont doublement impactées par les changements climatiques et l’exploitation du pétrole de Sangomar. La communauté, plus particulièrement les femmes qui se nourrissaient des produits halieutiques, est dans le désarroi.
Le Delta du Saloum est compris dans le bassin versant du fleuve Saloum qui comporte deux principaux bras. Il s’agit de Diomboss et Bandiala. Formé d’îlots, le Delta présente des chenaux bordés de mangrove. En plus de la zone marine, une partie continentale occupée par des forêts sèches, des savanes et des terroirs agricoles fait aussi le décor. Le site englobe des canaux d'eau saumâtre et près de 200 îles et îlots, des mangroves, un environnement maritime Atlantique et une zone boisée sèche. Cette belle description du paysage et du cadre est aujourd’hui, hélas, un souvenir. Et comme cause, le changement climatique et l’exploitation du pétrole de Sangomar. Les femmes y souffrent le martyre.
Le delta du Saloum est niché au Centre-Ouest du Sénégal entre la ville de Joal-Fadiouth au Nord, la République de Gambie au Sud et l’océan Atlantique à l’Ouest. Après plus de trois heures de route, nous sommes arrivés à Ndagane, une pirogue s’est accostée pour nous amener à l’île de Mar Lodj. Bien installés, la pirogue a pris le départ avec un bras de mer un peu agité. Tout au long du trajet, nous apercevons les campements qui ornent le décor mais il y a un fait marquant qui attire notre attention, ce sont des maisons R+ en construction aux abords. 20 mn après, nous voilà à l’île Mar Lodj. Ici les femmes sont doublement impactées par les changements climatiques et l’exploitation du pétrole de Sangomar. La communauté, plus particulièrement les femmes qui se nourrissaient des produits halieutiques, est dans le désarroi. La ressource se fait rare.
Regroupées au sein d’une maison, une natte étalée au milieu de la cour entourée de chaises, les femmes transformatrices de l’union locale de Mar Lodj racontent les problèmes auxquels elles font face. Les visages fatigués par la longueur de la journée. Elles ont fait plus de 8 heures à la recherche de propagules qu’elles doivent cultiver le lendemain pour avoir des mangroves dans quelques mois.
Animatrice communautaire au sein de l’union locale des femmes transformatrices de Mar Lodj, Ndiémé Ndom est nostalgique des années 90 où les ressources halieutiques étaient abondantes. «Ce qu’on trouvait auparavant dans le delta du Saloum, on ne le trouve plus. Ces produits sont devenus rares. La rareté des produits halieutiques est liée au changement climatique. Mais il y a aussi l’exploitation du pétrole de Sangomar qui a beaucoup dérangé l’écosystème dans la zone», se désole-t-elle.
A l’en croire, le changement climatique a frappé fort sur les mangroves. «On peut dire que la rareté de ces produits est liée aux aléas climatiques. Mais il y a aussi l'exploitation du pétrole de Sangomar qui a beaucoup dérangé dans la zone. Parce qu'il y avait un navire qui était dans les boulons, ils ont creusé les boulons de la plateforme jusqu'à Foundiougne, pour que les bateaux puissent passer et amener le produit brut. Le mouvement des moteurs et de la plateforme a fait fuir tous ces poissons. Maintenant, on ne trouve plus de poissons», explique-t-elle. Les souvenirs restent intacts. Par exemple, elle raconte, nostalgique : «avant l’exploitation du pétrole, on achetait un kilo de poissons au moins à 200 francs. Maintenant, le plus petit poisson, on l'achète à 2000 francs. Donc on n'a plus de produit. Là où la plateforme est installée est une zone poissonneuse. On l'a interdit aux pêcheurs». Se désolant du fait que les pêcheurs sont d’ailleurs les plus touchés, souvent ils n’ont même pas quoi assurer la ration familiale. «Si on a des difficultés à bien manger, à plus forte raison,, comment procéder à la vente voire la transformation ?» argue-t-elle. Elle persiste : «on est vraiment impacté avec les aléas climatiques et l'exploitation du pétrole de Sangomar». Certaines ressources ont certainement disparu. «Ce qu'on trouvait dans le Delta du Saloum comme les moules, les crabes, les huîtres, les crevettes, les poissons, on ne les trouve plus. Maintenant, ça devient rare, toutes les femmes étaient actives, selon elle, mais maintenant, tout le monde est assis. Personne ne va plus en mer ». 80% des jeunes ont tenté l’émigration clandestine Interpellé sur l’absence des jeunes dans la localité, Ndiémé Ndom annonce que 80% des jeunes de la localité sont allés vers l'émigration clandestine. «Il n’y a plus de jeunes de la zone. Il y a deux semaines, il y a trois pirogues qui ont quitté la zone pour aller vers l'émigration. Il y a deux pirogues qu'on ne trouve pas, jusqu'à présent, il y a plus de trois semaines qu’on n'a pas d'informations. On ne sait pas s’ils sont arrivés en Espagne ou s’ils sont morts. Nous n’avons pas d'informations», s’inquiète-t-elle. Poursuivant son propos, elle affirme qu’il n’y a plus de jeunes dans les villages, toutes les pirogues sont en haute mer. «Il n'y a plus de pêcheurs, encore moins de jeunes et ils sont partis à cause de ces dérangements».
L’ACCAPAREMENT DES TERRES PAR LES ETRANGERS
Hormis, l’exploitation du pétrole et les effets du changement climatique, Mar Lodj fait face à l’accaparement des terres par les étrangers. Membre de l’union locale des femmes transformatrices de Mar Lodj, c’est avec le cœur gros que Binta Sarr souligne le bradage des terres par les étrangers qui s’activent dans l’exploitation du pétrole. «Des étrangers achètent des terres ici à de vils prix auprès de populations démunies qui ne mesurent pas l'ampleur et les enjeux fonciers dans cette localité. Alors que nous avons besoin de foncier pour l’agriculture afin de nourrir nos enfants. Les multinationales sont installées et construisent des villas dans la localité. Tout le long de l’île, on voit des constructions qui appartiennent aux étrangers», indique-t-elle. Sur le même volet, elle note que la façon dont les terres sont bradées est inacceptable. En plus, elle affirme que les lois sur l’impact environnemental ont été violées. Trouvée au niveau du site de Dioham, Maya Dione explique l’importance du reboisement de la mangrove. «Le reboisement a commencé depuis plus de 10 ans et permet non seulement de freiner l’avancée de la mer, mais aussi de reconstruire un écosystème pour la reproduction des produits halieutiques. Des hectares de terres sont déjà reboisés en mangrove dans la zone. C’est au niveau des palétuviers reboisés en 2014, qui récoltent les propagules que nous repiquons. Maintenant nous faisons de l’ostréiculture», informe-t-elle.
LE CHANGEMENT D’ACTIVITES COMME ALTERNATIVE
A cause des aléas climatiques, la mangrove s'est dégradée. « Nous ne sommes pas des salariés. On allait en mer pour chercher de quoi manger, de quoi vendre, pour aller au moins nous occuper de la santé, de l'alimentation, du social, de l'habillement de la famille. Et maintenant, on ne l'a plus. Nous avons changé d'activité. Nous avons fait la formation à la saponification, le savon liquide, le savon et pour la transformation des céréales parce que nous sommes à moitié insulaire et à moitié terrestre parce qu'on fait l'agriculture. Nous nous sommes rabattus vers ça et nous le faisons avec notre matériel rudimentaire. Parce qu'on n'a pas d'unité de transformation», souligne-t-elle avant d’ajouter que ce que nous voulons, c’est explorer la transformation de céréales, de saponification et autres. «Il y a beaucoup d'activités que nous pouvons faire. Parce qu'on ne peut plus dépendre de cette mer qui n'a plus rien, qui est dérangée, qui n'a plus de produits. On ne trouve plus rien dans le Delta du Saloum. Nous ne travaillons plus».
ABSENCE D’ELECTRICITE ET D’INFRASTRUCTURES SANITAIRES ADEQUATES
En plus d’être envahis, la plupart des îles du delta du Saloum n’a pas d’électricité. C’est le cas de Mar Lodj où la nuit, c’est l’obscurité et il y a aussi le manque d’eau. Dans une autre île, Mar Wadjié, il n’y a même pas de poste de santé.
LUMIERE SYNERGIE POUR LE DÉVELOPPEMENT EN RESCOUSSE
Fort de tous ces constats, l’Ong Lumière Synergie pour le développement (Lsd) est venue à la rescousse des communautés surtout des femmes pour les appuyer. Chargée de projet à Lsd Aby Dia estime que dans le contexte de l'exploitation du pétrole de Sangomar, nous soutenons les communautés riveraines de la plateforme pour les sensibiliser sur l'exploitation du pétrole, mais aussi les accompagner dans le processus. «Nous sentons que les communautés n'ont pas beaucoup d'informations concernant cette exploitation et il y a beaucoup d'enjeux, surtout les risques avec les changements climatiques». Elle soutient qu’en outre, il y a des impacts négatifs par rapport à l'exploitation du pétrole, ça peut poser problème. «Mais si toutefois leur préoccupation est prise en compte, ça peut porter ses fruits, d'autant plus qu'elles connaissent la nature mieux que quiconque. Donc il faut les impliquer dans tout ça, éviter qu'il y ait des dégâts qu'on ne souhaite pas du tout. Mais on exhorte l'État du Sénégal à encadrer cette exploitation, que l'entreprise le fasse de manière responsable, mais aussi travailler sur la redevabilité. Parce que si une exploitation de cette envergure se passe dans une zone, on estime qu'il peut y avoir un développement. Et un développement ne peut pas durer si les communautés ne sont pas impliquées», soutient Mme Dia. Elle déclare qu’il y a trois cargaisons qui ont rejoint l'Europe et l'Asie. «Mais aussi, on a eu écho qu'il y a un 24ème puis, ça c'est des aspects techniques, mais c'est une information qu'on a eue à travers nos recherches. Et que les communautés n'ont rien compris dans ces détails-là. Donc il faut les informer, c'est un minimum», suggère-t-elle. Ndiémé Ndong confirme qu’elles ont reçu un appui de Lsd, «et ce n'est pas la première fois. LSD est en train de nous accompagner, à changer vers une autre tournure pour faire une autre exploitation, une autre transformation rationnelle. Parce qu'on a fait une expérimentation sur l'ostréiculture (élevage des huîtres).