L'HISTOIRE AU SERVICE DU POUVOIR
De l'Ukraine à Gaza, le passé est constamment réinterprété pour justifier les actions du présent. Les commémorations, les résolutions parlementaires et même les manuels scolaires deviennent des vecteurs de révision historique
(SenePlus) - Dans un monde où l'information circule à la vitesse de l'éclair, l'histoire est devenue un terrain de lutte idéologique âprement disputé. C'est le constat alarmant que dresse Le Monde diplomatique dans son édition d'octobre 2024, mettant en lumière les enjeux complexes de l'instrumentalisation du passé dans les conflits contemporains.
De l'Ukraine à Gaza, en passant par les commémorations du débarquement de Normandie, l'histoire est constamment réécrite et utilisée comme une arme pour justifier des actions présentes ou délégitimer des adversaires. Comme le souligne l'article, "Que des commémorations offrent un miroir déformé du passé, seul un naïf pourrait s'en étonner. Celles-ci servent avant tout à mettre en scène un récit qui correspond aux intérêts de ceux qui les organisent."
L'exemple du 80e anniversaire du débarquement de Normandie est particulièrement révélateur. Le journal rapporte que "Pour la première fois depuis la fin de la guerre froide, aucun représentant russe n'est convié, pas même un conseiller d'ambassade." Cette exclusion délibérée de la Russie, justifiée par l'Élysée en raison de "la guerre d'agression qu'elle mène contre l'Ukraine", illustre parfaitement comment les événements historiques sont réinterprétés à la lumière des conflits actuels.
Le Monde diplomatique met en garde contre une tendance inquiétante à la réécriture de l'histoire de la Seconde Guerre mondiale. L'article souligne que "La Russie a, depuis longtemps, pris l'habitude de voir son rôle minimisé au profit de la contribution américaine. Elle est désormais jugée coresponsable du désastre, sur un pied d'égalité avec l'Allemagne." Cette révision historique s'est propagée de l'Europe de l'Est à l'Ouest, culminant avec une résolution du Parlement européen en 2019 qui établit que la guerre fut "la conséquence immédiate du tristement célèbre pacte germano-soviétique de non-agression ".
Face à cette offensive idéologique, le président russe Vladimir Poutine n'est pas en reste. Le journal rapporte que : "Le révisionnisme historique, dont on observe les manifestations en Occident, surtout concernant la seconde guerre mondiale et ses conséquences, est dangereux parce qu'il déforme de manière grossière la compréhension des principes de développement pacifique définis lors des conférences de Yalta et de San Francisco en 1945." Cependant, l'article souligne que Poutine lui-même n'hésite pas à déformer le passé pour servir ses intérêts, notamment en contestant l'existence historique de l'Ukraine.
Le journal évoque comment cette manipulation de l'histoire s'étend au-delà des conflits en Europe de l'Est. Dans le contexte du conflit israélo-palestinien, par exemple, l'article note que « L'attaque du 7 octobre devient ainsi dépourvue de raison, si ce n'est ethnique ou religieuse. Une tuerie de Juifs, un « pogrom », et même «le plus grand pogrom depuis la Shoah», comme aura tôt fait de le dire journalistes et dirigeants politiques, recevra ainsi l'événement dans la longue histoire de la persécution des Juifs.
Face à cette manipulation généralisée de l'histoire, Le Monde diplomatique propose une approche critique et réflexive. La dernière partie de l'article, intitulée "Une méthode pour briser la gangue des idées reçues", est particulièrement éclairante. Le journal cite l'historien américain Michael Parenti : "Les contestataires doivent constamment se défendre et étayer minutieusement toutes leurs manifestations." Cette nécessité découle du fait que les idées reçues, "jamais examinées mais communément admises", forment une barrière à la compréhension critique de l'histoire.
Pour contrer cette tendance, Le Monde diplomatique a publié en septembre un "Manuel d'autodéfense intellectuelle". Cet ouvrage vise à "fournir une méthode et des outils permettant à chacun de briser la gangue des idées reçues et de s'orienter dans le maquis des récits". L'objectif est de donner aux citoyens les moyens de déconstruire les narratifs dominants et de développer une compréhension plus nuancée et contextualisée de l'histoire.
En conclusion, l'article du Monde diplomatique lance un appel à la vigilance intellectuelle. Dans un monde où l'histoire est constamment manipulée pour servir des intérêts politiques, il est plus que jamais nécessaire de développer un esprit critique et une capacité à remettre en question les récits dominants. Le manuel d'autodéfense intellectuelle proposé par le journal se veut un outil concret pour relever ce défi, permettant à chacun de naviguer dans le dédale des récits historiques et de résister à la manipulation de la mémoire collective.