UNE FILIÈRE EN QUÊTE D’UN SECOND SOUFFLE
De culture ancestrale à pilier économique, l'arachide traverse aujourd'hui une crise profonde dans son bassin historique. Depuis le désengagement de l'État en 2000 et l'arrivée massive des acheteurs chinois, le secteur s'enfonce dans le chaos
La culture de l’arachide a été et reste encore importante dans le bassin arachidier qui couvre l’ouest et le centre du pays. Dans ces zones, près des trois quarts des exploitations familiales s’adonnent à cette activité agricole et l’arachide est leur principale source de revenus. Elle occupe une place importante dans le régime alimentaire des familles et ses sous-produits (fanes) sont utilisés à nourrir le bétail. Avec le désengagement de l’Etat à partir de 2000, la filière traverse une crise profonde, caractérisée par une anarchie dans la commercialisation des graines. L’ouverture du marché aux exportateurs étrangers notamment les Chinois a contribué à ce désordre. Conséquence : les unités locales de transformation peinent à collecter suffisamment de graines. Ce qui les plonge dans d’énormes difficultés.
La culture de l'arachide est très ancienne au Sénégal. Introduite par les Portugais au 17ème siècle (1659), elle était une « culture de case », c’est-à-dire pour la consommation, sans commercialisation Le choix de la culture de la graine d’arachide au Sénégal parle colonisateur français, au 19ème siècle, tient au fait qu’à partir de 1820, la métropole découvre progressivement l’utilité de l’arachide en tant qu’apéritif, aliment de bétail et source de matière grasse (huiles, savon). L’arachide devient ainsi rapidement une économie de substitution et les colons lui donnèrent le nom d’ « Or du Sénégal »
Sa culture de l’arachide est entièrement pluviale et traditionnelle et demeure importante dans toutes les régions du pays. Mais l’essentiel de la production destinée au marché provient de la partie centrale du pays communément appelée bassin arachidier (régions de Louga, Diourbel, Thiès, Kaolack et Fatick, où elle occupe 45 à 60 % des terres cultivées et une partie de la Casamance.
La filière de l'arachide rencontre d'énormes contraintes freinant sa productivité. Pour rappel, le Sénégal a connu une sécheresse assez marquante en 1970 qui a entrainé une baisse de la productivité. Depuis lors, les pouvoirs publics mettent en place des politiques pour la relance du secteur. La baisse de productivité s'explique par la mise en place de politiques successives « instables » : suppressions de tarifs préférentiels, alignement des prix au producteur sur les cours mondiaux, intervention de l’Etat puis libéralisation de la filière, endettement des producteurs, perturbations climatiques, dégradation des sols et du capital semencier, réduction des surfaces cultivées en arachide, difficulté d’accès aux intrants (semences-engrais produits phytosanitaires), absence de renouvellement et d’entretien du matériel agricole qui est vétuste.
60 à 70% de la production arachidière est vendue par les canaux formels. Les trois grands huiliers industriels sont SUNEOR, NOVASEN, et CAI Touba et sont orientés vers l'exportation.
Les prix aux producteurs sont uniformes sur l'étendue du territoire. Ils sont fixés durant la période de commercialisation (octobre à avril) par le gouvernement et le Comité National Interprofessionnel de l’Arachide (CNIA). Environ 30 à 40 pour cent des arachides produites au Sénégal sont vendues par canaux informels. Dans ce cas précis, les producteurs peuvent vendre les arachides à tout moment de l'année. Ils sont généralement inférieurs au prix du secteur formel.
La transformation artisanale fournit de l’huile et les tourteaux (pour la consommation animale) aux ménages et villes secondaires. L’huile de fabrication artisanale est jugée de qualité inférieure par rapport à l’huile des canaux formels. Depuis 2014, la Chine s’est positionnée comme un grand importateur de graines. Les Chinois proposent d’acheter les graines d’arachide à un prix plus élevé que celui pratiqué sur le marché sénégalais.
Les producteurs leur cèdent volontiers alors leur production au détriment des industriels locaux. Ces derniers ont souvent des difficultés à s’aligner sur ces prix et se retrouvent dans l’incapacité de s’approvisionner en arachide en quantité suffisante.
Sidy Ba, porte-parole du CNCR : «Depuis la libéralisation de la filière, les choses vont de mal en pis»
« Depuis la libéralisation de la filière, les choses vont de mal en pis. On a constaté beaucoup de couacs sur le plan de la production, de la commercialisation et de la transformation de l’arachide ». Ces propos sont de Sidy Ba, porte-parole du Conseil National de Concertation et de Coopération des Ruraux (Cncr) qui a été joint au téléphone par la rédaction de Sud quotidien. « Pour ce qui est de la production, la mauvaise qualité des semences et la baisse de la fertilité des terres sont à l’origine des mauvais rendements. La reconstitution du capital semencier a été toujours un problème. Il y a le manque de moyen de l’Isra (Institut sénégalais de recherche agricole) qui doit produire des semences de pré base. Le capital semencier de l’arachide est estimé à 150 mille tonnes mais ces 150 mille tonnes ne sont jamais produites », a-t-il relevé. Concernant la commercialisation, il a fait remarquer que depuis l’ouverture du marché aux étrangers, il y a beaucoup d’anarchie. « Le système n’est pas très organisé et la structure qui était censée accompagner l’organisation de la commercialisation à savoir le Comité national interprofessionnel de l’arachide (Cnia) n’est pas tellement à la hauteur. Il n’a pas les moyens. Les huiliers qui sont dans la transformation sont laissés pour compte Les usines qui sont là ne peuvent pas concurrencer les étrangers qui exportent les graines », a-t-il souligné. Selon M. Ba, ces problèmes méritent de grandes réflexions et concertations afin d’apporter des solutions. « Il faut de grandes concertations dans le secteur des semences, de la fertilité des sols, dans le domaine de la transformation de l’arachide. Je pense qu’il faut soutenir les unités de transformation notamment Sonacos. Il faut aussi accompagner les organisations professionnelles agricoles et les inciter à se regrouper en coopérative. Il faut également faire la promotion de l’arachide du Sénégal et ne pas promouvoir les huiles importées », suggère-t-il. De manière globale, il invite l’Etat à organiser les assises sur le secteur agricole afin de redynamiser la filière.