FIN DES ACCORDS DE PÊCHES SÉNÉGAL-UE, SO WHAT ?
La filière thon, dont le marché mondial devrait atteindre 52,73 milliards de dollars en 2031. Mais pour saisir cette opportunité, le pays doit repenser entièrement sa stratégie, de la capture à la transformation
Il y a quelques semaines la fin des accords de pêche entre le Sénégal et l'Union Européenne a fait le buzz pour utiliser le terme plus à la mode. Des déclarations ont fusé de partout allant des politiciens en quête de populisme aux Sénégalais lambda souvent profanes dans le sujet.
Je retiens et salue à sa juste valeur scientifique celle de Madame la ministre des Pêches Fatou Diouf, qui ne me surprend guère car émanant d'une véritable professionnelle. Elle disait en résumé : Nous sommes en train de faire une évaluation de ces accords et nous ne sommes pas pressés et nous attendons le résultat pour savoir les plus et les moins. Voilà la démarche qu’il faut mais en attendant que Peut-on tirer de bénéfique au non renouvellement de ces accords pour le Sénégal ?
Ma modeste personne essaie de faire une analyse en s'appesantissant sur ce que nous devons faire pour tirer profit de la fin de ces accords.
- Ces accords concernent la pêche du thon en majorité et dans une moindre mesure le merlu. Notre contribution sera focalisée sur le thon.
Les thons font partie des Scombridae (famille de poissons et nous notons au plusieurs espèces aux Sénégal dont Auxis thazard ou Auxide (40- 55 cm taille commune),Euthynnus alletteratus ou Thonnine commune (80 – 100 cm ) ,Katsumonus pelamis ou Bonite à ventre rayé ( 60 – 70 cm ),Thunnus obesus ou thon obèse (jusqu’ 200 cm),Thunnus albacares ou Thon albacore (200 cm) …
Leur principale caractéristique est leur adaptation à la nage rapide (40 à même 80 km /h pour certaines.
Les thons effectuent des migrations trophiques (liée à leur alimentation en général des petits poissons pélagiques comme la sardinelle ou yaboye) ou génésiques parfois importantes. Ils sont le plus souvent grégaires et très voraces et ont cette particularité exceptionnelle chez les poissons qui est la régulation de la température interne du corps qui peut dépasser de 10 degrés la température ambiante.
Ces poissons sont souvent présentés aux consommateurs au niveau des marché dans un piteux état du fait de la dégradation rapide de certains critères de qualité organoleptiques ;
Beaucoup de sénégalais ne sont pas adeptes de la consommation du thon pour les raisons ci-après :
Le thon, avec la manipulation et l'exposition au soleil et étant un poisson gras, voit la texture de sa chair perdre toute sa fermeté et se ramollir (il suffit d’appuyer sur la peau avec un doigt pour le constater), une odeur sensée être légère devient très forte et la peau très belle et luisante du poisson devient terne.
A noter que le thon fait partie des poissons dont la chair accumule certaines substances toxiques comme le mercure, les PCB (polychlorobiphényles polluants organiques persistants qui se désagrègent très peu dans l’environnement et s’accumulent dans différents milieux et en particulier le sol) et les toxines.
Une forte accumulation du mercure dans le corps humain peut provoquer une insuffisance rénale et des lésions gastro-intestinales.
De même, le thon fait partie des espèces riche en histidine pouvant favoriser une forte production d’Histamine dont l’intoxication peut provoquer des urticaires, des rougeurs de la peau, des démangeaisons etc.
Ainsi cette perte de qualité peut entrainer une augmentation de la concentration de ces substances dont le taux originel peut dépendre de la zone de pêche pour certains éléments.
Le Sénégal, à l’instar du monde, a depuis des années règlementé le taux résiduel admis de ces substances dans ces différentes espèces et le ministère de la Pêche veille au grain aussi bien au niveau des plages que des usines exportatrices. Ces dernières sont obligées de s’aligner sur la règlementation des pays de destination des produits s’il y a une différente avec les textes nationaux.
Que devons-nous faire ?
- Réapprendre aux pêcheurs et acteurs surtout artisans la meilleure manière de conserver le thon dès la capture, surtout jusqu’à la vente. Ainsi le consommateur lambda pourra acheter et consommer cette espèce sans aucune peur de se retrouver le lendemain aux urgences.
- Sensibiliser et sanctionner, surtout les pécheurs artisans qui font le plus gros des débarquements, la pêche des juvéniles qui sont en général la nourriture naturelle des thons. Ainsi le problème de distance de pêche pourra être résolue car les thons vont se rapprocher de plus en plus de nos côtes. Les conséquences seront entre autres une moindre consommation de carburant et des poissons plus frais débarqués Certains bateaux canneurs, pour ne pas dire tous, étaient obligés de venir dans la baie de Hann pour pêcher ces juvéniles utilisés comme appâts vivants.
- Pour la petite histoire il y a une trentaine d’année on notait, à certaines périodes, la présence de beaucoup de thon non loin du phare des mamelles jusqu’à la baie de Ouakam et on pouvait contempler le spectacle de leurs voltiges. Mon père, étant adepte de pêche à la ligne à ses heures perdues, remplissait la malle de son Renault 8 de grosses pièces de thon qu’il péchait à la cuillère derrière le monument de la Renaissance là ou un hôtel est en train d’être construit.
- Renforcer notre armement national avec une redynamisation des thoniers afin que l’Industrie locale puisse être approvisionnée en quantité et en qualité.
- Aider l’Industrie de la Transformation (hors conserve) à valoriser cette espèce sans risque et ainsi booster les exportations aussi bien en frais que congelés. Surtout insister sur la qualité car le thon bien que très prisé dans le Monde avec une forte valeur ajoutée obéit à des critères draconiens de qualité pour les raisons évoquées plus haut. Ainsi une Grande valeur ajoutée sera créée dans cette chaine de valeur.
Le prix du thon frais sur nos plage peut aller en moyenne de 500 F CFA à 3500 F CFA selon les espèces.
En France par exemple dans les poissonneries ces prix peuvent être de 12 euros (7872 FCFA) pour le thon blanc à 25 euros (16 400 F CFA pour le thon rouge. Pour ce dernier ne fois découpée ce prix peut évoluer à 48 euros (31488 F CFA).
Dans certaines boutiques une darne de 400 gr de Thon Rouge peut aller jusqu’à 30,8 euros (20200 F CFA).
Il y a donc une véritable chaîne de valeur à mettre en place pour redynamiser l’industrie de la transformation des Produits halieutiques au lieu d’exporter le produit entier brut.
La Division Valorisation de la Direction des Industries de Transformation des Produits de la Pêche du ministère de la Pêche devrait donc être renforcée afin de mieux encadrer les acteurs dans ce sens.
- Redynamiser l’industrie de la conserve de thon en faisant venir, dans un premier temps et si nécessaire pour, des Géants Mondiaux de cette industrie au Sénégal comme ce fut le cas avec la reprise de la SNCDS par le groupe Dongwon (plus grande entreprise de Pêche de la Corée du Sud) devenu SCASA (juste un exemple). Nous devons donc avoir plus d’industrie de cette envergure. Ce qui se transforme ailleurs peut bien être fait sur place dans les mêmes standards Qualité.
Notons que la taille du marché du thon a été évaluée à 40,12 milliards USD en 2019 et devrait passer en 2023 à 41,23 milliards USD en 2023 et 52,73 milliards USD en 2031.
Un des principaux stimulants de ce marché est la demande mondiale en conserve de THON mais aussi les plats préparés.
- Renforcer les moyens de recherche du CRODT (Centre de Recherche Océanographique de Dakar Thiaroye) de l’ISRA afin de lui permettre de remplir ses missions dont entre autres l’évaluation de nos stocks pour permettre aux autorités de prendre les meilleures décisions.
- L’Union Européenne a pris comme prétexte les défaillances constatées dans la lutte contre la Pêche illicite, non déclarée et non règlementée (INN). Cette pêche, une des principales menaces pour les écosystèmes et l’économie bleue, représente une part importante de l’économie Mondiale avec environs 15 % des captures.
Pour cette raison la Direction de la Surveillance et de la Protection des Pêches (DPSP) du Ministère de la Pêche et l’Armée Nationale à travers la MARINE et l’Armée de l’Air doivent être renforcer en moyens humains et matériels (dont vedettes et avions de surveillance)
Sur ce point et pour les Générations Futures il est du devoir du gouvernement de rectifier ce qui peut l’être et nous pouvons faire confiance en Madame la ministre Fatou Diouf qui fait partie des références académiques en matière de Lutte contre la Pêche illicite, non déclarée et non réglementaire.
Cependant et en attendant de mettre en place certaines actions des questions se posent :
- Que feront-nous du surplus de stock que le Sénégal ne pourra pas exploiter compte tenu de l’une des spécificités du Thon qu’est la Migration ?
- Avons-nous présentement les moyens de contrôler ce stock afin que d’autres bateaux clandestins ne se substituent aux navires européens dans les mêmes zones ?
- Faudrait-il accorder des licences à d’autres pays hors UE en revoyant les quantités et les prix ?
Le débat reste ouvert et sans nulle doute le Ministère, après son évaluation des accords précédents apportera des éléments de réponses.
Voilà ma modeste contribution sur ce sujet et qui est une goutte d’eau dans la mare. Je reviendrai sur l’espèce merlu dans un prochain post.
32 ans d’expérience dans les produits de mer transformation et d’exportation
Technicien supérieur de l’ex-Institut supérieur des Sciences et techniques halieutiques (ISSTH) de la CEAO de Nouhadibou.