LES NOUVEAUX TRAFIQUANTS D’ESCLAVES
Les accords de migration signés avec le Qatar et l'Espagne contrastent avec les promesses d'emplois locaux. Le ministre Abasse Fall présente comme une victoire ce qui ressemble aux errements des régimes précédents
Une fois de plus, il s’avère que notre Premier ministre avait parlé trop vite. Ousmane Sonko, président du parti Pastef, lorsqu’il soutenait la candidature de son poulain Bassirou Diomaye Diakhar Faye à la présidence de la République, promettait aux jeunes gens, qui constituaient la grande masse de la troupe d’électeurs sur lesquels il comptait, qu’eux au pouvoir, l’horizon allait se déboucher pour les jeunes. Ces derniers n’auraient plus pour seules perspectives de conduire des motos Jakarta ou de tenter d’émigrer en prenant les routes de la mer ou le chemin du Nicaragua pour tenter de rejoindre les Etats-Unis d’Amérique.
On avait la garantie qu’avec Pastef et ses dirigeants dynamiques et incorruptibles au pouvoir, non seulement les prix des denrées de première nécessité allaient baisser, mais en plus, de nombreuses entreprises nationales allaient voir le jour, qui allaient embaucher l’abondante et entrepreneuse main-d’œuvre des jeunes laissés oisifs par le pouvoir incompétent de Macky Sall. Ces paroles sont tombées dans des oreilles si crédules que les nouveaux dirigeants ont obtenu, tant à la présidentielle qu’aux législatives, des scores de sénateur, et une majorité indiscutable. Las ! C’est juste en ce moment que de nombreux électeurs ont commencé à se rappeler que les promesses n’engageaient que ceux qui y croyaient.
Le pire est que nos dirigeants actuels, sans doute peut-être à court d’imagination, en sont venus à recourir aux mêmes expédients utilisés par les pouvoirs qu’ils avaient voués au peloton d’exécution. Ainsi, il y a quelques jours, le ministre Abasse Fall revenait du Qatar en exhibant fièrement un accord qu’il venait de passer avec les autorités de ce pays, permettant d’expédier dans ce pays du Golfe, un millier de travailleurs manuels pour des emplois pas nécessairement les mieux rémunérés.
Avant que l’enthousiasme ne refroidisse, le gouvernement et le Royaume d’Espagne annoncent la revitalisation d’un accord de migration circulaire, qui devrait permettre à certains Sénégalais d’aller cueillir des fruits et des légumes dans des champs d’Andalousie, de Galice ou de la Catalogne…
Une autre bonne trouvaille, mais qui, comme celle du Qatar, a déjà fait ses preuves dans ce pays. Nos dirigeants se rappellent certainement qu’en 2007, quand les premières pirogues ont commencé à prendre d’assaut les côtes des îles Canaries, le gouvernement espagnol de l’époque avait proposé un contrat de ce type au pouvoir du Président Abdoulaye Wade. Il s’agissait, une fois encore, de migration circulaire. Des Sénégalais, jeunes gens et femmes jusqu’à un certain âge, étaient encouragés à partir en Espagne avec un contrat de travail d’un an. A la fin du contrat, le candidat revenait pour laisser la place à un(e) compatriote qui reprenait le même parcours. L’idée a fait «flop», non pas à cause des Espagnols, mais simplement parce que les premiers bénéficiaires ne voulaient plus retourner. Pourtant, les autorités espagnoles avaient mis les moyens, allant jusqu’à appâter les dirigeants sénégalais avec une cagnotte de 13 milliards, qui devait servir à l’Agence nationale pour l’emploi des jeunes (Anpej), à créer des emplois au niveau local.
Une bonne partie de ce montant a servi à lancer le Plan Retour des émigrés vers l’agriculture (Reva), qui devait servir à encourager les personnes refoulées d’Europe, à se former et à investir dans l’agriculture. Après plusieurs années, le fameux Reva, ne faisant rêver personne, a été transformé en Anida par Macky Sall. Sans doute échaudé par l’expérience de Wade, son successeur n’a pas relancé le projet de migration circulaire avec l’Espagne. Il faut dire que, à la même époque, le ministre français de l’Intérieur, un certain Sarkozy, était passé à Dakar pour tenter de vendre à son homologue Ousmane Ngom, l’idée d’une «immigration choisie», qui ambitionnait de piocher dans la crème des cadres bien formés chez nous, pour travailler dans les entreprises européennes avides de main-d’œuvre qualifiée. Mais là aussi, l’offre étant toujours supérieure à la demande, les portes de l’Europe se sont déplacées sur les côtes africaines, où l’agence européenne Frontex a voulu nous enfermer dans nos frontières. Avec souvent des complicités africaines.
Abasse Fall, qui est revenu du Qatar avec sa belle trouvaille, a sans doute oublié l’expérience du Koweït d’après-la guerre du Golfe, quand ce pays a voulu payer à Abdou Diouf la dette du sang de nos Jambaar tombés sur la route de la Mecque, après avoir pris leur part de la lutte contre Saddam Hussein, sous la couverture de Gorge Bush père. Plusieurs manœuvres ont pris le chemin de Koweït City. Les plus qualifiés étaient maçons, menuisiers, peintres, plombiers et autres. Nourrissant le rêve de faire fortune dans ce pays pétrolier, nombre d’entre eux ont vite déchanté devant les conditions de vie et de travail auxquelles ils étaient astreints. Et les choses ne se sont pas améliorées depuis.
Ceux qui ont suivi le processus d’attribution de la Coupe du monde de football au Qatar, ont aussi certainement à l’esprit les conditions dans lesquelles ont travaillé les migrants qui ont construit les beaux stades et les jolis immeubles qui ont accueilli les millions de visiteurs qui se sont rendus dans ce pays. Les médias occidentaux, mieux informés, n’ont pas hésité à parler des conditions proches de l’esclavage. Cela, sans parler des nombreux décès que ces constructions ont entraînés. C’est dire que les milliers d’emplois que fait miroiter Abasse Fall, devraient être scrutés avec beaucoup d’attention.
La première chose que notre ministre du Travail devrait éclairer est de savoir pourquoi cet accord, qui aurait été passé depuis 2014, sous le magistère du Président Macky Sall, n’a jamais vu un début d’application. Pourtant, Macky Sall a été confronté à des très sérieux problèmes d’emploi des jeunes. Cela ne l’a pourtant pas incité à enclencher cet accord signé avec ce pays ami, très riche en gaz et pauvre en population active. Si son régime n’était pas aussi désespéré, cette situation aurait dû mettre la puce à l’oreille de Abasse Fall.
A moins qu’il ne veuille reproduire le trafic d’esclaves de triste mémoire, qui a dépouillé nos pays africains d’une grande partie de sa jeunesse dynamique au bénéfice des Occidentaux et des esclavagistes arabes. En moins d’un an de pouvoir, le projet souverainiste en serait donc tellement à court d’énergie pour en venir à transformer ses ministres en trafiquants d’esclaves ? Où sont donc les brailleurs de «France Dégage» ? Ou alors l’Espagne et le Qatar ne sont pas concernés par ce slogan ?