L'ILLUSION DE LA RUPTURE
Alors que le nouveau régime affiche sa volonté de rompre avec la dépendance occidentale, les accords d'envoi de main-d'œuvre avec Madrid et Doha racontent une autre histoire. La ruée vers les guichets d'inscription contredit le discours souverainiste
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Le Sénégal semble entrer dans une nouvelle ère avec l'avènement du nouveau régime incarné par le tandem Diomaye-Sonko qui donne une nouvelle impulsion à la souveraineté du pays. Mais entre ce désir de s'affranchir du joug occidental et les accords signés entre l'Espagne et le Qatar dans le but d'envoyer des travailleurs dans ces deux pays, le manque d'harmonie est manifeste.
L'image se passe de commentaires. Des milliers de jeunes qui se bousculent pour déposer leurs dossiers, dans le but d'espérer pouvoir décrocher le « Graal »: aller travailler pendant quelques mois dans les plantations d'Espagne. En effet, dans le cadre du Programme de Migration Circulaire Espagne-Sénégal, le ministère de l’Intégration africaine et des Affaires étrangères, à travers le Secrétariat d’État aux Sénégalais de l’Extérieur et la Direction Générale d’Appui aux Sénégalais de l’Extérieur, a lancé un appel à candidature pour le recrutement d’ouvriers agricoles.
Cette information qui a été largement partagée dans les réseaux sociaux a poussé de nombreux jeunes qui y voient une chance inouïe de rejoindre l'Europe, à s'inscrire. Dans les relations bilatérales, cet accord peut sonner comme une chose banale. Sauf que les nouvelles autorités sont venues, disent-elles, pour asseoir la souveraineté du Sénégal sous toutes ses formes.
L'accession à la magistrature suprême du président Bassirou Diomaye Faye est une victoire à la Pyrrhus, car nombreux de leurs militants et sympathisants ont vu certainement dans leur démarche des raisons d'espérer rompre définitivement les amarres avec le système néocolonial. Et ces mois, le gouvernement a fait des efforts, notamment avec la commémoration des massacres de Thiaroye et la décision de fermer la militaire au Sénégal, pour donner un nouvel imaginaire aux jeunes Sénégalais. Mais force est de constater que cette nouvelle dynamique est en déphasage avec la communication catastrophique faite sur cet accord avec l'Espagne.
Comme le dit le penseur italien Antonio Gramsci pour expliquer son fameux concept d'hégémonie culturelle, ce joug tient grâce à son emprise sur les représentations culturelles de la masse. Poussant même les dominés à adopter leur vision du monde et à l’accepter comme indépassable. Et pour changer de paradigme, Gramsci trouve que toute conquête du pouvoir doit d’abord passer par un long travail idéologique.
Ainsi, les nouveaux tenants du pouvoir ne peuvent pas vouloir un changement de '' tempo'' vis-à-vis des pays occidentaux tout en se targuant d'avoir signé des accords avec l'Espagne ou le Qatar pour envoyer des jeunes sénégalais travailler dans ces pays respectifs. Ce n'est pas en accord avec les promesses du Projet.
D'ailleurs ce que l'actuel Premier ministre et leader du Pastef a toujours déclaré en parlant aux jeunes, c'est de faire part de son désir de les voir rester au pays afin de participer à sa construction et à son développement. Donc, ce gouvernement ne peut pas se permettre d'encourager, de promouvoir voire de se pâmer d'avoir signé un accord qui permet l'émigration.
À défaut de ne pas avoir les moyens de son endiguement, le nouveau régime ne doit pas l'encourager. Ils ont été élus pour changer le pays, mais surtout pour susciter l'espoir. Et les images qui circulent sur les réseaux sociaux montrant des milliers de jeunes prendre d'assaut le lieu de dépôt des dossiers sont déconcertantes.
Il faut dire aussi que ces derniers jours, le tribunal de Dakar ne désemplit pas. Il refuse du monde car les jeunes sont venus chercher des casiers judiciaires pour compléter leurs dossiers. Tout cela est confus et en déphasage avec la nouvelle dynamique de souveraineté prônée par les tenants du régime. La dissonance est trop flagrante et le contexte trop inaudible pour encourager ces départs.