FUITES OU EXILS, QUAND L’HISTOIRE JUGE LES DÉPARTS
L’ancien ministre Mansour Faye a été retenu à l’Aibd alors qu’il prévoyait de se rendre à l’étranger. Les spéculations n’ont pas manqué sur les véritables raisons de ce voyage avorté, que certains soupçonnaient d’être une fuite déguisée ou un exil assumé

Partira ! Partira pas. L’ancien ministre Mansour Faye a été retenu à l’Aibd alors qu’il prévoyait de se rendre à l’étranger. Les spéculations n’ont pas manqué sur les véritables raisons de ce voyage avorté, que certains soupçonnaient d’être une fuite déguisée ou un exil assumé. Entre la fuite et l’exil, certains choisissent la première, d’autres forcément le second. Et l’histoire ne leur rend pas hommage de la même façon. Dans la fuite, il y a un leitmotiv plus personnel, renforcé par un accent prononcé d’intérêt crypto-autocentré. L’exil, en revanche, fait plutôt référence à la terre promise du réfugié. Ce fut le cas de Majhmout Diop (1922 – 2007), l’un des pères de la gauche sénégalaise. En 1962-1963, le Parti africain de l’indépendance (Pai), contraint à la clandestinité après sa dissolution et son interdiction décidée par Mamadou Dia, s’interroge sur un rapprochement avec l’opposition légale de l’époque, constituée du Bloc des masses sénégalaises (Bms) et du Parti du regroupement africain (Pra), dirigés respectivement par Abdoulaye Ly et Amadou Mahtar M’Bow.
Majhmout Diop, son fondateur, choisit le chemin de l’exil et se réfugie au Mali. Nous sommes alors dans le contexte bien marqué par la fin de la Fédération du Mali. « En tant qu’entité territoriale, elle n’existe plus. Nous restons mobilisés pour l’idée de la Fédération qui, malgré tout, demeure une semence virile de l’unité africaine », promet Modibo Keïta, devenu chef de l’État de la toute nouvelle République du Mali. Exilé auprès de son « frère », Majhmout Diop forme un duo avec Modibo Keïta opposé à celui Mamadou Dia-Léopold Sédar Senghor : le premier était responsable de la dissolution du Pai, tandis que le second était à l’origine de la fin de la Fédération du Mali. Pourtant, le retour de Majhmout Diop au Sénégal coïncide avec une nette amélioration de ses relations avec Senghor. Docteur en pharmacie, il obtient finalement un récépissé pour l’ouverture de sa pharmacie au Plateau. Un tournant que certains membres de la gauche, sous influence asiatique, lui reprochent sévèrement. Ils accusent alors Majhmout Diop et son parti d’avoir trahi la révolution mondiale en s’alignant sur Moscou, au lieu de suivre l’orthodoxie maoïste.
Parmi ces détracteurs figurent Moustapha Diallo, ancien dirigeant de la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (Feanf), et l’avocat Babacar Niang, plus connu sous le nom de Mbaye Niang. Tous deux, après avoir quitté le Pai, deviendront une décennie plus tard des membres fondateurs du Rassemblement national démocratique (Rnd) aux côtés de Cheikh Anta Diop. Depuis ces épisodes, l’exil au Mali, pour un homme politique sénégalais, était devenu presque obsolète après les cinq premières années de l’indépendance. Pourtant, il est revenu à la mode, comme un fashion vintage, un soir d’août 2023. Ce fut le cas de Ngagne Demba Touré, coordonnateur national de la Jeunesse patriotique sénégalaise (Jps), la branche jeune du Pastef, qui choisit lui aussi le Mali comme terre d’exil.
« Face à un État qui a délibérément institutionnalisé la terreur, j’ai pris la décision infaillible de résister par tous les moyens. Face à une justice qui s’est transformée en bras armé du pouvoir tyrannique de Macky Sall, j’ai décidé de quitter le Sénégal. Devant l’immensité des responsabilités qui m’attendent dans cette lutte qui s’annonce de longue haleine, j’ai pris l’option de ne pas me livrer à l’ennemi. Pour la pérennité des idéaux patriotiques qui nous unissent, je suis contraint à l’exil », écrit-il sur sa page Facebook, le 17 avril 2023. À la faveur de la victoire du Pastef à la présidentielle du 24 mars 2024, Ngagne Demba Touré fait son retour au Sénégal, porté par l’enthousiasme général qui accompagne l’accession au pouvoir du Président Bassirou Diomaye Faye.
Ainsi, il marche sur les pas d’un autre célèbre exilé politique de la Rome antique : Cicéron. En 58 av. J.-C., ce dernier est banni par une loi de Clodius, et ses biens sont pillés. Après 17 mois, une nouvelle loi lui permet de revenir en 57 av. J.-C. Accueilli en triomphe, il retrouve son poste au Sénat. À travers ses écrits, Cicéron met en scène son exil, le liant à l’histoire et construisant une image de lui-même grâce à des stratégies rhétoriques et philosophiques. Près d’un siècle plus tard, Sénèque, un autre romain, est exilé par l’empereur Claude entre 41 et 49 apr. J.-C. Le célèbre penseur restera, toute sa vie, obsédé par le désir de retrouver Rome. Avec la dernière séquence de l’actualité sénégalaise, le proverbe arabe n’a jamais été aussi pertinent : « L’exil avec la richesse, c’est une patrie. La pauvreté chez soi, c’est un exil. »