THIAROYE 44, DECONSTRUCTION ET RECONSTRUCTION MEMORIELLES DES ARTS
La déconstruction du discours colonial mensonger sur les évènements de Thiaroye 44 est l’œuvre des littéraires.

La série de panels sur la commémoration du 80e anniversaire du massacre de tirailleurs sénégalais s’est tenue, le samedi 15 mars, au musée des Civilisations noires, une conférence autour du thème : «Thiaroye 44 : Représentations littéraires et (dé)constructions mémorielles». des universitaires et journalistes ont démontré l’apport de la littérature et la création artistique dans la déconstruction du discours colonial et la reconstruction de notre propre discours à partir de la fiction, de l’imaginaire.
La déconstruction du discours colonial mensonger sur les évènements de Thiaroye 44 est l’œuvre des littéraires. La création artistique et les ouvrages ont aussi permis de reconstruire des pans d’histoire et de construire une mémoire collective sur la question. Pr Ibrahima Wane indique que l’intérêt de la réflexion autour de la littérature, c’est qu’il s’agit de la question de la recréation. Comment les faits sont perçus ? Comment ils sont retravaillés par l’imagination créatrice ? Comment ils sont transmis ? Comment ils constituent la mémoire, donc le rôle de la création dans la construction de la mémoire ? D’autant que la particularité de la littérature et des arts, c’est de travailler à partir du langage, de retravailler des faits avec l’émotion. Ce qui est, à son avis, important puisqu'il s’agit de massacre, d’une tragédie. Il s’agit, en outre, d’élever un panthéon à la mémoire de disparus dans des conditions tragiques. C’est en cela que la littérature est un travail beaucoup plus efficace que d’autres langages puisqu'elle utilise la réalité historique et l’imaginaire, dit-il. Il s’agit, également, de savoir comment nommer efficacement les choses. Quand on parle de littérature, on pense à la fiction alors qu’elle s’inspire de l’histoire et de la réalité sociale. A travers les œuvres d’art, on peut reconstituer plusieurs pans de l’histoire parce que c’est souvent une mise en scène, une codification de choses réelles, signale Pr Wane. Donc, on ne peut pas étudier l’histoire en excluant la littérature. D’autant que la littérature a pour matière l’histoire et l’histoire doit faire de la littérature une matière importante. Pour lui, il est important que les œuvres sur la question soient diffusées à l’école et traduites dans les langues locales et faire en sorte que la peinture populaire trouve des moments et des lieux de rencontre avec le public. Il pense qu’il faut usiter de toutes les expressions en multipliant et exploitant leurs diversités puisque chacune a son langage, son pouvoir et son public.
Modéré par Pr Ibrahima Wane, le panel, dans le cadre de la commémoration des 80 ans du massacre, était animé par Pr Ibrahima Diagne, département de langues et civilisations germaniques et de Dr Alioune Diaw, département de Lettres modernes de l’UCAD et le journaliste et écrivain Pape Samba Kane. Pour lui, il s’est agi d’exprimer sa propre relation en tant que gamin avec cette histoire de Thiaroye 44, à partir des rumeurs du village avec des versions extrêmement différentes, contradictoires. Il a, dit-il, appris tout à l’école primaire sauf une histoire qui le touche de près. Né à 12 km du théâtre du massacre du 1er décembre 1944, il savait plus des figures historiques comme Charlemagne, Jeanne d’Arc... que de ce qui s’est passé à Thiaroye. Il a ainsi démontré ce rapport de bourrage de crâne et de tentative de «nous vider de notre propre histoire». Le journaliste a insisté sur le fait que c'est une entreprise vaine. Dans la mesure où la façon dont les tirailleurs sont morts donne un devoir à ceux qui leur ont survécu et qui ont une relation parentale, idéologique de proximité... de perpétuer leur mémoire. Ce qui, ailleurs, se fait dans du marbre, du bronze et de l’acier
Pape Samba Kane, lui, souhaite que cela se fasse autrement, «par notre propre chair, par notre imaginaire en construisant quelque chose.» A l’en croire, l’approche est plus efficace par la fiction notamment les romans, les films...qui impriment dans notre imaginaire les émotions nécessaires à nous faire conserver cela plutôt que les études scientifiques qui ont, certes, leur importance. Seulement, pour ancrer dans la chair la douleur des soldats, c’est, à son avis, la création artistique qui est plus efficace. Sur la question du caractère fictionnel des créations artistiques, le journaliste rétorque. «Il n’y a pas de création artistique qui se situe en dehors de la réalité, si elle ne se nourrit pas de la réalité, elle parle à la réalité. La réalité et la fiction sont liées. Ceux qui font la création sont réels et le public destinataire est aussi la représentation d’une réalité. Le rapport réalité fiction est, dit-il, difficile à diviser, ils se confondent.» Il déplore le manque de roman écrit à partir de cette triste réalité, d’autant qu’il y a des poèmes, des pièces de théâtre, des films... Et prône d’usiter les nouvelles technologies pour rendre accessibles des aspects de la question sur des supports vidéo, documentaires, discussions.
LA LITTERATURE, IMPLANT MEMORIEL
Pr Ibrahima Diagne s’est penché sur la fonction de la littérature à suppléer l’histoire quand il y a un vide, notamment le nombre de tirailleurs massacrés, les lieux d’inhumation, ainsi que les motifs du massacre... Le pouvoir de la littérature, indique le chercheur, c’est de donner une représentation des faits permettant à la mémoire d’avoir une prise sur l’histoire. Pour ce faire, PrDiagne use de la métaphore de la littérature «implant mémoriel». La littérature comble le vide. Ce qui permet de donner corps aux souvenirs et de pouvoir continuer à perpétuer la mémoire des tirailleurs sénégalais. La littérature a, dit-il, ce pouvoir de construire et déconstruire des imaginaires. Celui qui entoure le récit de Thiaroye d’un point de vue français est ethnocentrique. C’est elle qui a mis au goût du jour des faits historiques, et à déconstruire le discours français sur la question pour construire un discours tout à fait sénégalais qui démonte le tissu de mensonges sur le massacre, a signalé Pr Diagne. Le critique littéraire pense aussi que reproduire la réalité est quasiment impossible. Pour lui, même si la littérature est un discours de subjectivité, il se nourrit d’imaginaire, donc de fiction. Mais cela n'enlève en rien le potentiel de la littérature à cerner la réalité et à en donner une lecture qui peut aller au-delà des attentes. C’est donc une fiction, représentation d’une réalité et qui ne peut pas se substituer à cette réalité. La production littéraire a ainsi contribué à construire une mémoire. Pr Alioune Diaw pour sa part a démontré comment les productions littéraires ont participé à la construction et ou à la déconstruction de la mémoire des évènements de Thiaroye 44. L’évènement est à plusieurs enjeux politiques, militaires, scientifiques, juridiques. Il a aussi suscité des créations littéraires telles que le poème Thiaroye» publié en 1948 dans Hosties noires. Il y a aussi une bande dessinée, «Mort par la France» produit par des Occidentaux. Il y a aussi la pièce de théâtre du journaliste, écrivain, «Thiaroye terre rouge» paru dans les années 80. C’est des mémoires collectives élevant les tirailleurs au rang de héros, au même titre qu’El Hadji Omar Tall...
L’importance de la fiction est reconnue de tous. Seulement, l’événement était entretenu par un tissu de mensonges par l’autorité coloniale, déplore Pr Diaw. Mensonge qui est entretenu au fil de l’histoire. L’enseignant au département de lettres modernes déplore dans la foulée le fait qu’il n’y avait pas de travail historique de déconstruction de cette contrevérité. D’autant que les historiens qui ont mené cette déconstruction du mensonge sont étrangers, Martin Mourre et Armelle Mabon. A côté du mensonge étatique de la France et l’absence de déconstruction par les historiens locaux, c’est un chant exploité par les créateurs artistiques et littéraires pour déconstruire le discours colonial et reconstruire notre propre discours. Pour diffuser ces messages, il prône les nouvelles technologies et la BD pour toucher les plus jeunes. C’est bien de réfléchir sur cette mémoire mais le travail doit permettre d’envisager le futur, souligne Pr Alioune Diaw.