L'ODYSSÉE WADE
Vingt-cinq ans après son arrivée au pouvoir, Abdoulaye Wade reste une énigme politique. Madiambal Diagne lève enfin le voile sur les mille et une vies du Sphinx, dans un récit où les révélations explosives côtoient les anecdotes savoureuses

L’entrée de Madiambal Diagne dans le monde des Lettres sénégalaises a semblé accidentelle au départ. Voilà une personne qui s’est fait un nom en commettant des «scoops» dans des feuilles de chou à la durée de vie éphémère, et qui voulait acquérir l’immortalité en faisant des coudes dans le cénacle des Senghor, Césaire, Fatou Diome et autres Mbougar Sarr, mais dans un genre bien particulier. Son premier ouvrage tenait plus du témoignage de première main, sur un sujet qui a longtemps tenu en haleine tout le pays, et qui a même divisé des familles. Madiambal Diagne a montré qu’il a eu accès à des sources de première main, pour donner des informations qu’à ce jour, aucun des protagonistes n’a jamais tenté de remettre en cause. Profitant sans doute de la conjoncture politique, il a produit quasiment coup sur coup, deux ouvrages biographiques sur des personnalités qu’il a longtemps fréquentées, les anciens président de la République Macky Sall et Premier ministre Amadou Ba, et retracé leurs parcours respectifs. Il n’avait sans doute pas prévu que leur sort serait celui qu’il a été il y a un an, à l’issue de la Présidentielle.Après ces essais, M. Diagne s’est lancé dans le roman, avec un notable succès. Coïncidence ? L’arrivée de Trump au pouvoir a semblé donner raison à l’auteur, le nouveau dirigeant américain semblant peu enclin à recevoir des Africains à la Maison Blanche. Faudrait-il croire que le fameux «Dîner à la Maison Blanche attendra» la fin de son mandat ? Quoi qu’il en soit, Madiambal revient à un autre essai biographique, en s’attaquant à un monument vivant, Abdoulaye Wade. Aura-t-il eu le temps de faire le tour de ses «Mille et Une vies» ? Le lecteur le découvrira dans le livre dont il a ici les «Bonnes Feuilles». Pourquoi un livre sur Abdoulaye Wade ?
Depuis son départ du pouvoir, il est rare de voir un livre, un essai ou une quelconque forme de publication, axé sur la façon dont le Président Abdoulaye Wade a gouverné le Sénégal, de 2000 à 2012, ou encore l’odyssée du Parti démocratique sénégalais (Pds).
Mamadou Lamine Loum, le dernier Premier ministre de Abdou Diouf, a produit un livre-bilan sur la situation du Sénégal au 2 avril 2000. Macky Sall, quelques mois après la fin de ses deux mandats, a lui aussi engagé ses équipes à éditer un livre-bilan de sa gestion (2012-2024). Ces productions valent assurément ce qu’elles valent, mais elles ont le mérite d’exister, pour donner la perception que les principaux tenants des régimes, qui ont précédé ou succédé à celui de Abdoulaye Wade, ont pu avoir de leur action à la tête du pays.
A ma connaissance, personne n’a encore produit un livre pour tirer le bilan ou analyser le règne du Président Abdoulaye Wade. Quelques livres controversés sont parus durant son magistère : certains le pourfendant durement, d’autres étant de purs panégyriques.
Je dois dire que j’ai entrepris, il y a quelques années, d’écrire un livre sur la gouvernance de Abdoulaye Wade. Je me suis résolu à ne pas le rendre public, parce qu’il ne me satisfaisait pas : la situation que j’y décrivais apparaissant loufoque, trop anecdotique ou même caricaturale.
Il y a aussi que certains proches collaborateurs du Président Wade se retenaient alors de témoigner de bien des situations cocasses, vécues à ses côtés, au cœur du pouvoir. Un de ses anciens premiers ministres me confiait même : «Tant que le Président Wade est en vie, j’aurais bien du scrupule à parler de certaines choses !»
Je manquerais ainsi, pour cet exercice, de recueillir les témoignages les plus pertinents. Il s’y ajoute que moi-même, je m’interrogeais sur ma posture. Ne risquerais-je pas de passer pour verser dans un exercice de règlement de comptes ? Mon objectivité ne serait-elle pas mise en cause ? En effet, mes relations avec le Président Wade paraissaient tumultueuses aux yeux du grand public.
Son pouvoir m’avait emprisonné en 2004, parce que la tonalité du journal Le Quotidien, tout comme certains de mes écrits, dérangeait. Il reste qu’après ce malheureux épisode, qui lui a coûté beaucoup du point de vue de son image, Abdoulaye Wade installa des passerelles avec Le Quotidien, pour faire passer des messages importants ou travailler avec moi sur des questions cruciales, pour la paix et la stabilité au Sénégal et en Afrique. Bien des ministres sortaient d’une discussion avec le président Wade, pour me confier les appréciations positives et la confiance qu’il nourrissait pour Le Quotidien.
En septembre 2012, il m’invita à Versailles. Je suis chaleureusement accueilli… Et devant nombre de ses collaborateurs médusés, il me fait l’accolade avant de déclarer : «Jeune homme, j’ai du respect pour vous !»
Au demeurant, devrais-je continuer à m’autocensurer concernant Abdoulaye Wade, d’autant plus que je suis déjà l’auteur de livres sur d’autres hommes politiques sénégalais ? Il est de mon devoir de témoigner sur l’homme, sa vie et son parcours. Le hasard du calendrier donne des repères ou des prétextes. Le 19 mars 2025 est l’anniversaire de son accession au pouvoir, un certain 19 mars 2000. Vingt-cinq ans, ça se célèbre ! Il en est de même du Parti démocratique sénégalais (Pds), qui porte depuis toujours son action politique, qui a célébré l’année passée ses cinquante ans.
Mon témoignage relève aussi d’un devoir de reconnaissance vis-à-vis de Me Babacar Sèye, ancien Bâtonnier de l’Ordre des avocats, membre du Conseil constitutionnel, tué, le 15 mai 1993, par la «Bande à Clédor». Abdoulaye Wade est mêlé à cet assassinat et mes recherches m’ont permis de mettre la main sur des documents et de recueillir des témoignages inédits, qui apporteront définitivement, sans aucun doute, la lumière sur cette affaire.
Mon histoire avec Me Babacar Sèye est particulière.
Jeune greffier au Tribunal de Saint-Louis où je suis affecté, je ne trouve qu’une robe défraîchie au Greffe, le jour de ma prestation de serment. Je la revêts, pour me présenter devant le président Ndongo Fall, qui doit recueillir mon serment de «jurer de garder le secret professionnel et de me comporter en toutes circonstances comme un digne et loyal greffier». Me Moussa Niang, greffier, assiste le président du Tribunal, et Idrissa Barry, le substitut du procureur de la République, occupe le banc du Ministère public.
Me Sèye ne peut supporter que j’entre dans l’institution judiciaire aussi mal fagoté. Il se dévêt de sa robe et me la tend, avec ces mots pleins de tendresse : «La Justice se porte dignement et se rend avec dignité.» Quand je me débarrasse de la robe qui le gêne tant, il ne manque pas de remarquer que, sous le «haillon», je m’étais quand même tiré à quatre épingles. Il m’en fait le compliment.
Par la suite, il s’est plu, très souvent, à demander à son jeune confrère, Me Ladji Traoré, de m’inviter à leur cabinet, et à son domicile de Sindoni (Sud), pour discuter.
Sa mort m’attrista beaucoup.
Le fantôme de Me Sèye poursuivra Abdoulaye Wade jusqu’au Palais présidentiel. Ce livre le démontrera. Evoquer l’affaire Me Sèye, c’est aussi un devoir de mémoire ou de continuité pour moi : c’est justement à l’occasion du procès de l’assassinat de Me Babacar Sèye en 1994, que j’embrasse le métier de journaliste.
Le procès, que j’ai couvert et dont les articles seront publiés dans les colonnes du journal Wal Fadjri, a contribué à ma renommée dans le journalisme. Est-ce un clin d’œil du destin, au moment où je décide d’arrêter le journalisme, que je revienne sur l’affaire Me Sèye, trente ans après ?
C’est une boucle bouclée !
Il n’en demeure pas moins que j’ai la pudeur de ne pas évoquer dans ce livre, et autant que possible, des questions relatives à la vie intime de Abdoulaye Wade. Le lecteur notera également que je n’évoque pas cette affaire de cinquante millions de francs Cfa ou plus, qu’il dégage en 2007, pour, dit-on, appuyer Le Quotidien. Cette affaire que nous avions alors portée à l’attention du public, reste fort douloureuse pour bien des protagonistes, surtout que certains médias, aveuglés par une concurrence malsaine, ont sauté sur l’occasion pour montrer une malhonnêteté sidérante.
L’évoquer dans ce livre pourrait apparaître comme un plaidoyer pro domo.
Au réveil à Touba, Wade est un autre homme
Le 19 mars 2000 est un jour historique. Pour la première fois au Sénégal, une élection présidentielle se conclut au second tour de scrutin.
Le président sortant, Abdou Diouf, qui caracole en tête du premier tour, avec une avance de dix points (41, 51%), sur son challenger Abdoulaye Wade (31, 01%), joue son va-tout. Il obtient les ralliements de certaines grandes figures politiques, comme celle de Djibo Leyti Kâ, leader de l’Union pour le renouveau démocratique (Urd), arrivé quatrième au premier tour du 27 février 2000 (7, 08%). Djibo Kâ, qui avait apporté un soutien franc à Abdoulaye Wade, quelques jours auparavant, tourne subitement casaque, le 14 mars 2000, pour jeter finalement son dévolu sur Abdou Diouf. Ses contradictions avec Ousmane Tanor Dieng, le dauphin putatif de Abdou Diouf, semblent derrière lui. (…)
Wade, une diplomatie peu diplomatique
(…) Lorsque Abdoulaye Wade arrive au pouvoir, il en veut au Président nigérian Olusegun Obasanjo. Dans sa première grande interview publiée dans les colonnes du magazine Jeune Afrique-L’Intelligent, numéro 2046 du 28 mars 2000 au 3 avril 2000, le nouveau Président élu du Sénégal ne cache pas son acrimonie à l’endroit de Olusegun Obasanjo. Répondant à la question : «quels sont les chefs d’Etat africains qui ont financé votre campagne électorale ?», Abdoulaye Wade déclare sèchement : «Je n’ai bénéficié de l’aide de personne et croyez-moi, je me suis bien gardé de leur demander quoi que ce soit. Contrairement à une idée répandue, les membres de ce syndicat sont très prudents : ils évitent généralement de financer des opposants. (…) Prenez le cas du Nigeria. J’ai beaucoup fait pour Obasanjo, mais depuis qu’il est revenu aux affaires, il a carrément coupé les ponts avec moi, sans doute pour ne pas déplaire à Abdou Diouf. Lorsqu’il était en prison, je suis allé à deux reprises voir Sani Abacha pour demander sa libération. J’étais alors ministre d’Etat (1995). Abacha m’a répondu qu’il devrait s’estimer heureux d’être en vie, parce qu’il est passible du peloton d’exécution pour avoir comploté contre lui. Par la suite, j’ai fait venir au Sénégal l’épouse de Obasanjo, qui était, à l’époque, dans un grand dénuement, pour que le Président Diouf puisse l’aider. A sa libération, Obasanjo m’a même écrit pour me remercier. Depuis, c’est le silence radio. Entretemps, j’avais, il est vrai, quitté le gouvernement. J’étais sans doute devenu moins fréquentable.»
Abdoulaye Wade digère mal que Obasanjo, de retour au pouvoir, suite à une élection démocratique cette fois-ci, en 1999, ne lui renvoie pas l’ascenseur. Le Président Wade, qui n’est pas du genre à faire le dos rond face à un affront, va se déchaîner au premier Sommet de la Cedeao auquel il prend part. C’est justement à Abuja (Nigeria) les 28 et 29 mai 2000.
L’esclandre affecte Olusegun Obasanjo qui, à la fin de la journée du Sommet des chefs d’Etat, vient trouver le président Wade, à son hôtel, pour arrondir les angles. Ils vont à nouveau s’affronter au Sommet de l’Union africaine à Durban en 2002. Wade s’investit pour une médiation à Madagascar entre Didier Ratsiraka et Marc Ravalomanana. Il en fait tant et si bien que c’est un Olusegun Obasanjo caustique qui se demande, au détour de son intervention avec amusement, «si le président Wade n’avait pas un champ de clous de girofle à Madagascar».
Pour lui, le Président Wade est trop enclin à peser sur le dossier de Madagascar. Sa réplique au Président Obasanjo est cinglante : «Bande de putschistes. Je suis le mieux élu ici !» Abdoulaye Wade se déchaîne et rabroue le Président Eyadéma du Togo, qui cherche à le faire taire. Wade lui assène : «Un soudard ne doit pas prendre la parole quand des agrégés parlent !»
Les propos, peu diplomatiques, ne plaisent pas au Président togolais Gnassingbé Eyadéma, qui appelle l’ancien Premier ministre Moustapha Niasse, avec lequel il entretient des relations fort cordiales, pour lui souligner : «Si ton Président continue comme ça, je finirai par lui c…» Le président Alpha Oumar Konaré du Mali dira de Wade «qu’il est iconoclaste !». Le président Obasanjo dira lui aussi à Moustapha Niasse : «Wade a la folie de Bokassa !»
Abdoulaye Wade affrontera durement son homologue togolais, Gnassingbé Eyadema, sur le dossier de la médiation, dans la crise politico-militaire, en Côte d’Ivoire. Le président Eyadéma convoque une réunion de chefs d’Etat à Kara, son fief natal, au Nord du Togo. Abdoulaye Wade s’y rend. Cependant, il est inquiet. Il décide de ne faire qu’un aller-retour, et même de ne pas boire de l’eau sur place. Un collaborateur du président Wade souffle : «On nous avait prévenus que Eyadéma était un sorcier. Le président Wade n’y a pas pris un verre d’eau et est descendu de l’avion avec un bandage improvisé ; il a prétexté une blessure à la main pour ne pas serrer celle de son homologue togolais.»
Ses craintes ont semblé se vérifier quand, à sa descente d’avion, il glisse et s’affale sur le sol. La scène est retransmise en direct à la télévision nationale togolaise (Tvt). Les journalistes sénégalais, témoins de la scène, se passent le mot pour taire l’incident. Aucun média sénégalais ne le relate. Le Président Eyadéma est frustré de l’attitude du Président Wade, avec la main bandée. Le président de l’Assemblée nationale du Togo, Fambaré Ouattara Natchaba, est informé que Farba Senghor pourrait avoir de l’influence sur le Président Wade, pour le ramener à de meilleurs sentiments. Il met donc Farba Senghor en contact avec le Président Eyadéma. Le chef de l’Etat togolais exprime ses griefs et souhaiterait plus de respect et de considération de la part de son homologue sénégalais. C’est à la veille d’un Sommet de la Cedeao, convoqué pour le lundi 10 mai 2003 à Dakar. Farba Senghor se fait rabrouer le vendredi 7 mai 2003 par le Président Wade, quand il cherche à alerter sur le risque d’un boycott de cette rencontre par les autres chefs d’Etats membres de la Cedeao.
Mais le lundi 10 mai 2003, ses craintes se vérifient.
La participation de plusieurs chefs d’Etat, et non des moindres, n’est confirmée par aucun d’eux. Le Président Wade, sentant l’humiliation ou le camouflet diplomatique, charge alors Farba Senghor de prendre contact avec «son père» togolais. Farba Senghor peut accéder au Président Eyadéma, à toute heure, via le chef du protocole présidentiel togolais, Arouna Batiem Kpabré-Silly.
L’initiative est couronnée de succès. Gnassingbé Eyadéma, qui aime le style direct de Farba Senghor, se lie d’amitié avec lui et fait des concessions. Il demande de décaler le sommet d’une journée. Le Président Wade accepte sans discussion. Les frondeurs font le voyage de Dakar et la déclaration incendiaire que ces chefs d’Etat entendaient alors publier, contre le Président Wade, est déchirée.
(…)
A Benghazi, le divorce avec Kadhafi
Le 13 février 2009, le Président Wade est en visite à Beijing. Son homologue Hu Jintao lui déroule le tapis rouge, mais Abdoulaye Wade n’est pas content et le fait savoir. Le Président sénégalais d’expliquer : «En Afrique, la parole d’un patriarche est vénérée et je suis un patriarche dans mon pays. Or, j’avais confiance en votre parole pour annoncer à mon Peuple des réalisations infrastructurelles promises à mon pays. Voilà qu’il y a de grosses lenteurs dans l’exécution des projets !» Hu Jintao ordonne à ses équipes de faire le point sur les projets chinois au Sénégal. C’est ainsi que les travaux de construction des infrastructures comme le Grand Théâtre ou le Musée des civilisations, entre autres, démarrent.
Abdoulaye Wade tente de rejouer le même coup avec Kadhafi à Syrte. Le Guide libyen avait promis d’ériger à Dakar, une tour portant son nom. Une tour haute de deux cents mètres, à la pointe du Cap Manuel, pour un coût de 200 millions d’euros. Tel était le projet que le Président Abdoulaye Wade et son architecte conseil Pierre Goudiaby Atepa avaient soumis, le 18 février 2009 en Libye, au Colonel Kadhafi, lequel a accepté de le financer via la Libyan african investment company (Laico). La Kadhafi African Tower, haute de soixante étages, devait abriter un hôtel cinq étoiles de quatre cents chambres, un centre de conférences et une centaine d’appartements, et serait la première au monde à être majoritairement alimentée (jusqu’à 80%) par de l’énergie solaire.
A Syrte, le président Wade recommence son mélodrame. Babacar Diagne, conseiller en communication, redit sa surprise : «Le Président Wade a attaqué Kadhafi et demandé à l’interprète : «Dis-lui qu’il ment.» L’interprète bafouille et semble ne pas oser faire la traduction. Il insiste : «Dis-lui qu’il ment.»
L’interprète ne traduit toujours pas et le Président Wade demande après l’ambassadeur Moustapha Cissé, pour qu’il fasse la traduction. Mais je pense que Kadhafi, qui parle déjà italien, a bien compris le propos et a éclaté de rire en lui disant : «Non, Abdoulaye. Vous n’êtes pas en Chine !»
Comme quoi, le coup de Beijing avait déjà été l’objet de ragots dans les chancelleries. L’activisme diplomatique du chef de l’Etat sénégalais l’invite en Iran pour plaider, en 2010, la libération de l’universitaire française Clotilde Reiss, détenue à la prison d’Evin à Téhéran. Un ancien ambassadeur précise : «Il y a lieu de souligner que son rôle dans la libération de Clotilde Reiss est marginal. Paris et Téhéran avaient déjà négocié leur deal. Seulement, ils ne pouvaient pas dire non à la démarche d’un ami. Le souhait du Président Wade avait été de ramener Mme Reiss dans son avion. Ce qui n’a pas été le cas.»
N’empêche, Abdoulaye Wade ira au Yémen en 2011, pour tenter de régler la guerre civile dans ce pays.
Au demeurant, poursuit-il, «les initiatives de paix tous azimuts de Wade s’expliquent certainement par la fascination du Prix Nobel de la paix. Il en rêvait constamment, surtout après avoir reçu, en septembre 2004, le Prix Houphouët-Boigny pour la paix, décerné par l’Unesco. Pour lui, c’était naturellement le prélude au Nobel. Toutes ses initiatives de paix ultérieures s’inscrivaient dans cette perspective».
Mais le coup de trop sera sa visite à Benghazi en Libye, le 9 juin 2011. A cette occasion, depuis le fief de la rébellion, Abdoulaye Wade demande à Mouammar Kadhafi de quitter le pouvoir. Il fait cette déclaration à bord d’un porte-avion militaire français. En s’adressant au Guide de la Révolution libyenne, il déclare : «Je te regarde dans les yeux (…) plus tôt tu partiras, mieux ça vaudra.» Il ajoute à l’endroit des médias : «A l’Union africaine, je suis le seul qui peut lui parler, lui dire la vérité, car je ne lui dois rien.» Le Sénégal sera le deuxième pays au monde, après la France, à reconnaître l’autorité ou la légitimité des insurgés contre Kadhafi. Abdoulaye Wade sera aussi le premier chef d’Etat à se rendre en Libye. Il aurait entrepris cette démarche à la demande du Président Nicolas Sarkozy, en conflit avec le Colonel Kadhafi. Les bombardements de Tripoli menés par les forces occidentales commenceront deux jours seulement après la déclaration du Président Wade, comme si la coalition internationale contre le Colonel libyen n’attendait alors que la caution d’une voix africaine audible.
Le Colonel Khadafi enverra une lettre au président Wade, lui faisant la leçon pour ce qu’il qualifie de traitrise : «Il vous est arrivé de prier derrière moi. J’ai été votre imam, le temps d’une prière. En musulman, on ne doit pas trahir son imam. Malgré tout ce que vous avez dit, je garde toute l’estime et tout l’amour que j’ai pour vous.» L’amertume de Kadhafi est grande car les deux hommes sont depuis longtemps des alliés.
Qui ne se rappelle pas qu’en 1978, des liens étroits unissent déjà Abdoulaye Wade avec le Guide libyen, au point d’être accusé par le régime de Senghor de fomenter une opération de déstabilisation en complicité avec la Libye ?
Au pouvoir, le président Wade se montre si avenant à l’endroit de Kadhafi que les deux chefs d’Etat travaillent, main dans la main, pour la création des Etats-Unis d’Afrique.
C’est la stupeur générale quand on entend sortir de la bouche de Abdoulaye Wad,e cette déclaration selon laquelle «Kadhafi n’avait jamais été son ami».
Ahmed Khalifa Niasse, ulcéré, de répliquer : «Si Kadhafi n’est pas l’ami de Wade, alors Wade n’a pas d’amis.» Des diplomates regrettent encore que «le Président Abdoulaye Wade ne se soit pas déplacé jusqu’à Syrte pour parler en privé à Kadhafi, plutôt que de le lâcher publiquement, le jetant en pâture à partir d’un navire militaire français».
Le Guide libyen sera assassiné le 20 octobre 2011.