Comment le président de la République et le maire de Dakar ont conclu un gentlemen’s agreement
Pavage des rues de la capitale et déguerpissement des ambulants

Au nom de l’intérêt général, le Président a accepté de faire passer la Patrie avant son Parti.
Sur un point particulièrement important de la vie nationale — en tout cas de la capitale —, au moins, le président de la République a démontré qu’il faisait passer « la Patrie avant le Parti » ainsi que le proclame son slogan. En effet, alors que des va-t-en guerre, des boutefeux et des irresponsables de son parti, l’Alliance Pour la République (APR) soufflaient sur les braises et poussaient les marchands ambulants à se radicaliser et à s’opposer au projet de déguerpissement entrepris par la mairie de la Ville de Dakar, M. Macky Sall les a désavoués. Mieux, au nom de l’intérêt général, il a décidé d’apporter à M. Khalifa Ababacar Sall, le maire de Dakar, tout le soutien dont il a besoin pour non seulement désencombrer les rues de Dakar de ces hordes de marchands « ambulants » — en fait sédentarisés pour la plupart puisque ayant installé des tables sur la voie publique, d’où leur nom de tabliers ! — des ambulants, donc, qui ont fini de donner un visage de Cour des miracles à la capitale, mais encore le Président a soutenu Khalifa Sall dans le pavage des artères de la plus grande ville du pays.
Joignant le geste à la parole, il a fait mettre à la disposition de l’édile suffisamment de policiers et de gendarmes pour dissuader toute velléité desdits « ambulants » de rééditer l’Intifada entreprise en novembre 2007 lorsque l’ancien président de la République, Me Abdoulaye Wade, avait entrepris une première fois de les chasser des rues de Dakar. Ce jour-là, ils avaient cassé, pillé, incendié véhicules officiels, édifices publics et biens appartenant à des privés. Et Wade, courageusement, avait reculé. Depuis lors, ces « ambulants » terrorisent tous les dirigeants politiques et exercent un chantage inacceptable sur eux du genre « si vous nous déguerpissez, nous allons brûler la ville » ou encore « ici, nous sommes, ici nous restons, si vous tentez de nous déplacer, on fait un vote-sanction ». Terrorisés, ces autorités se dégonflaient comme des baudruches. On doit à la vérité de dire que seule une femme, Mme Seynabou Wade, mairesse de la commune d’arrondissement de Fass-Colobane-Gueule Tapée avait osé les affronter avec le soutien des jeunes de son quartier de Colobane. A l’époque d’ailleurs — on était à la veille de la dernière élection présidentielle — nous avions écrit dans ces mêmes colonnes que si Mme Seynabou Wade était candidate, c’est pour elle que nous aurions voté !
Pour le reste, à force de reculer, on se retrouve dos au mur et, dans ces conditions, la seule solution c’est de faire face à ses poursuivants ou ses agresseurs. Fatigué de négocier, de promettre, de manifester sa bonne foi face à des gens foncièrement de mauvaise foi et maîtres chanteurs, le maire de Dakar a compris qu’il ne servait à rien de perdre son temps avec ces ambulants-là qui avaient roulé dans la farine son prédécesseur M. Pape Diop mais aussi le président Abdoulaye Wade lui-même. Des « ambulants » qui demandaient toujours plus. Vous leur proposez un doigt ? Ils veulent le bras tout entier !
Ayant fait approuver par son conseil municipal un programme de pavage des rues de la capitale et trouvé un financement de dix milliards de francs pour mettre en œuvre la première phase de ce chantier, M. Khalifa Sall ne pouvait plus tergiverser. Surtout qu’il avait le soutien des populations de Dakar que ces ambulants étouffent et dont ils dégradent l’environnement. Il était donc résolu à passer coûte que coûte, à engager un bras de fer avec ces marchands soutenu en cela par les jeunes des quartiers de Dakar, les notables, les imams et hommes de l’Eglise qui appellent tous de leurs vœux ce pavage, synonyme de disparition du sable des rues de la capitale.
C’est alors que, contre toute attente, et à la grande stupéfaction et fureur des populations, on a vu et entendu des responsables de l’Alliance Pour la République, plus préoccupés de leurs petites personnes que de l’intérêt général, pousser les ambulants à refuser de se laisser déguerpir. La situation était d’autant plus regrettable et cocasse à la fois que la mairie de la Ville de Dakar est dirigée par une équipe élue sur la liste de Benno Siggil Sénégal dont les principales composantes, le Parti Socialiste (PS) et l’Alliance des Forces de Progrès (AFP), mais aussi le Parti de l’Indépendance et du Travail (PIT) et la Ligue Démocratique (LD/MPT) appartiennent à la mouvance présidentielle actuellement au pouvoir. Mouvance dont le chef est… le président Macky Sall. En combattant M. Khalifa Sall, MM. Mbaye Ndiaye, Abdoulaye Diagne Diouf et Keïta fragilisaient donc un responsable qui a soutenu le candidat Macky Sall et, par-delà lui, les poids lourds de la coalition Benno Bokk Yaakar.
Une position schizophrénique intenable ! Et comme si cela ne suffisait pas, voilà que le Premier ministre, M. Abdoul Mbaye, venait porter l’estocade, sous la forme d’un coup de poignard dans le dos, au même Khalifa Sall en le faisant sommer d’arrêter tous les travaux de pavage de la Corniche au motif que les concessionnaires, et notamment l’ONAS (Office national de l’Assainissement) devaient y enfouir leurs réseaux ! Ce faisant, le Premier ministre, censé pourtant être informé, ignorait sans doute que la mairie de Dakar, qui travaille avec organisation et méthode — Khalifa Ababacar Sall n’a pas été formé à l’école de Senghor pour rien ! — avait obtenu toutes les autorisations requises auprès de toutes les administrations concernées avant de commencer ses travaux. En particulier, s’agissant des réseaux des concessionnaires, il avait obtenu depuis janvier dernier l’autorisation du Comité départemental de sécurité chapeauté par la préfecture. Le dossier de la mairie était donc béton et inattaquable techniquement. Politiquement, évidemment, c’était autre chose puisque certains responsables de l’APR rêvent de mettre le grappin sur cette municipalité de la capitale et son fabuleux budget.
Finalement, alors que les populations étaient très remontées et voulaient en découdre avec les ambulants — tout en promettant de voter contre les responsables de l’APR qui les soutiennent aux prochaines élections municipales —, le président de la République a eu l’intelligence d’appeler M. Khalifa Sall pour discuter avec lui. Lorsque ce dernier, dossiers à l’appui, lui a expliqué ce qu’il était en train de faire, le Président lui a répondu en substance : « vas-y, tu as tout mon soutien ! » C’est ce qui explique que, dès samedi, un important dispositif de sécurité a été mis à la disposition du maire pour qu’il poursuive son programme de désencombrement, préalable à tout pavage. Un programme de pavage pour lequel le conseil municipal de Dakar a déjà débloqué un financement de dix milliards de francs qui a permis d’acheter le site de l’ancienne conserverie Pêche et Froid, d’y construire une usine de pavés où s’activent déjà 1000 jeunes qui fabriquent et posent les pavés.
Cet ambitieux programme qui va durer de 15 à 20 ans — et que les successeurs de M. Khalifa Sall auront donc la responsabilité de continuer ! — coûtera chaque année de trois à cinq milliards de francs. A terme, il s’agira de faire de Dakar une « ville sans sable » comme les grandes capitales du monde ou, tout simplement, toutes les cités qui se respectent. Mais attention, en faisant de la capitale une « ville sans sable », le conseil municipal de Dakar n’est pas seulement guidé par un souci de coquetterie mais aussi et surtout par des raisons économiques puisque, comme nous le confie un adjoint au maire, « les ordures de Dakar sont constituées à 40 % de sable et cela représente pour nous un coût d’enlèvement de deux milliards par an ». Il s’agit donc pour M. Khalifa Sall et son équipe de joindre l’utile à l’agréable au grand bonheur des administrés de la capitale qui vont enfin vivre dans un environnement agréable.
Ce pavage ne constitue cependant qu’un aspect de l’ambitieux programme de modernisation de la capitale entrepris par le conseil municipal de Dakar — dans lequel siègent, en plus des partis membres du défunt Benno Siggil Sénégal, l’opposition représentée par le Parti démocratique sénégalais (PDS). En effet, il s’apprête à mettre en œuvre un vaste chantier de construction et de rénovation de routes pour un montant de 11 milliards de francs sur financement de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD). Ce n’est pas tout puisqu’il y a un volet éclairage public pour un montant de six milliards de francs. Last but not least, le quartier de Kermel sera transformé en espace culturel avec rues piétonnes pour un montant de trois milliards de francs.
Tous ces financements sont déjà acquis. Mais rassurez-vous : M. Khalifa Sall ne blanchit pas de l’argent. Simplement, la mairie de Dakar dispose d’un budget de 56 milliards de francs dans lequel, contrairement aux apparences, les recettes ordinaires constituées par les patentes, impôts locaux, taxes sur les ordures ménagères et sur la publicité etc., ne contribuent qu’à hauteur de 26 milliards de francs. Le reste est levé sans tambours ni trompettes sur le marché financier car heureusement que la Mairie de Dakar — du moins sous M. Khalifa Sall — est solvable et crédible.
C’est tout ce bon travail que les ultras de l’APR voulaient remettre en question en sanctionnant au passage les populations de Dakar. Mais heureusement que, de son observatoire privilégié, le président de la République a compris que ces projets de M. Khalifa Sall vont dans le sens de l’intérêt général. Les torpiller pour des intérêts bassement partisans, ç’aurait été mettre de l’eau au moulin de ses adversaires (à lui, président de la République) qui prétendent qu’il fait toujours passer l’APR avant la Patrie. Eh bien, pour cette fois-ci au moins, ils ont eu tout faux !