INVESTIR L’INTIME

La semaine dernière, un des feux de l’actualité qui brûlait les lèvres était le refus de Touba d’entériner la loi sur la parité. En clair la cité mouride refusait de soumettre une liste composée de candidatures alternant femmes et hommes, de manière paritaire et égalitaire. Elle refuse donc d’entrer dans la République, de se soumettre à sa Loi et à cette Valeur récemment adoptée de justice sociale entre deux catégories de citoyens.
En soi, cette défiance fait partie des défis de la construction nationale. Le plus difficile à accepter est probablement le refus de négocier. Une autre communauté religieuse, Médina Gounasse, a affiché une posture autrement intéressante avec une liste faite de couples conjugaux investis avec la bénédiction des religieux. Une pirouette ?
Oui, mais c’est tout le sens de la négociation, de la conformation à la République. C’est toute l’expression du génie social et politique.
Revenons à Touba. Je disais la semaine dernière qu’il existe forcément des points de négociation. De ralliement. Depuis, je me suis creusé les méninges et mise à l’écoute pour contribuer quelque chose au débat public. Et j’ai eu le bonheur d’entendre dimanche à la radio le Pr Abdou Salam Sall, ancien Recteur de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, qui soulignait, avec beaucoup d’à-propos, que Touba, devenue une grande belle cité moderne avait intérêt à investir dans la formation scientifique et technique de ses enfants pour entretenir et développer la ville et ne pas risquer de dépendre totalement d’étrangers demain.
Les enfants de la cité mouride et leurs chefs y ont investi vision, foi, milliards et modernité depuis quelques décennies. L’intangibilité des refus de l’école de la République, des forces de l’ordre républicain, de l’ordre politique républicain ne saurait être figée, dans la remuante proximité de ce modernisme technologique. A scruter…
C’est dans les aspirations intimes que se nichent les ressorts de la négociation.
Autre actualité, celle de l’université. Pas tant des derniers et récurrents soubresauts, conflits et revendications. Il y a bien longtemps que les bénéfices de ces conflits sociaux ne se voient plus et que le mécanisme de la grève a perdu de son autorité morale, de son ressort, de sa force politique et de son rendement social. Je m’interroge plutôt sur la culture citoyenne des étudiants.
Autant je peine à comprendre la ligne de gouvernance des autorités de l’Education supérieure dans la crise actuelle, autant les bourses doivent aller aux méritants et aux nécessiteux, autant j’aimerais voir enfin des étudiants pour qui il est logique de travailler, se donner de la peine, de l’ouvrage. Je veux parler de «petits boulots», soit qui payent, soit qui offrent une utilité publique.
Je ne me bercerai pas d’illusion. Les tensions actuelles trouveront leur issue, à leur rythme, d’une manière ou d’une autre. La transformation que j’appelle de mes vœux prendra probablement une génération. Le temps d’inculquer aux enfants du primaire– tous, issus de milieux aisés ou modestes- les vertus et joies du monnayer ses énergies, de créer de la contrepartie.
Ailleurs, des enfants d’une dizaine d’années vendent des journaux, des adolescents et adolescentes travaillent en restaurant pendant les vacances scolaires, vendent pour leurs parents. Les plus âgés ont 1001 possibilités, grâce à un surcroît de maturité et de connaissances. Etudiants, étudiantes de chez nous pourraient bien créer de la contrepartie pour soulager Etat, parents et tensions cycliques.