À QUOI JOUE OUMAR SARR ?
OBJET D’UNE INTERDICTION DE SORTIE, IL EST RENTRÉ DE MAURITANIE HIER
La République va avoir du mal à avaler la couleuvre. Le Maire de Dagana Oumar Sarr a défié l’interdiction de sortie dont il fait l’objet et s’est rendu en Mauritanie d’où il est rentré hier soir à 22 heures, par un vol de Sénégal Airlines. Si ce n’est pas de la provocation, ça y ressemble !
Le Lion de Dagana est manifestement un homme qui oublie d’avoir peur et qui aime relever les défis. Frappé d’une interdiction de sortie du territoire en même temps qu’une dizaine de dignitaires de l’ancien régime par le Procureur spécial près la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei) Alioune Ndao, dans le cadre de la traque des biens mal acquis, Oumar Sarr s’est rendu en Mauritanie par voie terrestre et est revenu au bercail hier soir par un vol de Sénégal Airlines. Les autorités de l’aéroport Léopold Sédar Senghor ont certainement cru avoir la berlue en le voyant débarquer, fier d’être passé à travers les mailles des filets.
Débordant de satisfaction, large sourire aux lèvres, entouré de Me El Hadji Amadou Sall, Doudou Wade, Tafsir Thioye, Ablaye Sow, Ngoné Ndoye, Aziz Diop, Fatou Thiam, Ndèye Gaye Cissé, Kansoumbaly Ndiaye, Mayoro Faye…, Oumar Sarr semblait heureux d’avoir réussi son coup : «Je viens de la Mauritanie par le vol Sénégal Airlines, j’ai pris l’avion à partir de Nouakchott pour revenir à Dakar. Comme vous le savez, j’aurais pu à partir de Nouakchott aller dans n’importe quelle ville du monde. On a voulu montrer par là que trop c’est trop. Nous ne sommes pas des gangsters et nous ne pouvons pas être interdits de sortie du territoire. Ce sont des mesures graves qui concernent un certain nombre de personnes.
«NOUS AVONS VOULU MONTRER QUE C’ETAIT UNE VASTE FARCE»
«Par ce procédé, nous avons voulu montrer que c’était une vaste farce parce que personne n’est jugé. La Cedeao a demandé en plus qu’on nous permette de sortir. La Cedeao, par une décision, l’a dit. Malgré cela, il y a cette lettre qui nous empêchait jusqu’à présent de sortir. J’ai voulu qu’on applique la décision de la Cedeao. Donc j’ai voyagé et utilisé Air Sénégal pour montrer qu’on peut voyager partout dans le monde et qu’il n’y a rien qu’on puisse nous interdire dans ce pays».
A la question de savoir s’il ne craint pas des poursuites judiciaire après l’acte qu’il vient de poser, l’édile de Dagana, affichant toujours un large sourire narquois, répond : «Mais quelle procédure judiciaire ? Je suis enfermé au Sénégal, on me dit de ne pas sortir du Sénégal, mon pays! D’ailleurs, je dois dire qu’après, il y aura beaucoup de procès contre le Sénégal parce qu’il y a un manque à gagner important pour nous qui installons des cabinets, qui avons des partenaires à l’étranger, un travail programmé… Il y aura des procès en cascade parce que quand même, c’est plus que du harcèlement, on nous a kidnappés dans notre pays. Là, nous avons montré que nous pouvions réellement aller où nous voulons», répète-t-il.
«KARIM AURAIT PU NE PAS ALLER EN PRISON»
Karim Wade, poursuit la star du jour, sous le regard admiratif de ses frères de parti, «aurait pu ne pas aller en prison. Il aurait pu aller dans n’importe quel pays, mais nous avons voulu respecter le droit au Sénégal. Mais trop c’est trop. Depuis plus de 8 mois, on nous a parqués au Sénégal. On nous empêche de vaquer à nos affaires et c’est vraiment une attaque intolérable notamment contre le Pds et ses responsables qui sont les premiers concernés».
A l’aller, explique-t-il, il a voyagé comme tout Sénégalais, avec un passeport et une carte d’identité. «J’aurais pu traverser à partir de Rosso, de Gayé, à partir de Bokhol. Je peux donner la liste de tous les passages que j’aurais pu utiliser», poursuit Oumar Sarr.
Des problèmes pour rentrer au Sénégal ? «Comment on peut me créer des problèmes pour rentrer dans mon pays», s’interroge-t-il ?
Avant l’intervention d’Oumar Sarr, Doudou Wade, comme un acteur qui tenait à bien interpréter sans faute son rôle, dans cette «pièce» destinée aux autorités, a pris la parole. Le gouvernement, rappelle-t-il, avait dit que les députés comme Oumar Sarr et autres ne sortiront pas du Sénégal et ils avaient soutenu urbi et orbi avoir pris toutes les dispositions pour qu’ils ne quittent pas le territoire national.
DOUDOU WADE : «ON A SUGGÉRÉ A OUMAR SARR DE REJOINDRE MACKY SALL AU QATAR, MAIS IL A DIT QU’IL N’ A PAS LE TEMPS»
«Nous avons voulu leur prouver que si nous voulons quitter le Sénégal, nous le faisons. L’Assemblée nationale avait jugé utile de lever les immunités parlementaires. Le ministre de la Justice arguait qu’on devait les retenir pour qu’ils ne sortent pas parce que s’ils sortaient, d’abord ils ne reviendraient pas, ensuite ils allaient effacer les preuves de leur culpabilité. Oumar Sarr est parti de Dagana où il était au Gamou samedi et dimanche. De là-bas, il est parti voir un film à Nouakchott et il est revenu. On lui avait même suggéré d’aller au Qatar participer à la réception de Macky Sall. Il a dit qu’il n’a pas le temps… Il est rentré de la Mauritanie et il est là avec ses bagages, pour montrer au ministre de la Justice et au gouvernement que nous pouvons aller où nous voulons. Ces interdictions de sortie sont des histoires. Nous voulons prouver que la France et les autres pays étrangers, ce n’est rien pour nous».
Au moment où l’édile de Dagana montait dans son véhicule 4X4, une jeune femme de teint clair, qui venait de le reconnaître, interroge, curieuse : «C’est qui ? Oumar Sarr ? Il était parti où».
Juste chez nos voisins…
CE QU’IL RISQUE - Oumar Sarr passible de poursuites pénales
Joint au téléphone pour un éclairage sur les sanctions prévues par la loi en l’espèce, un juriste explique qu’une interdiction est un acte. La personne qui passe outre viole l’ordre judiciaire. A partir de ce moment, elle est en infraction et toute personne en infraction s’expose à des poursuites judiciaires.
S’il est hors du pays, le contrevenant peut faire l’objet d’un mandat d’arrêt international. S’il revient sur le territoire, ordre peut être donné à la force publique d’aller le chercher et de l’arrêter. Quoi qu’il en soit, une personne qui brave une interdiction de sortie ou un contrôle judiciaire s’expose à toutes les conséquences prévues en droit. Le concerné est passible de poursuites pénales : il peut s’agir de peine de prison ou d’amende.
CONFIDENCES DE OUMAR SARR À DES FRÈRES DE PARTI - «On va me prendre et m’emmerder pendant 24heures ou 48 heures et après c’est fini»
Oumar Sarr est certes parvenu à se faufiler entre les mailles des filets des forces de sécurité pour se rendre à Nouakchott, mais il n’est pas pour autant sorti de l’auberge. Il s’y attend d’ailleurs et ne s’en cache pas outre mesure. Entouré des responsables du Pds, le maire de Dagana confie : «quand la presse sortira cela demain, on va me prendre et m’emmerder pendant 24heures ou 48 heures et après c’est fini. C’est un jeu. Ce n’est pas sérieux», peste-t-il devant Me El Hadj Amadou Sall qui s’est empressé de lui filer l’argument de droit : «Tu leur dis que tu as de la famille, tu étais allé leur rendre visite».
L’écroulement des nombreuses failles du système Macky
En se rendant en Mauritanie malgré l’interdiction de sortie du territoire qui pèse sur lui dans le cadre de l’enquête sur l’enrichissement illicite, Oumar Sarr a mis à nu l’inopportunité de la mesure prise par le Procureur spécial contre les dignitaires de l’ancien régime, mais surtout la carence de notre système de sécurité nationale. Sommes-nous vraiment en sécurité ? Si un homme public de l’envergure du coordonnateur du Pds parvient à passer entre les mailles du filet et voyager au nez et à la barbe des services de sécurité qui ont pourtant une bonne réputation, il y a lieu de se poser des questions sur notre sécurité en tant que citoyens. Il ne s’agit pas de cautionner l’acte que Oumar Sarr a posé en tant qu’homme politique, mais surtout de dire qu’un terroriste aurait pu réussir un tel coup dans ce contexte où le Sénégal est entouré d’un cercle de feu.
Dans une démocratie normale, un pays qui se respecte, de telles défaillances entraînent systématiquement des sanctions immédiates, remontant toute l’échelle des responsabilités. Des responsabilités allaient être situées et des sanctions prises pour éviter que notre pays ne serve de lit à des terroristes. Car il y a bien eu responsabilités dans cette affaire Oumar Sarr. En tant que député, donc titulaire d’un passeport diplomatique, Oumar Sarr aurait pu aller à Doha narguer Macky Sall, ou même se rendre aux Etats Unis solliciter un asile politique et y vivre avec la fille qu’elle a eue avec la Ministre de la Justice et continuer à narguer le gouvernement. Il a choisi d’aller voir un… film à Nouakchott. Ce qui démontre l’inopportunité des interdictions de sortie avec leur corollaire, les innombrables procès à la Cour de justice de la Cedeao qui écornent l’image de notre pays.
Abdoulaye Baldé, maire de Ziguinchor, Samuel Sarr et tous les autres auraient pu passer par la Gambie incognito et rejoindre l’Europe. Cela prouve à satiété que le gouvernement qui n’a cessé de ressasser des professions de foi au sujet de la traque des biens mal acquis ne prend pas au sérieux cette affaire et qu’il ne visait en réalité que Karim Wade. En définitive, rapatrier les biens mal acquis est une excellente chose, mais si elle se dévêtait de toute inclinaison politicienne, elle gagnerait non seulement en popularité, mais aussi en légitimité.