COQUINS LE JOUR, COPAINS LA NUIT
LE VOYAGE D'OUMAR SARR EN MAURITANIE ET LA QUESTION DE LA SÉCURITÉ NATIONALE
Quand Oumar Sarr, le coordonnateur désigné du Parti démocratique sénégalais (Pds) a « réussi » à se rendre en Mauritanie, en dépit de l’interdiction de sortie du territoire qui le frappe, lui et certains de ses « frères » de parti, presque tout le monde a dénoncé des failles au niveau de la sécurité des frontières du Sénégal.
Même les autorités de la République n'ont pas été en reste. C'est ainsi que le ministre de l’Intérieur, Pathé Seck, a reconnu que cette escapade pose un « problème grave » de sécurité nationale. La réaction du ministère de la Justice n’a pas non plus été des plus audacieuses, se contentant d'indiquer qu'il revenait au procureur de la Cour de répression de l’enrichissement illicite ( Crei) d’apprécier la suite à donner à la violation de la mesure d'interdiction qu'il avait signifiée au contrevenant.
Des hommes politiques se sont engouffrés dans la brèche avec notamment le Pds qui donne le sentiment de jubiler, tout heureux d'avoir réussi un coup de maître. Quant à Idrissa Seck, leader du parti Rewmi, un parti « NI-NI » (ni opposant, ni membre à part entière de la coalition au pouvoir), il dénonce des frontières « yu nasax » (frontières poreuses). Les autres partis qui se sont prononcé ont plutôt mis l’accent sur le droit de circulation des personnes et des biens qui devrait verser dans le domaine de la banalité.
Même du côté des médias, il a été mis en avant le fait que le coordonnateur du Pds a réussi à déjouer la surveillance policière.
D’ailleurs, faut-il le rappeler, le cas Oumar Sarr est loin d’être le premier de cette nature au Sénégal. Idrissa Seck qui fustige aujourd’hui la porosité de nos frontières, a-t-il oublié que lorsqu'il était en conflit avec l’ancien président Abdoulaye Wade et le gouvernement dirigé par le Premier ministre Macky Sall qui n'avait pas respecté les formes en lui signifiant une interdiction de sortie du territoire, se contentant de confisquer ses passeports (ordinaire et diplomatique), il s'était servi de sa carte d’identité nationale pour se rendre en Gambie et en Côte d’Ivoire, pays membres de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO).
A dire vrai, à suivre le débat en cours, on a l’impression que personne ne se pose la question réelle de la relation entre la sortie d’un pays et les problèmes de sécurité aux frontières.
Pourquoi un Etat dépenserait-il des sommes d’argent et des ressources humaines énormes pour contrôler le mouvement des personnes qui quittent son territoire ? Même les pays développés qui ont les moyens technologiques et financiers ne s'y résolvent pas encore.
Aux Etats-Unis par exemple, ce n’est que dans le cadre de la proposition de loi présentement en discussions au Congrès, qu'une réflexion est amorcée sur la possibilité de pouvoir contrôler les étrangers qui partent du pays à la fin de leur séjour. Lequel n’aurait pas pour objectif de prendre en charge des questions de sécurité nationale mais au contraire de vérifier si toutes les personnes qui entrent dans le pays sur la base d’un visa temporaire l'ont quitté dans les délais impartis. Sinon, comme le disait un de mes amis, « Aji dém amalu njarin lu bari », autrement dit, "celui qui est sur le départ ne me préoccupe plus à vrai dire"
Jusqu’aux évènements du 11 septembre 2001 qui ont vu la confiance qu’avaient les Américains en leur gouvernement à assurer leur sécurité intérieure s’effondrer brutalement, personne ne se souciait vraiment des passagers qui embarquaient des aéroports et ports des Etats-Unis d’Amérique pour d'autres cieux. La pratique qui, jusqu’à présent est en vigueur, est qu’un voyageur qui part des Etats-Unis ne s’adresse qu’aux responsables de la compagnie aérienne qui doit le transporter. Il leur retourne un formulaire (appelé I94) qui lui avait été remis à son arrivée pour lui signifier la durée du séjour accordée par les services de l’immigration.
D’ailleurs, ceux qui voyagent par la route vers le Canada par exemple, ne voient même pas l’ombre d’une police fédérale américaine. Il revient plutôt aux Canadiens de vérifier si ces derniers ont le droit de séjourner dans leurs pays. On imagine que c'est le même traitement qui est réservé aux personnes regagnant le Mexique à bord de leurs voitures.
Aussi, pouvons-nous évoquer le cas des pays européens de l'espace Schengen. Ceux qui transitent par Paris savent que s’ils ne sortent pas des aéroports Charles De Gaulle ou Orly, ils ne sont pas contraints de se présenter aux autorités sécuritaires françaises. Ils ont simplement tenus de prouver à la compagnie aérienne qui les transporte que leur pays de destination les acceptera et que leur titre de voyage est dûment payé. En plus, si le voyageur doit se rendre d’un « Schengen » à un autre il n’est contrôlé qu’une seule fois. Donc, pour les pays africains comme ceux des pays développés, qu’on ait les moyens de contrôle ou non, le voyageur qui sort du territoire pose toujours très peu de problèmes de sécurité nationale.
Revenons au cas du Sénégal et au voyage d'Oumar Sarr en Mauritanie. S’est-on posé la question de savoir combien de Sénégalais prennent-ils chaque mois, voire chaque semaine, la mer ou les fleuves et rivières, par pirogue ou par chalutier, pour se rendre dans les pays limitrophes, pour différentes raisons ? Penserait-on à demander aux forces de sécurité sénégalaises de poster des hommes et des femmes à chaque point d’embarcation des pêcheurs et autres voyageurs qui, soit prennent la mer dans le cadre de leurs activités quotidiennes, soit se rendent à une cérémonie familiale sur les deux rives du fleuve Sénégal ?
Voudrait-on dire que les pêcheurs sénégalais détenteurs de licence accordées par la Mauritanie, devraient être comptés, un à un, par la police des frontières, tous les jours, avant qu’ils ne prennent la mer ?
Cependant, ce principe général d’impossibilité d’une surveillance complète ne saurait dédouaner les forces de sécurité. Quand les personnes faisant l’objet d’interdiction sont au centre d’un dossier avec des enjeux si importants, il est incompréhensible que la police n’ait pas organisé une filature stricte pour s’assurer de leurs mouvements et contacts divers.
Si malgré leurs garanties de représentation qui est réelle, la justice estime devoir les retenir sur le territoire, il ne s’agit pas simplement d’éviter leur fuite mais aussi de veiller à ce qu'ils ne puissent pas bénéficier de la possibilité d’effacer des preuves et/ou d'initier des contacts pour brouiller les pistes. D’autant plus qu’avec le cas d' Alioune Aidara Sylla, accusé d’être le porteur de cash du Président Abdoulaye Wade et d’autres leaders du Pds, on sait que la plateforme qu'est Nouakchott semble jouer un rôle de premier plan dans les opérations financières menées par les hommes de l’ancienne équipe au pouvoir.
Dans les règles de l'art
La hiérarchie de la police oppose à cette critique un argument que l’on ne saurait écarter d’un revers de la main. Les patrons des renseignements ne se gênent pas de rappeler que le dossier de la traque des biens supposés mal acquis est malgré tout un conflit qui oppose des membres d’une famille politique dont les membres se connaissent très bien et entretiennent des relations suivies. Ces mêmes forces de sécurité ajoutent que leur travail n’est pas facilité par le fait que ceux qui sont poursuivis le jour sont les mêmes qui sont reçus la nuit et au plus haut niveau de l’Etat. Des sources, généralement bien informées, semblent accréditer la thèse de la police, en faisant cas de rencontres et autres conversations téléphoniques entre les hautes autorités de l’Etat et certains parmi les plus en vue des responsables frappés par cette interdiction de sortie du territoire. Comme qui dirait coquins la nuit, copains le jour.
Même si on ne peut rejeter d’un bloc ces justifications des policiers, il demeure que le traitement qui a été fait du retour d'Oumar Sarr à l’aéroport de Dakar pose un sérieux problème. Les responsables de la police eux-mêmes semblent concéder que tout n’a pas été fait dans les règles de l’art.
Les agents du ministère de l’Intérieur ne pouvaient pas ignorer que le patron, par délégation, du Pds, était frappé d’interdiction de sortie du territoire. Par conséquent, quel que soit ce que les uns et les autres pensent de la pertinence de cette interdiction, Oumar Sarr a commis une violation. Et c’est là ou intervient la culture de la confusion entretenue entre ce que la loi dit et ce que le fonctionnaire peut penser être la volonté du prince.
Et bonjour la politisation de l’application de la loi par ceux qui sont chargés de cette application, qui ne devraient pas se préoccuper outre mesure des conséquences politiques quand ils ne font qu’exercer ce pourquoi ils sont payés par le contribuable sénégalais.
Gageons que les nouvelles autorités, à la tête desquelles Macky Sall, auront le courage et la détermination de faire comprendre aux fonctionnaires chargés d’assurer la pérennité d’un Etat de Droit, que les fonctionnaires, dans tous les secteurs de la vie, devraient commencer à ne se préoccuper que de ce que la loi leur dicte de faire dans leur domaine de compétence.