LES DEUX VOIES DU BIEN ET DU MAL
LES DEUX VISAGES DE NIARY TALLY
Nombreux sont les chemins qui mènent à Niary Tally (deux chaussées en français), mais le rondpoint du Jet d’eau est un repère phare. Il suffit d’emprunter l’une des deux voies qui longent l’allée Cheikh Sidaty Aïdara, près de l’ancienne salle de cinéma Al Akbar devenue aujourd’hui l’église Universelle, pour se retrouver à Niary Tally. Bienvenue dans l’un des quartiers les plus célèbres de Dakar.
Situé dans la commune de Biscuiterie entre Grand-Dakar, Bopp et Bourguiba, Niary Tally est le coin préféré d’une frange importante de la population dakaroise. Toutes les ethnies du pays y sont représentées.
Les nationalités y sont également diverses, car on retrouve en ces lieux, des ressortissants entre autres, des deux Guinées de l’Afrique de l’Ouest, du Mali, de la Mauritanie, du Tchad, pour ne citer que ces pays. Ce qui fait que la notion de melting pot est ici une réalité vécue au quotidien.
Niary Tally est à l’image des autres quartiers populaires de la capitale. La vie y est animée et l’activité économique intense. Une pléthore de petits commerçants aux étalages modestes vaquent à leurs diverses occupations. Cette masse énorme de gagne-petit fleurissent les coins et recoins de ce quartier populaire. Du vendeur de chaussures d’occasion retapées au gargotier en passant par le vendeur de café, chacun y trouve son compte.
En période estivale, le soleil chauffe comme il se doit à midi, ce qui fait l’affaire des vendeurs d’eau fraîche en sachets. Dans l’allée arborée qui sépare les deux voies, les enfants profitent des vacances à leur manière : ils viennent louer un vélo ou un scooter pour faire des tours dans l’enceinte du terre-plein. D’autres, plus expérimentés, choisissent la formule chronométrée, qui offre la possibilité de sortir de l’espace arborée, pour s’aventurer sur la chaussée.
Un riverain explique : "Beaucoup de jeunes du quartier ont appris à rouler en moto dans ce jardin et je suis tombé plusieurs fois ici." Dans le même jardin, des vieux se regroupent au niveau du fameux Grand’place pour jouer à la carte ou aux dames. Des écoles coraniques sont implantées, ainsi que des espaces de prières dont certains peuvent rivaliser avec des mosquées en dur.
Le siège de l’équipe de football de Niary Tally se situe aussi dans ce jardin de détente. C’est une petite construction qui ressemble plus à une cabane, et dont les murs sont tapissés aux couleurs de l’équipe, exhibant le drapeau du club, qui est en bleu, blanc et rouge.
"Door doraat !" ou la devise des vainqueurs
L’équipe de football de Niary Tally fait la fierté de tous les habitants du quartier et même au-delà. Jadis classée dans le championnat d’hivernage, plus connu sous le nom des navétanes, cette équipe a su se hisser dans la cour des grands et fait partie aujourd’hui des formations les plus importantes sur le plan national.
Niary Tally est en effet, l’un des ténors du championnat sénégalais de Ligue 1, et c’est qui justifie en partie son expansion dans d’autres quartiers comme GrandDakar et Biscuiterie. Actuellement, il serait plus juste de désigner l’équipe par le sigle Ngb, pour marquer cette expansion physique et en ressources. Pour y arriver, le chemin n’a pas été facile du tout.
Cependant, la philosophie du Door doraat (battre et battre encore) est passée par là et les jeunes de Niary Tally s’imposent la victoire en toutes circonstances. Cela a véritablement galvanisé l’équipe de foot qui, à un moment donné, faisait des ravages lors des navétanes. Un jeune de Niary Tally confirme un tel état d’esprit : "On cherche l’excellence dans tous les domaines, parce qu’on veut toujours faire la fierté de Niary Tally et nous démarquer des autres."
Aux origines du fameux nom
Niary Tally ! Rien de plus bidon comme nom, s’exclameront certainement quelques observateurs. Mais, il vaut mieux chercher à en connaître l’origine afin de mieux comprendre. Ousmane Guèye, le délégué le plus réputé du quartier (il y a plusieurs délégués de quartier à Niary Tally), revient sur l’origine du nom :
"Les gens ont appelé ce quartier Niary Tally d’abord en rapport avec les deux voies de la chaussée. Les gens n’ont pas cherché loin et depuis lors c’est comme ça. C’est comme Ben tally, qui est parallèle à la rue. Par contraste !"
M. Gueye explique par ailleurs que sa zone est l’un des quartiers les plus vieux de Dakar, puisque les premières résidences datent des années 1930. Il poursuit ses explications : "Niary Tally est issu de Grand-Dakar qui est lui-même dérivé de Médina, car à chaque fois qu’un quartier était plein, les nouveaux venus étaient logés dans de nouvelles zones."
Un quartier entre maux et bénédictions
Niary Tally a la malheureuse réputation d’être un refuge de brigands et de délinquants. Nombreux sont en effet les Dakarois qui n’osent pas s’aventurer dans ce quartier, surtout à des heures tardives de la nuit. Les agresseurs, vendeurs de drogues, violeurs et autres malfaiteurs qui rôderaient aux alentours du quartier seraient la cause de l’épouvante ainsi créée.
Sous ce rapport, Ousmane Guèye tient à préciser : "Niary Tally est étiqueté comme l’un des quartiers les plus chauds de la capitale et la raison en est simple : il y avait à l’époque trois salles de cinéma dans les environs, à savoir le cinéma Al Akbar, Liberté et El Mansour. C’était le fameux Dakar by night et quand on voulait prendre du
plaisir et s’éclater, il n’y avait pas mieux car on y trouvait du tout. Mais avec le temps, les gens ont adopté une attitude plus modérée." La fermeture du cinéma Al Akbar y est certainement pour quelque chose dans la mesure où, cette salle fut le repère privilégié des délinquants du coin. La promiscuité notée dans la plupart des domiciles à Niary Tally n’arrange pas cette situation d’insécurité.
Dans certaines habitations, les résidents sont tellement nombreux qu’ils ne peuvent pas dormir tous au même moment. Dès lors, passer la nuit à la belle étoile reste l’une des plus grandes alternatives pour ceux qui n’ont pas de place à l’intérieur de la maison. Et quand on s’expose dans la rue de cette façon, on ne sait jamais à quoi s’attendre véritablement. L’exode rural est aussi une autre explication qu’on peut donner au banditisme qui sévit à Niary Tally.
Beaucoup de villageois quittent leur village en rêvant d’un avenir radieux à la capitale. Le désespoir qu’entraîne la perte de cette illusion est souvent tellement grand que la plupart de ces jeunes n’hésitent pas longtemps avant d’intégrer les bandes de malfrats qui entretiennent la terreur dans le quartier.
Cette situation d’insécurité contraste à bien des égards avec la contribution de Niary Tally à l’enrichissement du patrimoine national. Car il y a lieu de rappeler que ce quartier a produit des personnalités modèles dans divers domaines d’activités. En effet, des hommes et des femmes de valeur, dotés d’un potentiel intellectuel et artistique inestimable, ont vu le jour dans ce coin de Dakar. Le délégué de quartier Ousmane Guèye le confirme d’ailleurs avec force.
A cet effet, il affirme avec fierté : "A Niary Tally, on retrouve de grands hommes. Vous ne pouvez pas citer cinq hautes personnalités de la ville sans qu’il y ait une qui ne soit originaire d’ici. Que ce soit dans le sport, le théâtre, le cinéma ou l’art, on compte beaucoup de célébrités qui viennent de Niary Tally." M. Guèye précise que son fief est un havre d’artistes et de musiciens. "Beaucoup de groupes de théâtre et de musiciens ont vu le jour chez nous", confie-t-il.
Le problème scolaire
De manière générale, la majorité des enfants de Niary Tally en âge d’aller à l’école fréquentent les cours. Seulement, la grande interrogation c’est jusqu’à quand ces enfants restent-ils à l’école ? La déperdition scolaire apparaît dès lors comme l’obstacle majeur à l’éducation des plus petits. Cette déperdition est favorisée par un phénomène qui trouve son explication dans l’implantation massive des charretiers près du grand terrain de football de Niary Tally.
A ce propos, M. Guèye déplore l’attitude des cochers qui proposent aux enfants de conduire une charrette en échange d’un peu d’argent. Il explique ainsi : "A leur descente de l’école, les enfants se hâtent pour déposer leur sac à la maison et aller retrouver les charretiers qui leur offrent une pièce de 100 francs pour chaque course réalisée."
Le délégué de quartier dénonce foncièrement cet abus dont les enfants sont victimes et lance un appel aux parents qui doivent être plus vigilants dans la surveillance de leur progéniture.
Par ailleurs, le manque de moyens est également un frein à la scolarisation dans ce quartier où beaucoup de familles n’arrivent pas à joindre les deux bouts. Ainsi, certains jeunes abandonnent les études pour la simple raison qu’ils n’ont personne pour les assister financièrement. Et cet abandon se vit souvent avec beaucoup de regrets.
La vie culturelle
Les rues auxquelles on a attribué les noms d’ethnies du Sénégal et de la sous-région renseignent amplement sur l’existence d’un brassage culturel dans ce quartier populaire. Les rues Bambara, Socé et Diola illustrent parfaitement la diversité des communautés présentes à Niary Tally. Cela ne manque pas d’avoir un impact sur l’état d’esprit des habitants, qui se côtoient en permanence.
L’acceptation de l’autre avec toutes ses particularités est en effet indispensable si l’on espère vivre en paix à Niary Tally. Une véritable harmonie règne entre les groupes culturels et cela n’empêche pas à chaque communauté de perpétuer ses us et coutumes, dans le strict respect des normes de bon voisinage. Et pour preuve, des séances de mbapatt (lutte sans frappe) sont régulièrement organisées par les Sérères et les Diolas.
Ces galas de lutte sont des moments forts dans l’animation du quartier car hommes, femmes, jeunes et personnes âgées se retrouvent à ces occasions pour renouer avec la tradition. Les sabar (cérémonies de danses traditionnelles au rythme du tam-tam) qui sont généralement l’œuvre des Wolofs se joignent aussi à la vie culturelle de Niary Tally.
Il en est de même pour les fameux simb (jeu de faux lions) qui du reste, nécessitent une permission explicite de la police pour éviter tout débordement. Bref, le brassage culturel est une réalité ancrée dans la conscience collective des habitants de Niary Tally.
Ousmane Guèye : un délégué de quartier exemplaire
De taille élancée et de teint clair, Ousmane Guèye a franchi la barre de la soixantaine, et pourtant il paraît beaucoup plus jeune que son âge. Ancien fonctionnaire de la Caisse de sécurité sociale à la retraite, M. Guèye est actuellement le président de la mosquée de Niary Tally, ce qui peut être d’ailleurs perçu comme la preuve qu’il jouit du respect de ses pairs.
Il revient un peu sur toutes ces années passées dans ce quartier : "je vis à Niary Tally depuis 1964 et je suis très satisfait de ce choix. Rien ne m’impressionne ici car j’en ai vu de toutes les couleurs. J’ai connu des gens exemplaires comme j’en ai connu d’autres aussi, qu’il ne faut surtout pas fréquenter. Il y a beaucoup de gens qui sont plus vieux que moi et c’est pourquoi j’assume le rôle de délégué de quartier en toute humilité."
Son passage au département des ressources humaines de la Caisse de sécurité sociale a contribué à raffermir davantage les liens avec ses voisins du quartier. M. Guèye confirme cet état de fait lorsqu’il déclare :
"Au bureau des Ressources humaines, j’ai appris à écouter et à voir de manière attentionnée. Et si beaucoup de personnes sont habituées à ma personne à Niary Tally, c’est en partie grâce au fait qu’elles me retrouvaient à la caisse pour régler leurs problèmes d’allocations familiales."
Selon Ousmane Guèye, la fonction de délégué est naturelle pour lui, car étant juste une sorte de suite logique aux services qu’il a l’habitude de rendre à ses pairs du même quartier. En ce sens, il clarifie en toute modestie : "Je considère que c’est tout simplement naturel car je n’ai ni la carrure ni l’âge idéal pour être délégué de quartier, d’autant que je cohabite avec mes aînés qui sont plus habilités à supporter cette charge."
En outre, le délégué de quartier le plus populaire de Niary Tally reconnaît que la charge de délégué n’est pas sans difficultés. En effet, il y a souvent des situations complexes auxquelles il faut faire face dans le secret absolu. C’est le cas par exemple lorsqu’un voisin ou un simple habitant du quartier vient solliciter une aide pour pouvoir subvenir aux dépenses quotidiennes et nourrir sa famille.
"Tout juste ce matin, un homme est venu me voir et il m’a expliqué qu’il n’est pas un mendiant, mais qu’il avait juste besoin de quoi assurer le déjeuner à sa famille. Comment peut-on rester indifférent face à une telle requête ? J’aide les gens en fonction de mes modestes moyens et si toutefois je suis fauché, c’est ma chère épouse Adji qui vient à la rescousse", conclue-t-il, le visage plein d’allégresse.