LES ÉQUATIONS DE MACKY

L’université, l’opposition et le procès de Karim Wade, sont autant d’écueils qui font des vacances gouvernementales un "Sall" temps. Voilà qui donne une idée du ton musclé que Macky Sall a adopté. C’est une ligne, somme toute, payante !
Il y a une chose que nous ne saurons, sans doute, jamais : pourquoi les chefs d’Etat durcissent le ton quand le commun des mortels s’attend à un discours plutôt mielleux ? Macky Sall a sacrifié à cette tradition. Sitôt revenu de son séjour aux Usa, puis de l’Hexagone, au lendemain de la mort de l’étudiant Bassirou Faye, le président de la République a sombré dans une ligne de défense fielleuse. Il s’est attaqué à l’opposition qui, de bonne guerre, cherche à faire fortune dans la crise estudiantine. Il y a, apparemment, une sorte de code de conduite pour chef d’Etat qui commande, en pareille circonstance, d’élever le ton et de se faire menaçant.
Macky n’a pas dérogé à la règle. Il a accusé "des gens tapis dans l’ombre". Naturellement, tous ont pensé à Me Wade et à Idrissa Seck. Tous les deux ont reçu les étudiants. Wade qui se glorifie tout le temps d’avoir généralisé la bourse, s’en est donné à cœur joie contre la gouvernance de Macky.
En vérité, le chef de l’Etat n’a pas totalement tort de durcir le ton. D’abord, dans cette fermeté, il y a une volonté d’affirmer l’existence d’un chef dans le pays. Et surtout d’ériger des remparts contre le laisser-aller. Quiconque aurait été à la place de Macky Sall aurait, sûrement, déroulé un tel discours. Cela permet au chef de l’Etat de prendre, pour un temps, de l’ascendant sur la série d’équations qui se dressent sur son chemin.
Symphonie
Sur le front purement politique, les deux ex-compagnons au sommet de l’Etat, Wade et Idrissa Seck, avaient commencé à exécuter une étrange symphonie. Tout donnait à croire que l’ancien chef de l’Etat et son ex-Premier ministre, se sont accordés pour mettre Macky Sall dans un cercle de feu. Une hypothèse bien probable, d’autant que les cancans annonçaient une rencontre au sommet dans le secret douillet des chambres d’hôtel à l’étranger, entre les deux hommes.
Sitôt revenu de son séjour de six mois à l’étranger, le 20 avril dernier, Idy déroule un discours fort pimenté à l’endroit des tenants du pouvoir, à l’aéroport. Il démonte la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei) au sujet de laquelle il forcera, plus tard, la dérision en comparant la sonorité de cette juridiction à un cri de guerre. Puis il ouvre la boîte de Pandore. "Si Macky Sall avait épargné la totalité des salaires de sa vie professionnelle que nous lui connaissons, de Petrosen à l’Assemblée nationale, cela ne ferait pas un milliard. Cela n’expliquerait pas le patrimoine qu’il nous a déclaré. Traque pour traque, pourquoi il ne serait pas traqué pour enrichissement illicite ?" lance-t-il en direction du chef de l’Etat.
Et comme s’il soupçonnait le parti-pris, le maire enchaîne : "Le symbole de la Justice c’est la balance." Mara finit par lever l’équivoque : "L’implication de l’Exécutif dans ce dossier est patente. Ce n’est pas acceptable."
Au sujet du retour mouvementé de Wade, Idy donne sa langue à un… Camerounais. "Dites à Macky Sall que les Africains sont choqués par le traitement qu’il a réservé à Abdoulaye Wade. Quoi qu’il ait fait, l’ingratitude qu’il manifeste à son endroit nous choque, en tant qu’Africains", rapporte-t-il des propos de ce Camerounais "indigné".
Dans la même foulée offensive, Idrissa Seck dit constater la carence et l’incapacité du régime de Macky Sall à prendre en charge les préoccupations des Sénégalais. "En deux ans, le président Macky Sall n’a même pas commencé à peindre les chantiers laissés par son prédécesseur. S’il dit qu’il va développer le Sénégal, cela pose problème", prévient-il, traitant la réunion du Club de Paris sur le Plan Sénégal émergent de "cirque à coups de centaines de millions, pour célébrer une vision achetée à un cabinet privé, à coups de milliards".
Il n’en fallait pas plus pour enflammer une classe politique jusque-là terne et permettre à Idrissa Seck de faire figure de véritable super star. Surtout lorsqu’il soulève le sujet pudique de la famille. Là, le maire de Thiès coule dans une dérive inouïe. "Nous avons combattu l’implication de la famille dans la sphère de l’Etat et de la politique ; aujourd’hui c’est pire, puisque c’est la famille, la belle-famille, les amis. Vous avez le frère, l’oncle, le beau-frère, tous envahissent l’espace politique. C’est cela d’ailleurs qui fait dire aux Sénégalais qu’il y a une dynastie Faye-Sall, des noms de Macky et de son épouse", flagelle-t-il.
Et puis, bien au fait que l’arme de séduction numéro un est le regard, Idy s’est incontestablement attiré le flash turquoise d’une bonne partie de la classe politique porteuse des Assises nationales et du rapport de la Commission nationale de réforme des institutions (Cnri). "Macky Sall est encore assis sur les conclusions des assises nationales et le rapport de la Commission nationale de la réforme des institutions", déplore-t-il. Mara se fait plus saignant en mettant le doigt sur une affaire sensible comme les recettes fiscales qui accusent, semble-t-il, une performance bien modeste. Ce qui lui inspire l’ironie de la difficulté pour Macky Sall à trouver le prix de la peinture des chantiers de Thiès.
Opposition en bloc
L’acte II de cette offensive se précise lorsque l’ancien Premier ministre met en place la CA 2017. Il s’agit d’une plateforme politique destinée à limiter à un seul mandat le magistère de Macky Sall. "J’ai lancé une initiative pour mettre en place une plateforme entre tous nos élus, les présidents de conseils départementaux, les maires, les leaders politiques et les membres de la société civile qui le désirent pour que nous puissions ensemble nous pencher sur la gouvernance locale, promouvoir leurs candidatures à la tête des associations des élus locaux, mais aussi tirer les conclusions positives de notre unité victorieuse à l’issue du scrutin local du 29 juillet pour nous assurer des échéances à venir", a-t-il plaidé.
Moubarak Lô, l’ancien collaborateur du chef de l’Etat, a dit oui à Idy. Il a adhéré avec fracas à la coalition. Le patron d’Aj/Pads, Mamadou Diop Decroix, aussi. Une coalition anti-Macky se met donc en place. Le Parti démocratique sénégalais n’y a pas formellement adhéré. D’ailleurs son chef, Me Wade, a tenté de dissuader Decroix en lui faisant croire que Mara ne cédera jamais le fauteuil de leader de cette alliance.
Chaudière
L’autre équation qui hante le pouvoir est l’université. C’est une des bombes sociales les plus dévastatrices. On dénombre aujourd’hui près de 100.000 étudiants précarisés par une situation intenable. Une chaudière en constante ébullition. Personne n’a compris pourquoi Mary Teuw Niane est resté dans le "Macky III". Les violentes manifestations qui ont secoué le campus universitaire de Dakar, le 21 mai dernier, auraient dû normalement emporter le ministre de l’Enseignement supérieur. Ce jour-là, pour protester contre le retard de 10 mois lié au paiement des bourses et pour le "master pour tous", les étudiants ont littéralement saccagés le Centre des œuvres universitaires de Dakar (Coud). Le spectacle a ému plus d’un. Car le Directeur général du Coud, promu ministre, s’est employé à révolutionner le campus social durant sa gestion.
L’image des murs sauvagement tapissés appartient au passé. Il en est de même de la cantinisation anarchique qui avait fini de faire du campus un immense marché à ciel ouvert. A l’université Gaston Berger de Saint-Louis, les étudiants, dépités et de guerre lasse, quittent le campus après avoir attendu pendant 6 mois leur bourse. A Ziguinchor, ce sont les cours virtuels qui se sont plantés quelque part, alors que le vent frais de l’hivernage fouette les visages.
Le ministre de l’Enseignement supérieur sert un discours musclé, parle de vaste magouille dans les bourses et met le campus de Dakar sous coupe réglée des forces de l’ordre. Partout on attend que Mary Teuw Niane jette l’éponge comme le lui demandent légitimement les étudiants et le Syndicat autonome des enseignants du supérieur (Saes).
Grenade dégoupillée
La troisième équation du pouvoir est le procès Karim Wade et compagnie. Ouverte il y a un mois, l’affaire du fils de l’ancien président de la République traîne encore dans un méandre inextricable des exceptions. Il fallait, sans doute, s’y attendre. Mais le choix opéré par la défense de glisser les souliers dans la boue du "débat préliminaire" n’arrange nullement le pouvoir. Le Pds, habitué aux bagarres de rue, sait le profit qu’il y a à tirer d’une telle affaire. Marches, meetings, déclarations fracassantes du genre proférées par l’ancien ministre Samuel Sarr vont anesthésier le climat politique.
Dans une telle atmosphère, quel chef d’Etat opterait pour le discours conciliant sans avoir rappelé que c’est bien l’élu du peuple ?