PEINE DE MORT CONTRE LA CRIMINALITÉ, UN REMÈDE DE NUL EFFET
« Mettre à mort un meurtrier est une punition sans commune mesure avec le crime qu’il a commis », F. Dostoïevski
« La France a peur ! ». La phrase de Roger Gicquel au JT de TF1, en 1976, traduisait le climat de frayeur qui s’est emparé de toute la France de l’époque, à cause de la recrudescence des meurtres d’enfants. Ces faits divers fortement médiatisés ont poussé l’opinion française traumatisée, à exiger l’application stricte de la peine capitale, tombée en désuétude depuis des années. C’est dans cette atmosphère anxiogène que fut jugé Christian Ranucci, pour le meurtre d’une jeune fille de huit ans, Marie-Dolorès Rambla. Quand la sentence tombe, elle épouse l’attente fortement exprimée par l’opinion. Le jeune homme est condamné à la peine capitale.
L’issue du verdict ne fait pas mystère de la volonté des pouvoirs, politique et judiciaire de l’époque, d’apaiser une population terrifiée par l’inflation des crimes crapuleux. Une fois la passion du procès retombée, l’opinion découvre enfin le lourd fardeau qui pèse sur sa conscience, à cause des zones d’ombres entachant la culpabilité proclamée de Ranucci. Le peuple animé aux premières heures par un esprit de vengeance, constate avec effarement que l’action de la guillotine est irréversible. Des innocents peuvent être conduits à la potence, sans qu’il y ait possibilité de réparer les erreurs. Le feuilleton judiciaire dit « l’affaire du pull over rouge » a ravivé le débat sur la peine de mort en France, jusqu’à son abolition en 1981.
Au Sénégal, c’est ce climat criminogène qui remet sur la table l’option de la restauration de ce châtiment suprême. Face aux meurtres fréquents relayés par les médias, les députés proposent la peine capitale comme panacée. « Seule l’application de la peine de mort peut freiner la progression fulgurante de la criminalité au Sénégal », soutient le député Seydina Fall, initiateur de cette proposition de loi. Il est appuyé dans sa démarche par d’autres collègues. C’est le cas de Imam Mbaye Niang, qui appelle à l’application de la loi divine. Il demande que le droit de grâce soit retiré au président pour ce genre de délit. « Je soutiens cette loi parce que c’est une recommandation divine. C’est un apostat pour tout musulman de s’opposer à cette loi », prêche-t-il.
Mais l’argument frelaté de la religion, servi par le député pour soutenir la peine de mort, est ridicule. Il remet en cause la laïcité, l’un des principes fondamentaux de notre constitution. Même si le Sénégal compte majoritairement des musulmans, le peuple, dans son écrasante majorité, a choisi la laïcité comme volonté de vie commune. Ensuite, la proposition relève plus d’une démarche populiste que d’une réponse sérieuse à la criminalité. Lors du vote du budget du Ministère de l’Intérieur, peu nombreux sont les députés ayant appelé au renforcement des moyens de la police et de la gendarmerie, pour traquer les malfrats qui écument les quartiers dakarois.
De même, l’argument des députés présente des contradictions insolubles. Qu’ont-ils fait pour dépouiller nos textes des dispositions contraires à la loi islamique ? Une société qui donne une caution légale à la prostitution peut-elle valablement se prévaloir de principes religieux ? La charia ne se compartimente pas. C’est une totalité. Pourquoi Imam Mbaye Niang (soit dit en passant, il en est à sa deuxième législature) n’introduit-il pas une proposition de loi modifiant l’administration des peines aux voleurs, aux violeurs, aux fornicateurs, aux buveurs d’alcool ? Pourtant, la position de l’Islam sur ces questions est sans équivoque. A l’image de la peine de mort pour les criminels, des châtiments sont prévus par l’Islam pour ces types d’infracteurs. Une loi religieuse suppose que nous soyons d’abord dans une société religieuse. Or, aucun des règlements et lois régissant notre législation ne trouve ses fondements dans la source islamique. Même si la charia se manifeste dans notre manière de vivre à travers le mariage, le divorce ou l’héritage, elle est toujours complétée par le droit positif pour revêtir le caractère légal. Il faut donc régler le préalable d’une société islamique, avant d’épouser une sanction de cette nature au nom de la religion.
Méprise
La restauration de la peine de mort est une fausse solution au vrai problème de la criminalité. Pour agir sur un phénomène, il faut s’attaquer à ses causes. D’après Amnesty International, l’enquête la plus récente concernant l’ influence exercée par la peine capitale sur les taux d’homicides, menée pour les Nations unies en 1988 et mise à jour en 2002, se conclut en ces termes : « il n’est pas prudent d’accréditer l’hypothèse selon laquelle la peine capitale aurait un effet légèrement plus dissuasif en matière de criminalité, que la menace et l’application de la peine, censément moins sévère, de réclusion à perpétuité ».
Pour étayer cette thèse, les Nations unies évoquent les taux de criminalité enregistrés dans les pays abolitionnistes. Ces statistiques n’indiquent aucunement que l’abolition puisse avoir des effets préjudiciables. C’est le cas du Canada où le taux d’homicides pour 100 000 habitants est passé du chiffre record de 3,09 en 1975 (un an avant l’abolition de la peine de mort pour le meurtre) à 2,41 en 1980, et a continué de diminuer depuis lors. Toujours, poursuit le rapport de l’Onu : « en 2003, soit vingt-sept ans après l’abolition de la peine capitale, le taux d’homicides dans ce pays était de 1,73 pour 100 000 habitants, ce qui représente une baisse de 44 % par rapport à 1975 ».
Au Sénégal, par défaut de statistiques, aucune source sérieuse ne renseigne sur l’évolution de la criminalité depuis l’abolition de la loi en 2004. Tout le monde se fie au traitement médiatique donné à ces faits divers. Même le sociologue Djiby Diakhaté fait foi à cette illusion de la transparence. Or, ces « statistiques médiatiques » ne sauraient en aucun cas donner une idée valable de la réalité criminelle. Un sociologue qui se respecte prend d’abord la peine de consulter des études sur le sujet ou de les réaliser, avant de prendre position.
L’étude des causes efficientes de la criminalité permettrait de trouver une solution à ce mal social. C’est ce que s’est évertué à faire le criminologue Maurice Cusson, enseignant-chercheur de l’Université de Montréal. Dans son livre Croissance et décroissance du crime, il prend à rebours la thèse de Diakhaté, selon laquelle « la peine de mort a un effet dissuasif sur les criminels ». D’après le Professeur : « l’effet dissuasif de la peine est tellement faible qu’on peut le tenir pour quantité négligeable. De manière générale, les fluctuations de la peine n’auront, à toutes fins utiles, aucune incidence sur la criminalité ».
Iniquité
Avec cet esprit de vengeance qui sous-tend le vote de cette loi, son application conduirait à une iniquité sociale grave. Le privilège dont bénéficient les Sénégalais de « noble naissance » devant la justice, devrait inviter les défenseurs acharnés de cette loi, à la prudence. Dans l’application de la peine capitale, seuls les gens du peuple subiront la rigueur de cette loi, comme il est de coutume dans les autres affaires. Les criminels seront exécutés ou condamnés à la peine capitale, en fonction de leur catégorie sociale. Aucun peloton d’exécution n’oserait ouvrir le feu sur un membre d‘une grande famille religieuse de ce pays ou d’une personne « bien née ». Dans les pays les plus démocratiques (États-Unis) ou religieux (Arabie Saoudite), la peine de mort donne lieu à une discrimination sociale épouvantable. Pour le premier pays cité, la minorité noire subit l’injustice de leur système judiciaire. Si cette loi venait à être restaurée, une haute personnalité comme Cheikh Béthio Thioune serait assurée d’obtenir un non-lieu pour le double meurtre qui lui est reproché. L’affaire Khadim Bousso éclaire parfaitement cette réalité. Jusqu’à présent, l’ancien Premier ministre Idrissa Seck, ne rate aucune occasion pour faire une dénégation circonstanciée sur son implication dans le suicide du dignitaire religieux.
Durant toute l’histoire du Sénégal, seules deux personnes ont été exécutées. Il s’agit de Moustapha Lô, qui a attenté à la vie du président Léopold Sédar Senghor et d’Abdou Ndaffa Faye, meurtrier de Demba Diop, un dignitaire socialiste. Il est donc évident que la peine de mort n’a été appliquée que pour des cas de meurtres politiques. Depuis, la loi est tombée dans une sorte d’abolition de jure. Au regard de ce constat, la corrélation faite entre l’abrogation de la loi et le taux élevé de criminalité est une volonté manifeste de tromper l’opinion.
Erreur judiciaire
L’application de cette loi présente de graves risques d’exécuter des innocents. Selon Amnesty International : « Depuis 1973, aux États-Unis, 122 condamnés à mort ont été remis en liberté après que la preuve de leur innocence eut été apportée ». Pour ces cas, certains condamnés ont échappé de justesse à leur exécution, après avoir passé des années sous le coup d’une condamnation à mort. Mais, ils sont plus chanceux que leurs codétenus envoyés à la mort, alors que subsistaient de sérieux doutes sur leur culpabilité. Au pays de l’Oncle Sam, des erreurs judiciaires ayant conduit des innocents à l’échafaud sont légion. C’est le cas de Todd Willingham, accusé d’avoir volontairement mis le feu à sa maison. Drame où ses trois enfants périront. Il a été exécuté en 2004, à l’âge de 36 ans, après 12 années passées dans le couloir de la mort.
Mais, en 2009, les conclusions préliminaires d’une commission d’enquête sur la justice attestent que ce condamné à mort, exécuté, était innocent. C’est aussi le cas de Troy Davis qui a été exécuté en septembre 2012 dans l’État de Géorgie. Malgré la déferlante médiatique, Troy a reçu des injonctions létales. Or, le dossier d’accusation présente des faiblesses terribles, notamment l’absence de traces d’ADN, l’arme du crime n’a pas été retrouvée en sa possession. Sur les neuf témoignages, sept témoins se sont rétractés. Il n’empêche, après 22 ans d’attente Troy n’échappera pas à sa… noire condition.
Au moment où tout crie l’urgence dans ce pays, nos députés devraient s’intéresser à des lois plus utiles, plutôt que de plonger l’opinion dans une spirale de lois polémiques de cette nature, ou celle Ezzan. Le pays n’a pas besoin de députés qui flattent les bas instincts du peuple, pour donner l’illusion de servir à quelque chose. La rupture c’est aussi cela.