OMAR BLONDIN DIOP : APOLOGIE !
EXCLUSIF SenePlus : Témoignage d'un de ses trois compagnons de "l'odyssée che guévariste" dans les camps de Fedayeen palestiniens et ceux des guérilléros erythréens
Omar Blondin Diop, Apologie ! SenePlus publie en exclusivité ce texte d'Alymana Bathily écrit pour être lu lors de la cérémonie commémorative du 40eme anniversaire de l’assassinat de Oumar Diop Blondin. Alymana Bathily a été l'un des trois compagnons d'Omar Blondin lors de "l'odyssée che guévariste" dans les camps de Fedayeen palestiniens et ceux des guérilléros erythréens. Ensemble, ils ont fréquenté les Black Panthers, en quête de la «pratique révolutionnaire »
«Il souffrait dans sa chair : vivant, il ne fut pas une heure sans risquer de se perdre ; mort il court un danger pire encore : pour lui faire payer sa clairvoyance, une conjuration d’infirmes prétendit l’escamoter…. Chez Nizan, ce qui ne variait pas, c’était son extrémisme : il fallait en tous cas renier l’ordre établi…Nizan n’aimait pas les règles, il n’aimait pas l’Ecole Normale, cette institution comique et odieuse à ses yeux… »
Je cite si longuement cette apologie de Nizan par Jean Paul Sartre parce que tout Omar Diop Blondin et son destin se trouvent dans ce texte de 1960, préface au pamphlet Eden Arabie.
Non seulement Omar et Nizan ont en commun d’avoir été des sujets brillants de l’Ecole Normale Supérieure de Paris mais ils ont partagé cette espèce de fulgurance de l’intelligence politique qui fit que Nizan se désengagea du Parti Communiste Français dés 1939 et que Omar passa à travers toutes les chapelles des gauches françaises et sénégalaises des années 1960 , du Mouvement du 22 Mars qui était à la pointe du Mai 68 de Paris, au PAI/MPAI, du Parti Communiste Sénégalais au groupuscules maoïstes de Dakar, à l’International Situationniste…Il vivait totalement chacun de ses engagements sans se laisser embrigader par aucun…
Il avait un profond mépris par ceux qu’il appelait «les petits chefs» qui essayaient déjà de contrôler les mouvements et de s’imposer à la tête des partis…. C’est que Omar, comme Nizan, selon Sartre, «n’aimait pas les règles», allant jusqu’à avoir le projet, de subvertir l’Ecole et l’Université, lui le Normalien, produit le plus achevé de l’Université française …
J’ai connu Omar au cours des AG fiévreuses qui réunissaient les élèves dont j’étais avec les étudiants dont lui qui venant d’être déporté de France où il avait participé à la direction du « mouvement des étudiants constestataires », aux côtés notamment d’un certain Daniel Cohn-Bendit.
Je me souviens qu’il n’hésitait pas alors à interpeller de manière très familière des profs en plein cours et à les sommer vertement de prendre position par rapport au Président Senghor. D’autres fois, il improvisait un concert de saxophone pour interrompre un cours…
C’est que cette fulgurante intelligence politique dont j’ai parlé tantôt, a fait comprendre très tôt à Omar, dès 1969 au moins, qu’un piège néocolonial dont l’Ecole était un des rouages essentiels, était en train de se mettre en place pour maintenir le Sénégal et l’Afrique, sous une nouvelle forme de domination pas moins aliénante que la précédente.
Face à cette perspective, Omar estimait que le soulèvement de la jeunesse, soulèvement armé si nécessaire de ses éléments les plus conscients, s’imposait comme un impératif catégorique. Il adhérait complétement, au pied de la lettre, et moi avec lui, à cette réflexion de Franz Fanon dont il était un lecteur attentif, selon laquelle chaque génération a un devoir historique, libre à elle de s’en acquitter ou de la trahir. J’ai traversé avec lui au cours de l’été 1970 toute l’Europe jusqu’en Turquie et au Moyen-Orient, d’Istanbul, à Alep, à Damas et à Beyrouth.
Nous avons séjourné dans des camps de Fedayeen Palestiniens et des guérilléros Erythréens puis fréquenté les Black Panthers, en quête de la «pratique révolutionnaire » et des contacts qui nous paraissaient indispensables pour faire face à la situation…
J’ai par la suite bifurqué de cette voie…
Omar lui, inaccessible au doute, est allé jusqu’au bout de sa vision, jusqu’au sacrifice suprême, après avoir été arrêté à Bamako puis vendu aux services de M. Senghor avant d’être assassiné dans la prison de l’Ile de Gorée, dans des circonstances qui finiront bien par être connues.
Mais il ne faudrait pas réduire Omar Diop Blondin à sa seule dimension de militant révolutionnaire politique. Il fut aussi et à mon avis d’abord un intellectuel : on sait qu’il avait une formation en philosophie et s’était notamment spécialisé sur Spinoza.
Il avait reçu les enseignements et fréquenté même directement les plus prestigieux esprits de la philosophie et des lettres françaises de son époque : Sartre, Claude Levi Strauss, Lacan, Gluksman et Badiou notamment.
Omar était aussi un amateur averti de musique moderne, de la pop anglaise, particulièrement les Rolling Stones, à la « dub poetry » de Lindon Kwessy Johnson au Last Poets, précurseurs du Rap, de Jimmi Hendrix au Free Jazz.
Je me souviens tout particulièrement de la ferveur avec laquelle il écoutait ce blues de John Coltrane, « After the Rain ». C’était aussi un amateur du cinéma de la Nouvelle Vague française et il avait joué dans quelques séquences de deux films de Jean Luc Godard, « 1+1 » et la « Chinoise ».
On peut se lamenter sur le destin tragique et la vie trop brève de ce jeune homme hors du commun à qui la vie semblait tout promettre.
Je voudrais, quant à moi, voir dans sa vie et dans sa mort, la marque de ce génie, de cette générosité sans bornes et ce don total de soi dont le jeunesse est par définition le dépositaire et qu’elle arrive quelques fois à exprimer pour éclairer le chemin des peuples…
C’est pourquoi, il faudrait associer à la commémoration du 40ème anniversaire de l’assassinat de cet homme qui avait en horreur tout culte, notamment celui de la personnalité, tous les martyrs connus et inconnus, tombés au champ d’honneur de combat pour la libération et le développement de ce pays.
Je pense ici notamment aux victimes anonymes de ce qu’on continue d’appeler pudiquement « les événements de 1963 des Champs de Course de Dakar » qu’il faudrait faire connaitre à la jeunesse d’aujourd’hui et aux générations futures. Je pense aussi à Alhousseyni Cissé et à ses compagnons sacrifiés à Médina Mancagne en 1970 et à bien d’autres encore.
La meilleure manière de commémorer le martyr de Omar Diop Blondin serait que la jeunesse actuelle s’inspire de son sacrifice et de celui des nombreux combattants ordinaires qui à travers les générations se sont sacrifiés pour ce pays et les dépasse en se saisissant des armes du savoir et des technologies actuelles pour enfin mettre fin à l’aliénation et à l’arriération culturelle, sociale et économique dans lequel ce peuple croupit depuis des siècles. C’est seulement comme cela que le sacrifice d’Omar Diop Blondin n’aura pas été vain.
Dans un premier temps nous devons exiger de l’Etat du Sénégal de rendre compte au peuple sénégalais, en faisant toute la lumière sur ce qui s’est véritablement passé dans cette cellule de la prison de Gorée, en cette nuit du 11 Mai 1973. Une fois le crime d’Etat bien établi, il s’agira d’en faire réparation sous la forme d’une stèle, à Gorée.