Une question à ne jamais poser
AVIS D’INEXPERT : "Allez-vous porter plainte ?"

« Allez-vous porter plainte ? » Question d’un journaliste à un interlocuteur ayant subi un préjudice important et justiciable d’une suite judiciaire. Oui, certes personne – sauf, peut-être, l’auteur de ce préjudice - ne disconviendrait du bien-fondé d’une action judiciaire de la victime, mais appartient-il au journaliste, par une question orientée – qui, finalement, n’en est pas une – de lui suggérer, souffler la conduite à tenir, la démarche à faire ? C’est cela que dans le jargon du journalisme, on appelle « question inductive », c’est-à-dire, comme l’indique son épithète, une interrogation posée de manière ou de nature à amener l’interviewé à répondre dans le sens souhaité par le journaliste ou de lui donner une idée qu’il aurait pu ne pas avoir. En un mot, le journaliste induit à… « Allez-vous porter plainte ?», « Avez-vous porté plainte ? » Nous en avons entendu une de ce type le 7 mai dernier vers 10 h 40 sur Radio Sénégal international.
Et si le destinataire de cette question n’avait pas du tout idée de donner une suite judiciaire aux faits le concernant ? Par ce type de question, le journaliste outrepasse son rôle qui n’est pas de suggérer à son interlocuteur ce qu’il peut ou devrait faire. Il est en ainsi dans une interview comme dans une collecte de l’information. Dans le langage du jeu de dames, par exemple, on parlerait de « suxlu », c’est-à-dire quand un spectateur se met à souffler à un des deux joueurs de jouer un pion plutôt qu’un autre. Cette attitude d’ailleurs est prohibée dans les grand-places.
Pas très loin de cette forme partialité, ce commentaire d’un animateur de Sopi Fm lancé dans un élan de sympathie pour une musicienne : « si nous animons sans mettre un de vos morceaux, c’est que nous n’avons rien fait ». Pourquoi devrait-il en être ainsi ? Et pourtant, la musicienne, dont la musicographie bénéficie d’une telle faveur, n’est pas de ceux ni de celles dont on dit qu’ils ou elles crèvent l’écran ou font la une des hits ou le top tem de ceux-ci. Etait-ce donc une simple clause de style, une flagornerie sans grand objet ? Nous pensions bien que c’est le cas. On voit bien donc que l’intégrité et la mesure dans l’appréciation objective des faits n’incombent pas qu’aux journalistes.
Les animateurs de variétés musicales devraient, eux aussi, avoir une éthique. Ils sont souvent la cible des récriminations de musiciens qui s’estiment discriminés dans la programmation des tubes ; d’aucuns poussent loin la complainte en révélant avoir soudoyé tel animateur(s) sans que jamais sont « hit » ne soit diffusé sur les émissions musicales des chaînes de radios et de télé dont les animateurs et autres Dj ont été graissés à la patte. Quand on parle de corruption dans les médias, on vise, peut-être, cet aspect. Ce n’est pas pour rien que les animateurs sont réputés être socialement mieux lotis – ou ont plus d’argent, pour dire le mot – que les journalistes.
Les gendarmes semblent avoir opté pour la prudence de masquer le visage de présumés malfaiteurs qu’ils ont été interpellés. C’est à cette supposition que nous sommes arrivés en suivant sur Tfm un compte-rendu sur l’arrestation d’individus auteurs présumés du cambriolage meurtrier d’une essencerie à Darou Marnane. La maréchaussée locale a pris le soin et la précaution de présenter les interpellés dos tournés à la caméra. On est loin du temps où gendarmes et policiers posaient fièrement aux côtés des gangsters pour se donner de la contenance et la preuve qu’ils viennent de faire du bon boulot. Sans se rendre compte du caractère délictuel de leur comportement. Le célèbre gangster Abatalib Samb alias Ino, terreur des années 90, après son arrestation a été montré par les caméras de la télévision nationale de la Rts grâce à une autorisation de la gendarmerie nationale qui voulut montrer au public un trophée de chasse, un succès de la recherche… Surtout que l’opinion nationale s’était émue de la cavale d’Ino, un gangster dont ceux qui le connaissaient soutinrent pourtant que sa dangerosité était surfaite ; qu’il n’était rien sans son Alex, plus dangereux. Mais, il fallait faire mousser Ino… Avec la complicité consciente ou inconsciente de la presse…
Pour en revenir au fait de montrer le visage découvert d’une personne présumée malfaiteur, nous voudrions faire remarquer que dans des pays comme ceux d’Europe, d’Amérique… on voit toujours de grands brigands, des mafiosi arrêtés par la police, menottés, sans que jamais soient visibles les menottes plutôt couvertes par une veste, un drap… C’est parce que, même si la culpabilité de ces individus ne fait aucun doute, elle ne sera établie que par la seule justice qui les condamne ou les relaxe. Et même s’ils font des aveux circonstanciés, ils bénéficient d’une présomption d’innocence. Jusqu’à ce que les tribunaux les reconnaissent comme coupables ou les innocente.
Voilà donc pourquoi les gendarmes auteurs des arrestations des présumés cambrioleurs de l’essencerie à Darou Marnane ont été bien inspirés et eurent une attitude conforme à l’orthodoxie. On leur tire le chapeau. Nous journalistes devons, nous aussi, en faire autant : veiller à ne jamais révéler l’identité et/ou le visage d’un malade mental, d’une personne d’âge mineur… C’est ce qui explique les initiales qu’on met à la place des noms des personnes impliquées dans des affaires rapportées dans les rubriques « faits divers » des journaux. Tout cela s’enseigne dans les écoles de journalisme par les professeurs spécialisés dans le droit de la presse. Voilà !