ABDOU DIOUF S'EXPLIQUE
L'ANCIEN PRÉSIDENT MAINTIENT LES PROPOS CONTENUS DANS SES MÉMOIRES ET INDIQUE N'AVOIR PAS TOUT DIT
Les "Mémoires" du Président Abdou Diouf, édités par Seuil, n’en finissent de soulever des vagues. Mais l’ancien chef d’Etat du Sénégal, de 1981 à 2000, ne semble pas trop affecté par les critiques qui fusent de toutes parts. Au détour d’une discussion, au siège même de la Francophonie où les préparatifs du prochain sommet sont à leur vitesse de croisière, le Président Abdou Diouf balaie d’un revers de main les reproches qui lui sont adressés.
Très décontracté, sourire aux lèvres, l’index droit pointé sur notre visage comme pour désigner un témoin, Abdou Diouf lâche : "vous savez vous-mêmes que c’est la vérité. J’aurais pu dire autre chose. J’aurais pu dire plus". Une forme de censure assumée que le prédécesseur de Wade explique déjà dans l’avant-propos de l’ouvrage où il écrit que son objectif "n’est pas de vouer aux gémonies qui que ce soit".
Diouf est-il conscient que son ouvrage a provoqué de la colère chez certaines personnes dont un de ses anciens ministres, Djibo Kâ, le professeur Iba Der Thiam, pour ne citer que ceux-là ? "Et alors ? A partir du moment que ce que je dis est vrai", insiste-t-il. "Heureusement que je n’ai pas tout dit", enchaîne-t-il, au moment même où son service de communication entre en scène. La responsable, une Française, de préciser : "tout ce qu’il te dit est en Off".
Ousmane Paye qui se refuse de commenter l’ouvrage nous demande aussi de ne pas publier les propos du Secrétaire général de la Francophonie. Mais Diouf, moins fermé, avec une tonalité de calmer le jeu : "je discute avec un compatriote, il n y a pas de problème". Et de dérouler sur la liberté : "chacun est libre de commenter. C’est la démocratie. Je respecte les opinions et la liberté de tout le monde". Mais, il regrette "le fait qu’on ne retienne que ce qui est dit et qui peut paraître négatif", alors qu’il y a "de bonnes choses que je dis dans le livre".
Les adieux au personnel de l’OIF
Le Secrétaire général de la Francophonie, Abdou Diouf, qui passe le témoin à l’occasion du prochain sommet prévu à Dakar, est arrivé au siège de l’OIF à 8 heures 30 minutes, accompagné du Président Macky Sall à qui il a fait visiter l’institution. Les deux hommes ont eu un tête-à-tête de près d’une heure, suivi d’une déclaration à la presse. Une nouvelle salle portant le nom du Président Léopold Sédar Senghor a été ouverte et montrée au Président Sall. Une photo de famille avec le personnel sénégalais de l’OIF a couronné la matinée, qui a vu la présence massive de la presse française.
Quand Diouf raconte Mimran et Senghor
Fidèle témoin de l’histoire de l’implantation des Mimran au nord du Sénégal, l’ex-Président Diouf y revient dans ses "Mémoires". Il rappelle qu’un jour de l’année 1969, à Paris, alors qu’il était "épuisé et déprimé", l’ambassadeur du Sénégal à Paris de l’époque lui demanda "avec insistance de recevoir Claude Mimran". Diouf, qui était à l’époque ministre du Plan, le reçut et d’emblée, M.Claude Mimran lui dit ceci, selon les propos rapportés par l’auteur lui-même.
"Monsieur le ministre, je sais que vous revenez de Bruxelles pour faire aboutir un projet sucrier, mais les choses ne semblent pas vous sourire pour l’instant. Je peux réaliser ce projet, mais à une condition. Il vous faut sortir de l’accord sucrier de l’OCAM (Organisation commune africaine, malgache et mauricienne). Diouf avoue avoir été séduit par la proposition de Claude Mimran et bien qu’intéressé à rester dans l’OCAM, il a rapidement dû prendre le choix de sortir de ce cadre".
Diouf ajoute que ce projet rencontrait bien l’assentiment de Senghor "liés déjà par des relations d’amitié" puisque ce dernier "s’était battu à l’Assemblée nationale pour la réalisation au Sénégal par le même Jacques Mimran, des "Grands Moulins de Dakar" qui venait concurrencer dans le domaine de la fabrication de farine les Moulins Sentenac (dépendant eux des Grands Moulins de Paris)".
Mais un incident a quand même lieu entre les deux hommes que Diouf relate : "au moment où je donnais mon accord à Claude Mimran, la réunion des chefs d’Etat venait de se tenir sur l’accord sucrier. Le Président Senghor, très au fait de mes intentions, ne dit rien à ses pairs, à l’occasion de cette réunion. Ce silence finit par énerver Mimran qui, se croyant trahi, envoya un télégramme au Président Senghor pour marquer son indignation".
Diouf écrit qu’il va monter au créneau pour remonter les bretelles à Mimran ; "dès que je reçus copie du télégramme, j’interviens auprès du Président Senghor pour le dissuader d’y répondre", peut-on lire à la page 115 de l’ouvrage. Par contre, Diouf va réagir, en appelant Mimran au téléphone pour lui dire, si l’on en croit ses propos rapportés par lui-même : "Je marquais toute mon désapprobation pour la forme de communication teintée d’irrespect qu’il avait utilisée pour interpeler le Président de la République du Sénégal", écrit Diouf.
A la limite, lit-on, dans le secret de son bureau, vous pouvez lui traduire vos états d’âme, mais le faire par un télégramme qui peut passer entre les mains de ses collaborateurs, me semble assez discourtois". Mimran, confus, de s’excuser, avant de tout mettre sur le compte de l’impatience". Non comment !
Complot
Les "Mémoires de Diouf reviennent aussi sur la fameuse tentative d’assassinat du Président Senghor, en 1967. Diouf y replonge avec force détails et parle de "complot visant à porter atteinte à la vie du Président Senghor". A l’époque, Senghor se rendait à la Grande mosquée de Dakar, pour, après la prière, présenter ses vœux aux dignitaires de la communauté musulmane. "Comme il n’était pas musulman, on dressait une tribune où il prenait place avec les membres non musulmans du gouvernement".
La cérémonie venait de prendre fin, "une voix retentit : quelqu’un a essayé de tuer le président ! quelqu’un a essayé de tuer le président". Selon Diouf, on avait distinctement perçu le clic de la détente de l’arme, mais la balle n’est pas partie". Les policiers vont maîtriser Moustapha Lô et Diouf d’analyser en ces termes : "on comprend à ce moment qu’un complot avait été ourdi par plusieurs opposants, qui avait chargé Moustapha Lô d’être leur exécutant et d’assassiner le Président Senghor". Diouf raconte qu’il lui a fallu s’enfermer avec Senghor pour le convaincre de "mettre fin à cette tradition", consistant à se rendre aux lieux de culte musulmans en période de fête.